Édition internationale

La vie, la mort et les Danois : chronique d’un choc culturel

Cette semaine, laissez-vous transporter par les mots de Sophie Bachet, autrice, qui nous ouvre les portes de sa réflexion et partage ainsi sa pensée avec nous, le temps de quelques mots. Ne manquez pas cette lecture qui certainement résonnera en vous !

girafes girafes
©Daley van de Sande
Écrit par Sophie Bachet
Publié le 27 mai 2025, mis à jour le 2 juin 2025

Connaissez-vous l’histoire de Marius, la girafe ?
Non, rien à voir avec “Marius et Jeannette”. Je vous raconte.
En 2014, Marius, une girafe de deux ans en parfaite santé a été tuée par le zoo de Copenhague. Ensuite, dans ce qui fut qualifié d’”événement éducatif”, elle a été disséquée devant un public, enfants compris, avant d’être donnée à manger aux lions.

 

 

« C’est l’histoire de la vie », diront certains, même si on s’éloigne d’« Hakuna matata ».
La justification du zoo ? Ses gènes étaient surreprésentés dans la population captive de girafes. J’étais en Australie à l’époque, et même dans la lointaine Tasmanie, cette histoire a choqué, mais ne vous méprenez pas : mon article ne porte pas sur l’éthique de l’abattage d’animaux dans les zoos.
Il explore comment le Danemark aborde la mort animale dans l’éducation, et ce que cela révèle de nos propres tabous culturels.

 

 

Ce qui m’a le plus frappée à l’époque, c’est la mise en scène publique qu’en a fait le zoo.
En France, il est probable qu’un tel événement aurait été moins publicisé, voire critiqué, mais les Danois dans leur habituel franc-parler lançaient tranquillement : « Venez voir, nous allons disséquer une girafe ! » Et les Danois ont accouru avec leurs enfants.
Je me souviens m’être révoltée contre cet acte barbare.
Mais comme il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, j’ai depuis commencé ma propre dissection du Danemark et de ses manières - apparemment - sauvages.
Et devinez quoi ?
Peut-être que ce n’est pas de la sauvagerie.
Peut-être qu’en fait, c’est de la biologie.
Et peut-être que c’est ça, l’histoire de la vie ?
Des années plus tard, une scène bien plus anodine en apparence m’a ramenée à Marius. Ma fille est revenue de la maternelle absolument ravie après avoir assisté à la dissection d’un poisson. J’étais stupéfaite, me rappelant ma propre dissection de cafard au collège. L’odeur du formol et les petits œufs dans le corps de la dépouille hantent encore mes souvenirs.
J’avais été horrifiée. Elle, elle était fascinée.
Et peut-être que c’est là le secret.
Cette curiosité pour l’intérieur des êtres vivants ne s’arrête pas là. Quelques mois plus tard, c’est dans la foire agricole du « Roskilde Dyrskue », que j’en ai vu une nouvelle manifestation. Cette foire est un peu comme notre salon de l’agriculture, mais sans les andouillettes et le foie gras.
On y a emmené les enfants et ils ont adoré.
À un moment, nous sommes tombés sur une truie qui allaitait ses adorables porcelets.
« Awwww, trop mignon! »
Mais je tourne la tête, et que vois-je à peine un mètre plus loin ? Une demi-carcasse de cochon. Au Danemark, la tendresse et la vérité brute cohabitent sans filtre.

 

 

Je me suis préparée aux cris ou aux larmes : nous venions de lire Le Petit Monde de Charlotte, et Wilbur le cochon était notre chouchou.
Et là, contre toute attente, il ne s’est rien passé.
Les enfants ont couru vers la carcasse. Ils ont tout touché : « Beurk… c’est rigolo ! »
Bouche-bée, ils ont regardé quelqu’un souffler dans les poumons pour les gonfler.
La vie côtoyait la mort à un mètre de distance.
Et si, finalement, cette transparence avait du bon ?
Dans beaucoup de cultures, les enfants pensent que le bacon vient du supermarché.
Au Danemark, le cochon est là et le bacon aussi.
Plus tard dans la journée, les enfants ont même pu traire à la main le pis d’une vache morte.
Ils étaient ravis. Et je dois avouer que moi aussi, surtout lorsque nous avons réussi à en sortir du lait.

 

 

Comprendre l’intérieur a du sens, puisque nous ne sommes pas que des enveloppes – quoi que TikTok essaye de nous faire croire.
J’ai commencé à me dire que les Danois touchaient du doigt quelque chose d’intéressant.
Apprendre dès le plus jeune âge que la mort fait partie de la vie.
Que ce n’est pas quelque chose à craindre, à cacher ou à ignorer.
Qu’il est parfois moins traumatisant de toucher un cœur ou un poumon que de faire semblant qu’ils n’existent pas.
Peut-être est-ce une question d’héritage Viking. Peut-être simplement une autre relation aux animaux.
Mais quand je dis aux Danois que j’adore manger du lapin, là, tout à coup, c’est moi la barbare.
Alors disséquer une girafe, passe encore.
La manger ?
C’est une autre histoire.
Mais bien sûr, chaque culture a ses propres tabous. Et parfois, les rôles s’inversent. Peut-être que ce sont nos contradictions culturelles qui mériteraient d’être disséquées.

 

PS : Le Roskilde Dyrskue a lieu du 30 mai au 1er juin cette année. Une bonne occasion si vous aussi voulez voir de beaux animaux… vivants et morts !

 

 

Buste de girafe à la maison d'Angleterre au Danemark
Buste de girafe à la maison d'Angleterre ©Sophie Bachet

 

 

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