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LA GAUCHE ANTI-AUSTÉRITÉ EN IRLANDE (1/2) : Anti-Austerity Alliance - People Before Profit

Anti-Austerity-AllianceAnti-Austerity-Alliance
Écrit par Lepetitjournal Dublin
Publié le 22 février 2016, mis à jour le 19 novembre 2022

Les derniers sondages sont clairs : à cinq jours des nouvelles élections générales irlandaises, le déclin du soutien aux partis de la coalition gouvernementale, qui applique depuis près de cinq ans une politique d'austérité, est consommé.

Au total, le Fine Gael et le Labour auraient perdu ensemble 17,5 points par rapport aux élections générales de 2011. Pourtant, le Fianna Fáil, le parti qu'avait détrôné la coalition, n'a gagné qu'un demi-point d'intentions de vote par rapport aux élections qui l'avaient évincé du pouvoir en 2011. Mais alors, où les voix des Irlandais se reportent-elles ? Les candidats indépendants mis à part, ce sont les formations de gauche opposées à l'austérité qui ont gagné le plus d'électeurs potentiels, totalisant plus de 8,5 points d'intentions de vote supplémentaires par rapport à 2011, pour séduire désormais 21 % des électeurs. Mais qui sont donc ces gauches rebelles qui séduisent les Irlandais ?

Une alliance électorale pour plus de poids politique

On voit leur nom partout sur les affiches électorales hissées sur les poteaux des rues de la capitale. Ils apparaissent comme un nouveau parti. Pourtant, les deux formations de gauche anti-austérité que sont Anti-Austerity Alliance et People Before Profit, qui ont décidé en 2015 de se réunir au sein d'une alliance électorale, ont déjà une petite histoire derrière eux.

En 2011, la coalition Alliance de la gauche unie, qui n'a pas de structure politique reconnue, recueille 2,7 % des voix aux élections générales. Cette coalition regroupe le Parti socialiste (devenu depuis Anti-Austerity Alliance), qui en Irlande demeure une formation trotskiste, l'alliance People Before Profit (PBP), le Groupe d'action des travailleurs et chômeurs et quelques indépendants.
Depuis, les lignes ont bougé. Les députés se reconnaissant dans l'alliance électorale AAA-PBP sont, au moment de la dissolution du Dáil (la chambre basse du Parlement), au nombre de quatre, sur 166 sièges que compte la chambre basse. D'après le dernier sondage, cette alliance recueille 4 % d'intentions de vote auprès des électeurs. Un petit progrès par rapport aux 2,4 % qu'ils faisaient en 2011, mais un progrès tout de même. Les 7 députés qu'ils espèrent obtenir a minima aux élections du 26 février leur ouvriraient l'accès au plein droit à la parole au DáilPartir au combat au sein d'un même parti politique, contrairement à 2011, leur permettra en outre d'accéder aux financements publics supplémentaires auxquels donne droit un score d'au moins 2 % des suffrages nationaux.

Leur campagne, démarrée bien avant la dissolution du Dáil par le chef du gouvernement Enda Kenny début février, est axée sur des sujets qui rencontrent un certain écho populaire ces derniers temps dans le pays. Leurs « principes communs », sous-titrés sobrement « Alternatives radicales et égalité réelle », donnent les grandes lignes de leur programme. Sur le plan économique et social, qui domine le projet, ils surfent sur le mouvement anti-austérité qui a particulièrement gagné en popularité parmi les Irlandais ces deux dernières années en proposant la suppression de la très symbolique taxe sur l'eau, mais aussi de la taxe de propriété, tenue pour responsable de la crise du logement qui est patente dans le pays, ainsi que l'établissement d'un système fiscal progressif qui met davantage à contribution le sommet de la pyramide des richesses pour financer la restauration des services publics, minés par huit années d'austérité auxquelles l'alliance souhaite mettre un terme. Mais ils se positionnent aussi sur des questions de société, notamment en faveur de l'avortement. Leur programme prévoit un référendum pour faire abroger le 8e amendement mis en place par la coalition au pouvoir, qui rend l'avortement légal seulement dans certains cas très restreints. La suppression de cette mesure, qui n'acte qu'une avancée très faible dans un pays où le cadre légal demeure un des plus punitifs au monde, devrait alors permettre à l'alliance de légiférer clairement pour donner aux femmes le droit de choisir.

