Sur l'île d'Irlande, les près de sept millions d'habitants parlent tous l'anglais, souvent au détriment de l'irlandais. Cet idiome indo-européen, ancien de plus de 2000 ans, possède pourtant une histoire culturelle, politique et sociale riche, qui connaît un regain d'intérêt aujourd'hui chez la jeune génération. Éclairage.


À Dublin, il n'est pas rare de voir inscrit sur des panneaux publicitaires ou aux arrêts du tramway, de l'irlandais. D'après le dernier recensement en 2022, et qui englobait les 26 comtés de la République d'Irlande, 1 873 997 personnes parlaient la langue irlandaise, soit 36,4% de la population. Parmi eux, 788 927 estiment le parler très bien ou bien et 623 961 le pratiquent tous les jours.
Le 13 juin 2005, l'irlandais est devenu l'une des vingt-quatre langues officielles au sein de l'Union Européenne (UE), l'est aussi en République d'Irlande mais demeure minoritaire en Irlande du Nord. Elle est couramment parlée dans le comté de Galway, dans de larges parties du Donegal ou encore à Cork, Mayo et Meath.
Une langue qui traverse les siècles et les luttes
Les premières traces de cette langue celtique remontent à près de 1 800 ans, « inscrite sur les pierres d'Ogham, au troisième ou au quatrième siècle », explique Oisìn Mac Giolla Dhaltùin, du Foras na Gaeilge, l'agence publique responsable de la langue irlandaise.
« Après la conversion des Irlandais au christianisme au VIème siècle, la langue est écrite en alphabet romain. Ainsi est né ce que l'on appelle le vieux irlandais ». « Entre le Xème et le XIIème siècles, l'irlandais possède une longue tradition littéraire, incluant notamment « Le Cycle d'Ulster », un récit mythologique. Il est alors un contemporain du vieil et du moyen anglais. Néanmoins, il reste majoritairement une langue parlée. »
À partir du XIIème, le gaélique classique est parlé en Irlande et en Écosse. Il se rapproche de l'irlandais moderne », poursuit Oisìn Mac Giolla Dhaltùin.
Mais au XIXème siècle, l'irlandais est menacé par l'anglais. Le processus d'accélération a lieu pendant la période de la Grande Famine, entre 1845 et 1852, puis par l'émigration de masse. « Il s'agit de la période la plus difficile pour la langue irlandaise, mais tout n'a cependant pas été négatif ». En effet, « à la fin du siècle a débuté le mouvement de la renaissance du gaélique. Le 31 juillet 1893 est créé le Conradh na Gaeilge » ou la ligue du gaélique. Elle devient un outil de promotion et d'encouragement pour continuer à parler l'irlandais, et prend un tournant politique lors de la révolution de l'Easter Rising en 1916, qui a vu les républicains irlandais s'insurger face à la domination britannique.
En 1971, la première école irlandaise est établie en Irlande du Nord, « mais les fondateurs sont menacés par des actions légales et des peines d'emprisonnement. L'école continue de fonctionner mais ne reçoit aucun financement de la part de l'État… Il faudra attendre 1985 pour que cela ait lieu », ajoute Oisìn Mac Giolla Dhaltùin. « En 2025, elle accueille 350 élèves ».
Aujourd'hui encore, la région située dans l'est de Belfast a une importante communauté d'habitants qui pratiquent l'irlandais et est officiellement reconnue en tant qu'Irish speaking quarter.

La place de l'irlandais dans le système éducatif
L'irlandais est l'une des matières fondamentales pour les écoles primaires et secondaires, en République d'Irlande : « les étudiants venant d'autres pays l'apprennent et le parlent couramment. Seuls sont exemptés les enfants en difficulté et les personnes ayant déjà atteint un certain âge », indique Oisìn Mac Giolla Dhaltùin.
Pour l'année scolaire 2023/2024, « 7% des élèves, venant de l'école publique, n'ont pas suivi de cours en irlandais, et 23% de ceux qui ont passé leurs certificats de fin d'études n'avaient aucune épreuve d'irlandais ». Le phénomène s'est accentué depuis 2018, « où 15% des étudiants n'avaient pas passé l'examen d'irlandais, comparé à 8% pour l'anglais et 8% pour les mathématiques ».
Au contraire, le nombre d'étudiants qui fréquentent les écoles d'irlandais (Irish-medium school) n'a cessé d'augmenter depuis les années 1970 jusqu'à l'année 2019/2020, avec un pourcentage de 6,33%.
« 86 % des élèves prennent l'irlandais en deuxième langue, dans les écoles où l'enseignement se déroule en anglais. 7% n'étudient pas du tout l'irlandais, 7% s'instruisent uniquement en irlandais dans les établissements dédiés, et au total 77% ont obtenu leurs certificats de fin d'études en irlandais en 2024 », détaille Oisìn Mac Giolla Dhaltùin.
Pour le GCSE (l'équivalent du brevet, NDLR), « il en existe deux bien distincts : le GCSE Irish, destiné aux étudiants des écoles anglaises et le GCSE Gaeilge, plus compliqué et qui ne peut être passé que par ceux qui suivent leurs cours dans les écoles irlandaises ».
De son côté, Séadhan De Poire, directeur de la Dublin Academy Education, affirme que « la langue irlandaise est davantage populaire auprès des plus jeunes. »
Quid des autres langues celtiques, à savoir le gaélique écossais et le mannois ? Elles se sont développées de différentes manières au fil des siècles. Un partenariat entre le Foras na Gaeilge (irlandais) et le Bòrd na Gàidhlig (écossais) a pour objectif de tisser des liens entre l'Écosse et l'Irlande, en mettant en avant les aspects culturels, économiques des deux côtés de la mer. « Cela aide à renforcer la confiance en soi dans les communautés s'exprimant en gaélique », conclut Oisìn Mac Giolla Dhaltùin.
Pour aller plus loin : des médias en langue irlandaise sont accessibles (TG4 ou Raidió na Gaeltachta) pour celles et ceux qui veulent apprendre ou s'informer.
Marion Allard-Latour
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