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Ferme Beer Shéba : l'agroécologie au coeur du Sahel

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La ferme Beer Shéba est un modèle réussi d'agroécologie © Brieuc Debontridder
Écrit par Apolline Stockhem
Publié le 21 mai 2019, mis à jour le 6 janvier 2021

Régénérer une agriculture naturelle, sans engrais chimiques ni pesticides, et montrer que la production est supérieure à celle de l’agriculture conventionnelle au Sénégal, c’est le projet de la Ferme Beer Shéba. Un miracle en plein Sahel ? De toute évidence, un véritable changement de paradigme.

Lorsque l’on se rend à la Ferme Beer Shéba, située à 20 km de Mbour près du village de Sandiara, on traverse un paysage désertique. Seuls de valeureux baobabs et quelques troupeaux de vaches et de chèvres colorent l’horizon. Dans cet environnement aride et hostile, où la terre est comparable à du ciment, il est difficile de croire qu’en seulement quelques années, tant de verdure et de vie aient pu voir le jour. « Au début, il n’y avait rien, ces terres étaient réputées maudites par les villages alentours. Mais lorsque je suis venu ici, j’ai eu une vision incroyable : j’ai vu des arbres, des gens qui dansent, de la vie. C’est là que tout a commencé… », raconte Éric Toumieux, pasteur au Sénégal depuis de nombreuses années. « Les débuts n’ont pas été faciles. Il a fallu forer à 106 mètres de profondeur pour finalement atteindre une source d’eau parfaitement douce. Le niveau statique est ensuite remonté à 21 mètres. » Quinze ans plus tard, les équipes de la ferme pompent en moyenne 100 mètres cube d’eau par jour pour arroser leurs cultures et le niveau n’a pas bougé.  C’est ainsi qu’est née « l’histoire d’une Bonne Nouvelle » : Beer Shéba, ou « puits du serment »[1] en hébreu. En formant de nombreux étudiants aux techniques de la permaculture et de l’agroforesterie, ce centre de ressources agricoles pour jeunes fermiers nous montre qu’une autre agriculture est possible. Depuis 2012, de jeunes fermiers venus de toute l’Afrique sont sélectionnés pour assister à la formation. Durant 11 mois, ceux-ci disposent d’une parcelle qu’ils cultivent en payant l’eau et les semences. Beer Shéba leur rachète ensuite tout ce qu’ils produisent au prix du marché local (Mbour). « L’année dernière, un de nos étudiants a, en l’espace de quatre mois, sans aucune utilisation de produits chimiques, gagné plus de 500.000 francs grâce à la production de sa petite parcelle ! », déclare fièrement le coordinateur du projet.

Soutenue, la nature reprend ses droits : la régénération naturelle assistée 

Pour contribuer à reverdir le Sahel, Beer Shéba enseigne à ses étudiants une technique particulière d’agroforesterie inspirée d’un fermier zimbabwéen dont le but est de protéger et de stimuler la régénération naturelle des espèces, soit les repousses des souches d’arbres et les arbustes.[2] « Pratiquer la reforestation intensive aurait coûté très cher sans résultats garantis. La terre est trop compacte pour que les racines s’y développent. À la place, nous avons décidé de miser sur les semences qui ont survécu à la saison des pluies et de les encourager à grandir », explique Éric. Cette technique, appelée régénération naturelle assistée, a déjà fait ses preuves sur le site : plus de 60.000 arbres se sont régénérés naturellement sur les 100 hectares du domaine.

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Champs de Moringa dont on extrait les précieuses poudre (feuilles) et huile (grains). © Brieuc Debontridder

 

Paillage, compost et termites, le cocktail gagnant de la permaculture au Sénégal

Pour produire légumes et céréales, Beer Shéba recourt aux techniques de la permaculture, cherchant à tirer profit des relations réciproques des espèces peuplant ses terres. « Alors que la terre n’avait jamais été cultivée auparavant, on produit aujourd’hui en moyenne quatre tonnes de céréales à l’hectare, au lieu d’une tonne pour les paysans de la région. Et je pense qu’on peut arriver à huit ou neuf tonnes au fil des années. », estime Éric. « La permaculture permet de créer son propre sol, à partir de compost et de paillage, que les termites décomposeront en humus. Quel que soit le sol, ça marche », affirme le pasteur. « La richesse de n’importe quel système agricole ou forestier, c’est son sol. Un sol dans lequel la matière organique meurt et revit sans cesse ».

Pour « créer » leur sol, les élèves de Beer Shéba étalent ainsi du compost sur leur parcelle, qu’ils recouvrent ensuite de paillage : le paillage protège contre la solarisation et le dessèchement, le compost, riche en bactéries et en champignons, protège des attaques d’insectes. Quant aux termites, considérées comme l’ennemi numéro un du paysan au Sénégal, elles deviennent en permaculture un véritable allié. De la même façon que les vers de terre en Europe aèrent le sol et transforment la matière organique en humus.