L'effet de la vague anti-taxe sur l'eau

manifestation

 

Les deux partis, avant de s'allier concrètement en 2015, ont surtout gagné en soutien populaire à la faveur de la vague anti-taxe sur l'eau qui secoue le pays depuis deux ans, au point de peser sur les résultats des prochaines élections générales. C'était une des contreparties du plan d'aide financière signé avec le Fonds monétaire international, la Commission européenne et la Banque centrale européenne en 2010 : début 2014, le gouvernement d'Enda Kenny annonce la prochaine instauration d'un système de facturation de l'eau potable. Les Irlandais s'indignent contre la fin de cette spécificité historique du pays, d'autant plus qu'ils considèrent cette « double taxation » comme injuste, payant déjà la consommation d'eau et l'entretien du réseau via une taxe progressive. Une réaction sociale, spontanée, émerge, des collectifs citoyens se mettent en place. Anti-Austerity Alliance et People Before Profit s'empressent alors de prendre part au mouvement. À l'automne, le mouvement civil s'organise sous l'étiquette de Right2Water, une plateforme citoyenne qui réunit la gauche anti-austérité, des personnalités de la société civile et cinq syndicats qui, eux aussi, gagnent en notoriété à la faveur du mouvement social. Alors que sortir massivement protester dans la rue n'est pas vraiment dans la culture irlandaise, le deuxième rassemblement du mouvement, en novembre, mobilise 120 000 personnes dans une douzaine de villes du pays.

Face au mécontentement populaire, le gouvernement propose un allègement symbolique de la facture pour les plus démunis. Mais ce geste ne contente pas les ménages irlandais, qui voient depuis avril 2015 plusieurs centaines d'euros supplémentaires peser sur leur budget annuel. Right2Water lance de vastes campagnes appelant au boycott des factures, une situation jamais observée depuis l'accession de la République à l'indépendance en 1922, pas même dans les heures les plus sombres de la crise. L'alliance Anti-Austerity Alliance-People Before People a sans conteste bénéficié de cet esprit de révolte populaire face à cette taxe sur l'eau, relativement symbolique, qui cristallise tout le ressentiment engrangé par la population au cours de ces huit années d'austérité.

Ces deux partis, au plus fort de cette « crise de l'eau », ont espéré bénéficier du succès éclatant de la coalition de gauche anti-austérité SYRIZA en Grèce en janvier 2015, tout comme de la montée spectaculaire de Podemos en Espagne. Paul Murphy, « leader charismatique » de 33 ans d'Anti-Austerity Alliance qui bénéficie du prestige d'avoir remporté en octobre 2014 une élection partielle à Dublin contre un candidat Labour, s'imagine déjà en Aléxis Tsípras de l'Irlande. Mais l'essor de la gauche anti-austérité en Europe aura surtout profité au Sinn Féin, tout comme la grogne anti-taxe sur l'eau, alors même que le parti historiquement indépendantiste a préféré rester en marge du mouvement Right2Water.

C'est d'ailleurs à propos de cette formation politique, qui recueille encore 17 % d'intentions de vote selon le dernier sondage, se maintenant en troisième position du classement, que les premières divisions sont apparues fin janvier entre les deux partis Anti-Austerity Alliance et People Before ProfitPeople Before Profit, contrairement à son allié électoral, a en effet appelé ses électeurs à transférer leurs voix aux candidats Sinn Féin qui souscriraient à leurs principes, dans un système électoral utilisant le scrutin à vote unique transférable, qui permet aux électeurs de classer sur leur bulletin les candidats de leur circonscription. Le problème est que les relations entre Anti-Austerity Alliance et le Sinn Féin ne sont pas au beau fixe : il y a quelques jours encore, Paul Murphy qualifiait le parti de « sectaire ».

 

Timothée de Rauglaudre (www.lepetitjournal.com/dublin) Lundi 22 février

Crédits photos : Flickr & Flickr

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