Aujourd’hui une nouvelle rencontre autour de la gastronomie, avec Isabelle Jaouen, une juriste convertie dans le chocolat et l’âme derrière la jolie chocolaterie de Forrey&Galland, que nous vous avions mentionné dans notre article spécial “menus de fêtes” pour leur délicieuses orangettes et marrons glacés faits maison. Une aventure d’expatriation qui une fois encore souligne tout ce qu’être expat peut comporter de créativité, de dynamisme et d’attachement à notre culture d’origine mêlés à l’envie et la curiosité pour notre culture d’adoption. Une belle histoire familiale et gourmande!
Quelle est votre histoire avec le Moyen-Orient ?
Je viens travailler au Moyen Orient dès 1989, et je passais souvent par Dubaï. Déjà je trouve que c’est une ville intéressante et agréable, vers laquelle des missions ponctuelles vont m’amener à revenir. J’y rencontre un français, qui lui aussi vient d’un tout autre milieu professionnel, de la joaillerie précisément, et nous nous découvrons en commun une même envie, encore imprécise, de “faire autre chose” et de se lancer ici, sur ces terres. Nous sommes tous les deux bons vivants et la conversation roule sur le chocolat, il y en a beaucoup déjà à l’époque mais rien de “fait maison” ou d’artisanal, que du chocolat industriel emballé individuellement sous plastique…
C’est ce qui vous décide à vous lancer, vous y voyez une place à prendre ?
Oui : L’idée fait “tilt” et nous nous lançons aussitôt avec un petit atelier où nous développons nos propres recettes, et nous démarrons ce long chemin pour faire découvrir justement le chocolat artisanal, frais, non emballé, vendu au comptoir. Notre première marque se concentre sur le B to B (commerce inter-entreprises, ndlr) et nous faisons nos gammes avec un vrai sens du détail, un amour des recettes qui nous sont propres - toutes testées et développées par nous. On se rend compte rapidement qu’il y a une vraie demande pour ces produits de qualité, avec une attention portée à la recherche des produits et matières premières jusqu’aux détails de finition, et nous arrivons en 2008 juste au moment où le Dubaï Mall sort de terre. La coïncidence nous donne envie de nous lancer dans le retail (la vente au détail, ndlr), c’est l’occasion où jamais, mais nous n’avons pas encore de marque ou d’identité forte.
C’est à ce moment que le destin vous fait un clin d’œil ?
Oui c’est amusant : durant un repas de famille, lorsque nous abordons le sujet, nous cherchons un nom, une marque pour nous lancer dans le commerce de détail, et mon beau père relance en disant “mais je crois que nous avions quelque chose dans la famille il y a longtemps en rapport avec le chocolat, un grand oncle qui avait une marque, ou une chocolaterie, attendez je vais regarder..” et le voilà qui sort d’un tiroir une boîte ancienne estampillée “Forrey Galland” et toute une paperasserie s’y rapportant... Surexcités et amusés par ce hasard, nous faisons des recherches, et le hasard justement est trop beau : c’est une marque qui avait un joli succès au XIXe, elle est déjà inscrite dans l’Annuaire du Luxe dès 1912, avec des boutiques Avenue Victor Hugo et Faubourg Saint Honoré à Paris, les anciennes affiches et l’iconographie sont superbe, et - quelle chance - elle a fermé en 1951 et est restée en déshérence depuis… Aussitôt nous nous disons « eh bien allons-y, redonnons lui vie! »… Commence un vrai travail familial de recherche historique et de réflexion pour lui redonner une identité. Nous avions envie de la placer sous le signe du voyage, et c’est pour cela que nous décidons de démarrer tout de suite avec une ligne fusionnant notre savoir faire avec les saveurs locales: nous travaillons avec le tahini, la rose, le halwa, et c’est un succès immédiat !
Cette main tendue par le biais de la gourmandise vous a donné immédiatement une image très positive en somme ?
