Rencontre avec Anne Lande Peters, norvégienne, traductrice littéraire, à Dakar depuis 2015.
« J’ai vécu les 12 premières années de ma vie au Japon. Mes parents, norvégiens, étaient missionnaires là-bas. Scolarisée dans une école japonaise, j’ai été profondément imprégnée par la culture et la langue japonaises. Puis, nous sommes rentrés en Norvège. J’y ai commencé des études en théâtre que je suis allée terminer au Japon. C’est là que j’ai rencontré mon futur mari, néerlandais, qui était venu faire ses études à Tokyo. J’ai assez vite réalisé que cela me serait difficile d’évoluer dans le théâtre lorsque mon mari a intégré le ministère des affaires étrangères et que j’ai su que nous allions beaucoup voyager. Cependant, j’ai réussi à chaque fois à trouver des opportunités et à m’épanouir professionnellement.
Nous avons successivement vécu aux Pays-Bas, en Indonésie (Jakarta), de nouveau aux Pays-Bas, puis au Japon, aux Etats-Unis, en Belgique, de nouveau aux Pays-Bas puis au Sénégal depuis 2015 où mon mari, Théo, est ambassadeur des Pays-Bas. Et là, nous venons d’apprendre que nous repartons au Japon l’été prochain ! En général, ce sont des postes de 3-4 ans, sauf aux Etats-Unis où mon mari a repris des études pendant un an à Harvard.
A la Haye, j’ai appris le néerlandais. A Djakarta, j’ai été professeur de théâtre et de japonais à l’école internationale. A la Haye, j’ai eu l’opportunité de travailler pour le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Je travaillais avec les différents traducteurs et j’étais chargée d’entrer les témoignages des victimes de la guerre dans une énorme base de données. Au Japon, j’ai commencé une thèse de doctorat en théâtre. J’ai choisi comme sujet le rakugo, une forme de spectacle littéraire japonais humoristique qui date du début de l'époque Edo (1603-1868). Lorsque j’ai commencé à étudier cela, c’était un monde exclusivement masculin. Mais j’ai vu arriver la première femme rakugoka. C’était très intéressant d’étudier comment elle se positionnait dans ce monde très masculin, comment elle cassait les barrières. C’est également durant cette période que j’ai eu nos 3 enfants.
Je me suis également mise à traduire des pièces de théâtre japonaises de Yukio Mishima en norvégien et j’ai un peu mis de côté ma thèse. A Bruxelles, j’ai poursuivi mes traductions. Puis j’ai été approchée pour traduire des œuvres du dramaturge norvégien Henrik Ibsen en japonais. L’Université d’Oslo, soutenue par le ministère des affaires étrangères de Norvège, a décidé en 2009 de produire de nouvelles traductions en 8 langues (l'espagnol, l'arabe, l'égyptien, le chinois, le russe, l'hindi, le japonais et le farsi) de 12 des pièces contemporaines d’Ibsen (100 ans après sa mort). Le but de ce projet est de produire des versions des textes d’Ibsen pour la scène. Il faut savoir qu’en termes de mise en scène, Ibsen est le deuxième auteur le plus populaire dans le monde, derrière Shakespeare. Des séminaires sont organisés deux fois par an pour réunir tous les traducteurs qui présentent leurs premières versions et exposent les difficultés qu’ils ont pu rencontrer. Des experts du Centre Ibsen apportent leur expertise et leur connaissance approfondies des œuvres d’Ibsen. Cela fait maintenant 8 ans que je suis devenue traductrice littéraire et j’aime profondément ce métier !
Lorsque je suis arrivée à Dakar, c’était la première fois que je découvrais l’Afrique. J’étais très curieuse de comprendre ce pays et sa culture. Cela n’est pas toujours évident, mais j’ai trouvé qu’à travers l’art, on pouvait apprendre et comprendre beaucoup de choses. Je fais partie de la commission Art du Dakar Women's Group. Chaque année, est organisée une grande exposition/vente d’artistes (NDLR : cette année, elle aura lieu du 11 au 15 avril 2019). Je prends beaucoup de plaisir à les découvrir. Par ailleurs, l’Ambassade des Pays-Bas est assez active dans le domaine de l’art. Cette année, nous avons par exemple accueilli le gala de danse de l’Ecole des sables de Germaine Acogny. Nous avons également ouvert les portes de la résidence lors de la Biennale d’Art à des artistes sénégalais et africains.
Ce que j’ai préféré au Sénégal ? Les contacts avec les Sénégalais, que ce soit les artistes ou dans les villages, lorsque les personnes t’accueillent, t’invitent à partager un repas ou à danser avec eux. J’ai également eu un coup de cœur pour l’explosion de couleurs et les vêtements. Et j’aime beaucoup la nourriture sénégalaise ! Les oiseaux me manqueront également. Mes endroits préférés sont le Siné Saloum et Saint-Louis.
Ce que j’ai trouvé le plus difficile ? La différence de niveaux de vie et faire face à cette injustice, alors que nous vivons dans des conditions très privilégiées. Comment faire avec de telles inégalités ? Comment lutter contre cette pauvreté ? Je n’ai pas la réponse malheureusement…
Il faut prendre le temps de s’intéresser aux Sénégalais pour comprendre ce dont ils sont fiers (leur musique, leurs danses…). Certaines également ont beaucoup de sagesse, par exemple celles des plantes, mais ne la partagent pas facilement.