Nous retrouvons Clément et son carnet de bord semi fictif d’un Français au pays du grand Søren. Aujourd'hui, second feuillet, les intérieurs danois.
Aalborg, le 12 septembre deux-mille dix,
La découverte d’un intérieur révèle des continents d’intimité. Elle divulgue, à qui sait la déceler, en déchiffrer les mystères ou en humer les significations, l’essence profonde de ses occupants. Montre-moi où tu habites, et je te dirai qui tu es. Jeu infiniment complexe mêlant tentative de démarcation sociale, quête bovaryste d’originalité, accaparement du beau, et volonté matérielle d’enrubanner un quotidien à son image, l’habillement des lieux de vie est fascinant, parce qu’il raconte l’inépuisable diversité des existences et des aspirations de chacun. Tonalités, matériaux, agencements, époques et styles du mobilier, objets ou accrochage mural, tout existe, tout est possible et surtout combinable à l’infini. Du moins, c’est ainsi que je me le suis toujours figuré.
Pourtant, au contact du treizième logis danois qu’il m’ait été offert de visiter
- était-ce chez la facétieuse Mette Steffensen ? -, je déterminais avec certitude que les règles du jeu n’étaient probablement pas tout à fait les mêmes ici. D’abord subjugué, bluffé par la pureté des lignes, la rotondité des abat-jours métalliques en quasi lévitation, l’extraordinaire qualité des meubles en bois clair, le savant mélange de confort absolu et d’esthétique intemporelle de chaque siège, la beauté des vases aux tons pastel, ou des fabuleux chandeliers contemporains aux formes indescriptibles, il me fallut bien, dis-je, pénétrer au sein d’une bonne douzaine d’appartements, pour convenir, d’un commun accord avec moi même, que leurs occupants vivaient, grosso modo, dans des intérieurs désespéramment similaires les uns aux autres.
Mais je m’emporte un peu et la nuance manque à mon propos. Car s’ils m’apparaissent relativement similaires, les intérieurs danois n’ont après tout rien de désespérant. Leur très belle uniformité raconte une histoire intéressante, un fait social sur lequel il est peut-être nécessaire de se pencher. Ce dernier constitue à mon sens, et à la lumière du peu de temps que j’ai vécu ici, une sorte de manifeste culturel : Homogénéité, horizontalité, fonctionnalité, égalitarisme utilitaire jusque dans le dessin du mobilier et de l’art décoratif ! Il me semble entrevoir, dans la récurrence systématique de ces lignes épurées, de ces matériaux nobles et simples, de ces tonalités claires, diaphanes, la déclaration sans cesse répétée, toujours vérifiable, d’une société magnifiquement unie, comme soudée par un pacte, intérieur justement. Un inébranlable lien social dont chaque habitat danois serait aussi la confirmation, le témoignage répété, scandé, projeté aux yeux des autres, et à soi-même. Quête collective de sens, humilité protestante et transparence ontologique des choses, les explications sont certainement multiples et complexes. Sans aucun doute, cela mérite-t-il plus ample réflexion. Affaire à suivre.