Une maison de Nørrebro aimante toujours mes déambulations dans les parages d’Assistens, quand la compagnie des tombes me lasse. Elle tranche par son caractère bourgeois dans un quartier qui comporte aussi des HLM. Frederiksberg n’est cependant pas loin, il est vrai. Le propriétaire du numéro 41 Bjelkes Allé avait, c’est sûr, pignon sur rue. La maison est cossue et se distingue par la petite statue d’un petit lecteur surélevé dans l’enfoncement de la paroi. A y regarder de plus près, il s’agit probablement davantage d’un homme que d’un enfant car la niche qui lui offre un abri vénérable ne permet pas non plus de restituer grandeur nature les proportions d’un corps adulte. Quelque chose cloche un peu dans les proportions. Je préfèrerais avoir à faire à une silhouette enfantine mais il faut se faire une raison, l’architecte n’avait cure de ma subjectivité !
Le sérieux du probable adulte renvoie à une responsabilité de notable. Vêtu tel un romain et drapé dans sa dignité, le citoyen invite à l’exemple - de quoi ? Peu importe ! Un exemple édifiant, n’en doutons pas. Mais si le modèle est plus jeune, le livre offre-t-il un horizon de rêverie plus vaste ? Probablement pas car le livre accapare l’attention de son lecteur au profit de méditations dont la nature échappe mais qui ne semblent pas placées sous le signe de la fantaisie. Je crains pourtant qu’il ne faille de toute façon pencher pour la componction adulte de la statue. Mais la rêverie n’est pas interdite au badaud contemporain qui revisite le décor à l’aune de ses goûts et de ses critères. L’apparat romain à Copenhague déjà bien éloigné du réel autorise quelques entorses.
Un quidam pragmatique qui aurait les pieds sur terre chercherait, lui, à connaître la valeur financière d’une telle demeure. Internet à l’heure actuelle rend accessible l’estimation au quart de tour. Mais quelle tristesse : voilà qui enlève de son mystère à cette résidence qui a été acquise en 2019 pour la modique somme de 1,630,500 DKK ! En revanche la date de construction redore son blason historique. La maison date en effet de 1884 et figure désormais dans un quartier dont un plan local de conservation est en cours. Car la maison n’est pas que la seule pépite de la rue, qui comporte aussi Anna Kirke et Dronning Louise Asylum. Bjelkes Allé a en effet été construit à la fin des années 1870, comme l'une des premières rues entre le cimetière Assistens et l'actuel parc Nørrebro (Havremarkvej) sur Gruau. Le 41 comportait des écuries dans la cour. Nous voilà transportés à une autre époque ! Bien qu’on puisse être témoin encore de nos jours de la balade de chevaux ici ou là, sur la plage de Bellevue, par exemple, cela reste un spectacle exotique et plutôt rare à Copenhague.
Mais faire de la lecture son cheval de bataille est une cause que tout un chacun peut embrasser raisonnablement sans risque de tomber de son piédestal ! La matière, la verticalité, le sujet, tout en impose chez ce romain assez peu hospitalier au fronton d’une demeure qui sait tenir son rang, qu’on se le dise. On est loin du hygge ! La douceur de la lecture enfantine dans le giron maternel telle que dépeinte sur l’image ci-dessous correspondrait bien davantage que cet homme de pierre à l’idée que l’on se fait du foyer danois !
Mais la légère torsion fait échapper notre petit personnage antique à la seule raideur convenue des représentations bourgeoises. Il déroge légèrement au hiératisme et me plaît. Il devient vite une boussole dans mes pérégrinations de quartier. Si la statue semble absorbée par sa lecture et intime l’ordre de passer son chemin, il me convient de faire chaque fois une longue pause pour la faire mentir. La lecture peut être vivifiante et légère. Les librairies en France qui ré-ouvrent ne diront pas le contraire, elles qui savent que les livres ont un besoin vital de n’être pas que pétrifiés. Petit lecteur, anime-toi ! Tu t’exposes, sinon, à être un jour ou l’autre déboulonné ! Gare ! A trop lire sérieusement, vêtu de ta toge peu danoise, n’es-tu pas en définitive un peu toqué ?