« Un fermier traditionnel a l’habitude de se lever le matin en disant : tiens, je vais tuer qui aujourd’hui ? Les cochenilles, les mouches blanches, les termites ? Un permaculteur se lève le matin en disant : comment je vais attirer un maximum de vie dans mon champ ? »

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Le responsable permaculture explique les associations de cultures © Brieuc Debontridder

Selon les spécialistes de Beer Shéba, il y aurait dans la nature un ratio de 1500 « bons insectes » pour un seul mauvais. La culture conventionnelle basée sur les pesticides de synthèse et les fertilisants chimiques aurait-elle atteint ses limites ? Depuis quelques années, de nombreux experts s‘inquiètent face à notre dépendance à un système agricole énergivore et destructeur, dont même les rendements semblent prendre une courbe décroissante. « Cette agriculture repose sur ce qu’il s’avère être une illusion d’un pétrole pas cher. Il faut actuellement 600 litres de pétrole pour produire une tonne de blé », argumente Éric. « Il y a du pétrole dans les fertilisants, les pesticides, les moissonneuses batteuses… ». La permaculture, souvent perçue comme « alternative » ou « réservée aux urbains en mal de nature », s’avère pourtant être une agriculture extrêmement productive dont on ne connaît pas encore les limites. Rappelons qu’aujourd’hui, l’agriculture paysanne nourrit 70% de la population mondiale.[3]

Élevage et écosystèmes naturels : de bonnes bactéries en guise de vaccins

Beer Shéba est avant tout connu pour sa poudre de Moringa, arbre de vie source de nombreuses vitamines, ainsi que pour ses délicieuses viandes, devenues célèbres sur les marchés comme le Dakar Farmers Market. Ces viandes et charcuteries constituent d’ailleurs près de la moitié des sources de revenus de la ferme. Le secret de ces viandes tendres et goûteuses ? Un élevage sain sans vaccins, qui respecte les écosystèmes naturels. À Beer Shéba, les animaux sont élevés sur un sol forestier recréé à partir de bactéries issues d’eau de riz fermentée ou de l’acide lactique du lait. Ces bactéries sont à la fois répandues sur le sol et introduites dans la nourriture des animaux. Résultat, les animaux ne tombent plus malades, les bonnes bactéries prennent le dessus sur les mauvaises, les excréments s’auto-compostent et les odeurs sont éliminées. « À Beer Shéba, on n’utilise aucun vaccin, excepté celui contre le gumboro, qui se transmet par l’air. », explique l’un des étudiants du centre. « Tout ce qui est transmis par le sol se régule naturellement, avec un peu de paillage, de bonnes bactéries et d’humidité. »

« Dans la nature il y a huit fois plus de bonnes bactéries que de mauvaises. Mais si vous élevez des animaux sur du ciment, ils vivront au milieu de leurs excréments et seront donc entourés de pathogènes. », complète Éric.

La preuve en image lors de la visite de la porcherie, conçue avec une ouverture dans le toit permettant la bioactivité du sol et la circulation de l’air : les cochons y sont bien dodus et en forme, sans avoir été vaccinés ou gavés d’antibiotiques. En prime : ils ne sentent pas mauvais ! « Généralement quand ça sent mauvais, c’est justement parce qu’il y a quelque chose à réguler… ».

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La porcherie de la ferme Beer Shéba © Brieuc Debontridder

Prévenir et sensibiliser pour poser les bases de l’agriculture de demain

Le projet Beer Shéba n’est pas au bout de ses ambitions : un petit hôpital est en train de voir le jour pour y accueillir les villageois de la région et faire de la prévention, notamment sur la question du diabète, véritable tueur silencieux dans le pays : « sur les 8% de Sénégalais atteints du diabète, seuls 2% en sont conscients. Or, si les gens continuent à manger du thiéboudienne tous les jours et à boire sucré comme ils le font, ce chiffre pourrait atteindre les 15% dans les années à venir. », s’alarme Éric. « Les Sénégalais mangent un peu comme les Américains dans les années 70. Il faut que nous agissions pour prévenir cette tendance. »

Le souhait des équipes de Beer Shéba, en plus de convaincre les autorités sénégalaises de la pertinence de leur modèle, est aussi d’inspirer les visiteurs aux pratiques durables de l’agriculture et de l’élevage. Alors, si vous êtes passionné de nature, fan de Moringa ou tout simplement curieux de voir de vos propres yeux cette bulle verdoyante au milieu de la brousse sénégalaise, les équipes de Beer Shéba se feront un plaisir de vous transmettre leurs connaissances et leurs belles énergies.

Nous sommes convaincus que c’est notre génération qui doit changer sa manière de produire et de manger

Pour en savoir plus sur le projet et les visites : http://www.projet-beersheba.fr


[2] DIA, Abdoulaye (dir.); Duponnois, Robin (dir.), Le projet majeur africain de la Grande Muraille Verte : Concepts et mise en oeuvre. Marseille : IRD Éditions, 2010.

[3] Rapport Oxfam, L’agriculture paysanne peut nourrir le monde et refroidir la planète, p.7

Apolline Stockhem
Publié le 21 mai 2019, mis à jour le 6 janvier 2021

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