Ils sont français, jeunes, expérimentés et vivent dans la Silicon Valley, le premier écosystème d'innovation au monde. Beaucoup ont lancé leur startups, d'autres travaillent dans les grosses entreprises comme Google ou Apple. Focus sur ces Français partis à la conquête de l'Ouest.
Une terre d'immigration
Si «The Valley » attire autant d'étrangers, c'est que cela fait partie de son ADN historique et régional. Aujourd'hui, seulement un tiers des habitants de la Californie y sont nés. La Silicon Valley qui abrite des grands noms de l'industrie high-tech comme Apple, Twitter ou Facebook est devenu le premier écosystème d'innovation au monde et représente désormais un eldorado pour toute une génération d'ingénieurs et d'entrepreneurs étrangers.
Quartier général de Oracle Corporation, à Redwood Shores (Californie)
« Dans n'importe quelle boîte, de n'importe quelle taille, il y a des Français »
Selon le site de la French Tech, 34 startups françaises sont répertoriées, rien que dans la ville de San Francisco. Sur les 60.000 expatriés français de la région, 20.000 travaillent dans des entreprises de haute technologie.
Romain Serman, ex-consul de San Francisco, maintenant directeur de BPI France USA confirme « dans n'importe quelle boîte, de n'importe quelle taille, il y a des Français ».
Certains ouvrent des bureaux à San Francisco comme Philippe Laval, fondateur de la startup parisienne Evercontact créée pour faire le tri dans nos mails et mettre à jour notre carnet d'adresses. D'autres vont travailler chez les géants du web, en 2014, un article du Monde affirmait qu'une quinzaine de Français travaillait dans la filiale du célèbre moteur de recherche, Google X.
Des salaires très attractifs
La french Tech est un label français attribué aux pôles métropolitains reconnus pour leur système de startups. Ce label vise avant tout à faire de la France entière un vaste accélérateur de startups internationalisées, disposant d'un budget de 15 millions d'euros pour promouvoir les startups françaises à l'étranger, en partenariat avec Business France et le ministère de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique. Actuellement, le réseau french Tech à l'étranger est composé de 11 hubs : Montréal, Abidjan, Le Cape, Barcelone, Londres, Hong-Kong, Israël, San Francisco, New York, Moscou et Tokyo. |
Pour les codeurs débutants, le salaire en France s'élève à 2.000 euros environ. Dans la Silicon Valley, ce salaire est multiplié par trois. Une chance pour ces jeunes ingénieurs qui ont très souvent un prêt étudiant important à rembourser.
Même s'ils avouent que la compétition est rude et l'activité de travail intense, cela vaut largement le coup. Outre les avantages économiques évidents, les jeunes ingénieurs informaticiens sont attirés par la qualité de vie de San-Francisco qui combine activité sportive et culturelle. Au niveau du travail, de nombreux témoignages vantent l'esprit « startup » où l'esprit de collaboration est indispensable, à l'opposé du modèle hiérarchique très français.
Un savoir-faire français très demandé
Ce n'est donc pas par hasard que Julien Barbier, Sylvain Kalache et Rudi Rigot ont réussi à lever deux millions de dollars pour lancer en janvier 2016 une école informatique à San Francisco. Ces trois Français, forts d'une expérience professionnelle dans des entreprises de la Silicon Valley, entendent répondre à la pénurie d'ingénieurs en haute technologie dans la région.
Sous des fausses allures de startup, l'école Holberton offre aux élèves des cours pratiques pour les transformer en champion du codage informatique, inspirés par l'Ecole 42 de Xavier Niel. Les fondateurs sont si confiants dans les perspectives d'embauches de leurs élèves qu'ils ne demandent même pas de frais de scolarité mais simplement 17% de leurs salaires à leur premier emploi.
.@holbertonschool students shared their life story and what they are planning for their future pic.twitter.com/uOxdFdm8Ck
? Holberton School (@holbertonschool) 22 janvier 2016
D'autant plus que les Français ont bonne réputation dans la vallée. Jean Louis Gassé, 72 ans, ancien cadre dirigeant d'Apple entre 1981 et 1990 fait aujourd'hui office de mentor pour tous les jeunes Français venus tenter leur chance dans la vallée. Selon lui, « La France forme de très bons ingénieurs partout appréciés pour tout ce qui concerne la conception de logiciel »
Des soutiens publics
Mais si les Français jouissent d'une bonne réputation, les entrepreneurs qui veulent s'installer à San Francisco subissent un véritable chemin de croix, entre networking permanent et concours de « pitch », - savoir comment présenter sa startup en mois de 30 secondes. Des soutiens publics existent, à commencer par la BPI France et Business France qui proposent aux startups de la French Tech un stage d'immersion intensive de 10 semaines aux Etats-Unis pour rencontrer des potentiels investisseurs. La promotion 2016 dévoilée début avril compte 18 startups dont 10 qui vont se rendre dans la Silicon Valley.
Philippe Laval qui fait partie de la promotion 2015 et qui a réussi à lever 1 million de fonds témoigne : « On s'est rendu compte qu'on avait une technologie de très haut niveau mais qu'on ne l'exploitait pas à la hauteur de son potentiel ».
Certains n'ont pas hésité à établir leur startup à San-Francisco, comme Mathieu Lhoumeau, fondateur de Contract Live, qui s'est illustré dans la digitalisation de contrat en ligne. C'est le seul bémol, cette internationalisation à vitesse rapide pourrait influencer de plus en plus de Français à quitter l'hexagone pour de bon...
Un effet « bulle startup » est à craindre
Depuis fin 2015, beaucoup d'indicateurs sont dans le rouge, et certains craignent une explosion de la « bulle startup ». Selon une enquête Venture Pulse du cabinet de conseil KPMG, les investissements en capital-risque ont chuté de 30% dans le monde au quatrième trimestre de 2015 par rapport au trimestre précédent. Pour beaucoup d'experts, cette baisse de l'investissement montre un déclin de l'engouement des investisseurs vis-à-vis des startups. En cause, les entrées en bourses décevantes de certaines d'entre elles comme Square ou la faillite d'autres pourtant très bien financées comme Quirky ou Zirtual.
Philippe Laval qui a lancé depuis début 2016 sa deuxième campagne de levée de fonds témoigne de ce climat nouveau « il est plus difficile de lever de l'argent aujourd'hui, mais je ne suis pas inquiet car mon business est solide ». Bill Gates déclarait d'ailleurs au Financial Times en février 2016 « « Ces deux dernières années, les investisseurs se sont dits : "Oh, c'est une société technologique, je vais la couvrir d'argent !" Or, on ne devrait jamais faire cela, il faut ouvrir les yeux et regarder ce que chaque société vaut vraiment."
Mathilde Poncet (www.lepetitjournal.com) - Lundi 9 mai 2016