Abdoul Hadir Aïdara est l'auteur d'un livre passionnant et très documenté sur "Saint-Louis du Sénégal d’hier à aujourd’hui", publié aux éditions Grandvaux (2ème édition, janvier 2019). Son ouvrage est une invitation à découvrir l’histoire tricentenaire de Saint-Louis mais aussi ses extraordinaires richesses tant du point de vue architectural que culturel et sociétal.
Historien de formation, ancien professeur, Abdoul Hadir Aïdara fut également directeur du Centre de Recherches et de Documentation du Sénégal (CRDS) à Saint-Louis pendant plusieurs années. Ce livre est la traduction de son amour pour cette ville où il vécut 23 ans, dans le quartier Sud. Aujourd’hui âgé de 82 ans, il partage avec nous sa passion et sa connaissance de Saint-Louis. Il est également en train de finaliser une biographie sur les grandes figures saint-louisiennes et un roman qui se déroulera à Ndar.
Comment avez-vous eu l’idée d’écrire un livre sur l’histoire de Saint-Louis ?
Je me suis senti attiré, puis fasciné par cette ville bâtie sur une île du fleuve Sénégal. J’ai voulu présenter dans un ouvrage les éléments qui constituent le charme de la vieille ville : le site exceptionnel, la force de l’histoire, le centre d’élégance et de bon goût, la richesse et la qualité de l’architecture, et éveiller chez les lecteurs l’envie d’aller à Saint-Louis.
J’ai dirigé le comité de pilotage en charge de la demande d’inscription de l’île de Saint-Louis sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. J’ai donc mené de nombreuses recherches pour convaincre que Saint-Louis méritait en tant que cité séculaire d’être inscrite sur cette liste (NDLR : le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO a eu lieu en 2000). Pour moi, elle avait tous les atouts nécessaires. Saint-Louis, créée en 1659, a donné naissance à une société, une façon de vivre, une architecture coloniale riche et diversifiée et à des personnalités illustres qui marquèrent le pays.
A la suite de ce dossier, l’idée m’est venue de réunir toutes ces informations sous forme d’un livre afin que les Sénégalais, les Saint-Louisiens aient une meilleure connaissance de cette ville. J’ai bénéficié de l’appui de la coopération française : Bernard Klein, chef de projet auprès de l’Ambassade de France à l’époque m’a été d’une grande aide. J’ai ainsi pu rencontrer Catherine et Bernard Desjeux à la tête des éditions Granvaux. Ce sont des passionnés du Sénégal qu'ils connaissent très bien. Ils ont mené un travail de très grande qualité éditoriale. J’ai également bénéficié du soutien de la région Nord Pas de Calais car Lille est jumelé à Saint-Louis depuis 1978.
Comment avez-vous fait pour rassembler autant de documentation sur Saint-Louis ?
En tant que directeur du Centre de Recherche et de Documentation du Sénégal, j’ai eu accès à de nombreux documents. Le CRDS abrite la plus ancienne bibliothèque du Sénégal, un musée et un centre de documentation très riches. La bibliothèque compte près 20 000 volumes, dont des livres rares et anciens. Le musée dispose également d’une photothèque très fournie. J’ai également utilisé les archives nationales de l’IFAN.
Saint-Louis est une ville d’écriture. Il existe de très nombreux documents de famille, qui renseignent sur le patrimoine immatériel de Saint-Louis. J’ai également rencontré un certain nombre de personnalités, à l’instar de Fatou Niang Siga qui a écrit un ouvrage précieux sur les traditions saint-louisiennes (« Reflets de mode et traditions saint-louisiennes »).
Selon vous, qu’est-ce qui fait la spécificité et la richesse de Saint-Louis ?
Saint-Louis, c’est d’abord un site naturel exceptionnel. C’est également la force de trois siècles d’histoire, une architecture coloniale spécifique et homogène et enfin une identité très forte. Saint-Louis, c’est des valeurs et une manière de vivre fièrement revendiquée et surnommée « domou ndar ». Ce concept renvoie au raffinement, à l’éducation, au sens de l’hospitalité et à la façon de parler si particulière des natifs de la ville. Les Saint-Louisiens se reconnaissent facilement, dans leur façon de parler, de se comporter, de se vêtir. Ces signes distinctifs se retrouvent même dans l’art culinaire. Les traditions, notamment festives, sont fortes.
Saint-Louis n’est pas ethniciste. Les ancêtres des habitants de Saint-Louis viennent de très nombreux pays : France, Mauritanie, Mali, Maroc, Soudan, Côte d’Ivoire, Liban, Cap Vert et de toute la région du fleuve Sénégal. De nombreuses ethnies sont présentes (sérères, wolofs, toucouleurs…) mais avant tout, ils sont saint-louisiens.
Cependant, lorsque la capitale du Sénégal a été transférée à Dakar en 1958, beaucoup de Saint-Louisiens sont partis et n’ont pas vécu cette identité.
Quels dangers guettent Saint-Louis ?
Il y a d’abord le risque de disparition de la langue de Barbarie. Ensuite, le patrimoine privé de Saint-Louis est très menacé. Beaucoup d’héritiers vivent à Dakar ou en dehors du Sénégal et n’ont pas forcément les moyens de restaurer ce patrimoine ou n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les travaux à mener. Le risque est de voir certaines maisons rachetées par des Européens, qui certes, restaurant à l’ancienne, mais vident les maisons de leurs occupants.
Il faudrait que les Saint-Louisiens aient un sursaut, une prise de conscience qu’il s’agit d’un héritage important et qui mérite d’être préservé. Il y a eu quelques rénovations réussies mais ce sont des gouttes d’eau dans la mare ! Par ailleurs, il n’est pas toujours facile de trouver la main d’œuvre qualifiée pour restaurer les maisons.
Quels conseils pourriez-vous donner à quelqu’un qui découvre Saint-Louis ?
Je lui conseillerais d’y aller pendant une période festive (tradition du fanal, festival de Jazz, régates…). Saint-Louis est une ville à la fois vivante, gaie, animée et sûre, qui n’a pas encore les inconvénients et l’encombrement de Dakar. Il faut arpenter les différents quartiers de Saint-Louis et ensuite aller visiter le parc de Djoudj et celui de la langue de Barbarie qui est vraiment magnifique.
Saint-Louis du Sénégal, d’hier à aujourd’hui, Abdoul Hadir Aïdara, éditions Grandvaux, 2ème édition janvier 2019, 11 300 Fcfa (disponible à la librairie Aux 4 vents notamment).