Oui car c’est ce qui aux yeux de la population locale nous a immédiatement fait connaître et apprécier, le fait que nous ayons eu la curiosité d’aller vers leur patrimoine culinaire et d’en ramener quelque chose de nouveau alliant ces goûts typiques de leur région et un savoir-faire Européen… c’est aussi ce qui nous a permis d’être écoutés lorsque nous avons prêché contre l’emballage individuel des chocolats, ou lorsque nous avons expliqué que le chocolat artisanal est un produit semi-frais avec une date de consommation courte (jusqu’à un mois seulement pour certaines ganaches !), qu’il faut respecter une certaine température pour l’apprécier etc.. mais nous avons aussi observé et écouté nos clients, le Moyen-Orient est imprégné de la culture du don, de l’offrande, du cadeau, on arrive jamais chez son hôte les mains vide et on aime apporter des paquets spectaculaires, donc nous avons décidé d’offrir dans la boutique un petit salon confortable où nos clients peuvent s’installer, déguster quelles pièces et organiser avec nous la présentation de ce qu’il vont offrir : mariages, naissances ou tout autre occasion : nous avons aussi des productions saisonnières qui suivent toutes les grandes fêtes du calendrier, Diwali, Noël, Ramadan etc... Pour cela nous avons racheté une société de packaging et sommes donc à même d’offrir sur place toutes les solutions flexibles et sur-mesure : les matières premières sont là aussi souvent importées de France ou d’Italie, nous avons des paniers déjà prêts selon les thèmes et la saison, mais la personnalisation peut être totale, et nous ne nous limitons pas aux produits de bouche : nous mettons aussi en valeur des artistes et artisans français en proposant quelques pièces d’art de la table d’argenterie, des jolies bougies de cire végétale… tout ce qu’il faut pour composer le fameux hamper ou panier-cadeau du plus extravaguant au plus simple, mais toujours avec les mêmes exigences : fait main, qualité française, personnalisation…
Qu’est-ce qui vous a semblé le plus difficile dans cette aventure ?
Bien sûr tout n’a pas été un conte de fée, il n’a pas été simple de s’imposer dans un marché monopolisé par d’autres chocolatiers et des grandes marques, mais ce défi de séduction nous l’avons remporté grâce à une vraie sincérité dans nos produits. Lorsque nous disons que nos produits sont faits à la main, ce n’est pas un euphémisme: aucune chaîne de fabrication mécanique ou automatisée chez nous ! Prenons par exemple notre bouchée à la menthe fraîche : premièrement, oubliez tout ce que vous avez goûté auparavant de chocolats “à la menthe”, ici pas de parfum ou d’arômes à la saveur de peppermint ou carrément de dentifrice (rires). Nous travaillons avec de la menthe nana marocaine fraîche, infusée pendant 5 heures minimum, puis filtrée, ensuite le chocolat est passé à la guitare et trempé dans un bain de couverture, toujours à la main. Cette finesse se ressent en bouche, c’est une explosion de douceur et de fraîcheur, vous avez tout le parfum de la menthe fraîche, pas d’amertume, c’est incomparable!
Comment travaillez-vous, qui décide des recettes ?
Nos recettes sont goûtées par toute l’équipe, c’est une discussion et une décision collégiale, nous travaillons en équipe avec des chefs consultants, avec toujours de nouveaux projets, mais toujours le même souci de qualité irréprochable et du tout fait-main: nous confisons nos propres oranges pour préparer les fameuses orangettes, très peu de gens, même dans les grandes maisons européennes, le font encore aujourd’hui. Nous faisons aussi nos propres marrons glacés, notre propre pain d’épice, les biscuits aussi sont tous faits mains : les sablés Bretons, les Broyés poitevins, les sablés à la confiture, les amandes au chocolat…. Mais c’est toujours la pureté du goût qui prime : tous nos chocolats sont sans sucre ajouté, certains sont sucrés de part leur saveur ou leur fourrage mais nous ne rajoutons pas de sucre! Vous n’avez que la saveur en bouche. À cela s’ajoute aussi une ligne “sans sucre” c’est à dire destinée plus aux personnes par exemple diabétiques, ou qui doivent totalement s’en passer, nous utilisons alors le Maltitol.
Vers quoi vous dirigez-vous aujourd’hui ? Ce qui vous ferait plaisir pour l’avenir de Forrey&Galland ?
Pour moi Forrey Galland c’est aujourd’hui ce que nous avions rêvé, une marque sous le signe du voyage qui s’est enrichie de beaucoup de choses et si j’ai un rêve ce serait de la ramener sur ses terres à Paris, ramener une belle malle de voyage Forey-Galland, riche de tout ce que nous avons découvert et appris ici au Moyen-Orient, refaire le chemin inverse et partager cet enrichissement, maintenir ce rapport de curiosité réciproque avec notre clientèle, oui, c’est quelque chose qui me fait rêver!
Dubai Mall
Shop no 109, Unit Lower Ground