À la tête du département francophone de la Jumeirah Baccalaureate School, Saoussen Bouriga incarne une vision exigeante, passionnée et profondément humaine de l’enseignement du français. Enseignante de formation, elle a accompagné la naissance et l’essor d’un programme francophone devenu une référence à Dubaï. Rencontre avec une femme de lettres, de terrain et de conviction.


À la rencontre de Saoussen Bouriga, à la tête du département francophone de JBS : un parcours riche et dédié tout entier à l’amour et à la défense de la langue française !
Lepetitjournal.com/dubai : Vous avez longtemps enseigné (et continuez de le faire) avant d’occuper ce poste, quel est votre parcours ?
Saoussen Bouriga : J’ai grandi et fait mes études en Tunisie, à l’université de lettres de Tunis, où j’ai passé mon CAPES et mon Master, tout en ayant toujours baigné dans la francophonie depuis la petite enfance. Je travaille depuis très jeune, j’ai toujours eu la volonté d’être indépendante : d’abord des petits boulots quand j’étais adolescente comme à la Foire du Livre, dans la compagnie de mon père ou dans l’entreprise d’assurance pour laquelle travaillait ma mère, puis dès l’entrée en université je suis enseignante dans le privé, et l’année de préparation de l’agrégation dans une galerie d’art. Je crois que cela dit quelque chose de moi, et que je retrouve chez nos élèves aussi : une certaine ténacité, une résilience, une implication profonde dans l’apprentissage. Sans ces qualités et sans les efforts conjugués des enfants qui se lèvent plus tôt, qui ont des heures et des devoirs supplémentaires, sans l’implication des familles, comme de tout le corps enseignant, notre programme ne rencontrerait pas un tel succès, ni une telle réussite chez nos élèves.
Vous avez vu naitre et grandir ce fameux programme francophone de JBS : comment a-t-il été pensé à l’origine ?
Ce programme francophone de JBS a débuté il y a 15 ans maintenant, sous l’impulsion du proviseur d’alors qui avait disons une vision « francophile » de la culture et de l’apprentissage des langues. Il a souhaité ainsi imposer une troisième langue à la suite de l’anglais et de l’arabe. La cheffe du département de français d’alors avait quant à elle eu la volonté d’instaurer un programme qui suive exactement celui du Ministère de l’Éducation Nationale en France, et c’est ce qui a fait notre force et notre particularité, contrairement à d’autres établissements qui proposent un programme francophone « cuisiné » à leur manière mais sans une identité pédagogique rigoureuse.
Aujourd’hui vous suivez toujours le programme du ministère, tout en adaptant la pédagogie aux critères du Bac International ?
Oui, c’est ce qui a vraiment donné naissance à un programme francophone unique, au sein d’une école anglophone avec tout le continuum IB depuis la maternelle jusqu’au bac. Ce programme jouit désormais - à raison - d’une réputation d’excellence à Dubaï, comme auprès des familles rentrées en système francophone.
Quel est votre parcours au sein de JBS ?
Lorsque j’ai repris l’enseignement en arrivant en tant qu’expatriée à Dubaï c’est un peu arrivé par hasard, comme beaucoup de « conjoints suiveurs » je cherchais surtout à retravailler, et à m’intégrer. JBS a vraiment été le bon choix pour moi : je suis entrée en postulant spontanément, l’école avait à peine deux ans et j’ai adoré voir ce programme grandir avec l’école : aujourd’hui nous avons une cohorte de 40 francophones par classe d’âge, dont le niveau est soutenu car ils sont pris en main depuis la maternelle. La lecture est acquise en fin de grande section, la grammaire introduite au CP et consolidée tout au long du primaire – grâce aussi à notre partenariat avec les enseignants de l’Alliance Française.
L’accès au programme est régulé par des tests d’aptitude, ce qui en garanti le niveau : le passeport n’est pas un critère d’admission !
Ce n’est pas du FLE, ce n'est pas une 2e langue, c’est bien un programme de langue et littérature de 1e langue, et le premier critère c’est que cette langue soit pratiquée quotidiennement à la maison, à l’oral comme à l’écrit.
Comment recrutez-vous les enseignants de français qui vous entourent ?
Nous formons une équipe d’enseignants soudés et très investis : une des autres fiertés de ce programme est la rigueur avec laquelle nous recrutons les enseignants de français. Il faut tout de même être conscients que 95% des CV qui circulent pour des postes d’enseignants de français sont dépourvus de tout diplôme universitaire ou pédagogique : ni CAPES, ni Agrégation, parfois un diplôme de FLE. Or, pour être claire : être de langue maternelle française est nécessaire, mais très loin d’être suffisant ! Nous recrutons exclusivement des enseignants diplômés, c’est notre premier et exclusif critère de sélection. À celui-ci s’ajoute bien entendu une expérience obligatoire en école française, et à l’international.
En quoi consiste votre rôle à la tête du département de français ?
C’est avant tout rendre le français visible, et d’être moi-même visible et disponible pour toute l’équipe et tous les parents : je suis toujours là (sourire)! Et bien entendu d’encadrer l’apprentissage du français de façon rigoureuse, construire des ponts pédagogiques avec le curriculum IB, rechercher les nouvelles méthodes et les dernières études en pédagogie, en neurologie, et suivre les nouveautés et les reformes du système français. C’est aussi coordonner les passages d’un cycle à l’autre, maternelle, primaire, secondaire créer des passerelles en préparant en amont ces transitions importantes. Enfin faire le lien toutes les semaines avec toutes les équipes du Pre-K au Grade 12, en French A et en French B.
Comment se construisent concrètement les liens entre le programme francophone et les méthodologies IB ?
C’est vraiment ce qui fait la spécificité de notre curriculum, cela touche à la fois les méthodes d’apprentissage comme nous l’avons vu, mais aussi le contenu du programme : au Primaire, où nous suivons le programme du ministère de l’Éducation adapté à nos horaires, nous le lions aux thèmes du PYP grâce aux choix des œuvres intégrales - par exemple si l’écologie est au programme en Grade 4, nous allons étudier un texte intégral comme L’homme qui plantait des arbres, de Giono, qui fait écho à la thématique de l’unité en question.
Une réussite dont vous êtes fière après toutes ces années à JBS ?
C’est avec beaucoup de fierté que je vois aujourd’hui notre seconde cohorte de 10 élèves qui vont présenter le baccalauréat IB bilingue ! Une opportunité riche et unique que nous sommes les seuls à proposer. Ma joie aujourd’hui c’est d’avoir transmis cet amour de la langue et de l’excellence à la française et d’en être le témoin au quotidien : nous venons de clôturer la semaine de la francophonie et les élèves s’y sont énormément investis avec des panneaux qui ont décoré toute l’école de cette richesse unique : des poèmes, des mots rares, des acrostiches, des recettes de cuisine, des biographies de grands personnages francophones, des maquettes de monuments… ils sont la preuve que c’est une langue et une culture vivante, prolifique, un atout unique dans un monde dont ils sont tous les citoyens.