Thierry Capezzone est d'origine lyonnaise et dessinateur de bandes dessinées, il a participé à de nombreuses séries, dont L'Agent 212, Les nouvelles aventures des Pieds Nickelés. Il a travaillé pour divers journaux dont celui de Spirou. Au Danemark, où il vit depuis 1993, il a développé la série HC Andersen Junior, Rasmus Klump ou des BD historiques comme Daisy, sur les jeunes années de la reine Margrethe 2, et Kongen og Munken (le roi et le moine) sur la période de la Réforme qui a touché le royaume scandinave.
Rencontre avec Thierry qui m’a donné rendez-vous dans son atelier de Frederiksberg. Sur son bureau, un ordinateur et une palette graphique, quant aux murs, ils sont couverts de rayonnages de BD, de préférence des éditions originales précise-t-il. Je pose mes affaires sur un grand carton d’où débordent tous les gadgets, encore sous emballage, qui accompagnaient les revues Pif Gadget de mon enfance !
Peux-tu nous parler de ton parcours ?
J’ai débuté dans les années 80 et en tant que jeune dessinateur, il fallait se battre, c’était très dur. Comme dans tout métier artistique, il faut se faire connaitre, ne pas hésiter à aller taper aux portes, à insister. Par exemple, je suis allé des centaines de fois au Journal de Spirou avant que de guerre lasse, ils ne prennent mes dessins. C’est au journal Spirou que j’ai participé à la série L'agent 212 par exemple.
Je suis arrivé au Danemark en 1993 où la BD était inexistante, à part du Disney et quelques locaux. Tout était à faire, il fallait donner de la matière pour faire découvrir aux gens.
J’ai commencé avec Les aventures de Hans Christian Andersen Junior, un sujet que tous les Danois connaissent. Cette série raconte les aventures imaginaires que l’auteur danois a eu durant sa jeunesse quand son grand-père lui donne un chapeau aux pouvoirs magiques et qui lui permet d’entrer dans ses contes.
J’ai auto-publié le premier album, ça a été un succès - 8000 exemplaires vendus - et les éditeurs sont alors venus vers moi car ils avaient compris qu’il y avait un interêt pour la BD au Danemark ! Un monde à prendre !
J’ai alors fait venir des dessinateurs que je connais comme Hermann, Dany avec qui nous intervenions dans les écoles. J’ai organisé des festivals qui attiraient du monde. Plus tard j’ai créé celui de Art Bubbles dans le Jutland avec des dessinateurs franco-belges, anglais, américains qui est devenu d’ailleurs le plus important du Danemark. J’ai aidé le Festival de Copenhague à attirer des dessinateurs et c’est ainsi que de fil en aiguille la BD a trouvé son public ici.
On trouve les BD dans les librairies généralistes et spécialisées comme Faraos Cigarers. En revanche, la seule chose que je ne suis pas arrivé à faire c’est de commercialiser les BD en supermarchés !
Quels sont les projets auxquels tu as pris part ensuite et ceux auxquels tu participes actuellement ?
Au Danemark, il y avait Rasmus Klump (connu en France sous le nom de Petzi) qui était culte, crée en 1951 par Vilhelm et Carlan Hansen et qui avait été publié dans des journaux sous forme de petites vignettes avec les textes dessous. On suit les voyages en bateau de l'ourson Petzi et de ses amis.
En 2010, j’ai contacté des gros éditeurs comme Casterman qui n’ont pas suivi et finalement un petit éditeur a pris le risque de rééditer Rasmus Klump.
Cela marche très bien au Danemark, en France, en Allemagne, en Suisse. C’est une belle surprise et les tirages montent ! J’étais en Suisse la semaine dernière pour le festival de Fribourg à l’occasion de la sortie du dernier album « Le Noel de Petzi » et les 2000 exemplaires sont partis en 3-4 jours. De nouveaux exemplaires vont être retirés !
Rasmus Klump, c’est un univers très enfantin, un peu désuet, Petzi s’amuse, il est dans la rencontre, la gentillesse et on essaie de créer des histoires en rapport avec le monde d’aujourd’hui.
Le prochain qui sortira l’année prochaine sera sur le réchauffement climatique mais via une approche détournée car Petzi ne recycle pas et n’est pas bio !
Chaque année, je fais un album avec le scénariste norvégien de FLÅKLYPA qui est une pointure.
J’ai travaillé à des BD historiques aussi et donc je réalise alors des dessins plus réalistes.
Il y a Daisy qui raconte la jeunesse de la reine Margrethe. Le scénariste est un royaliste, il m’avait envoyé des gigabites de photos pour que je puisse me documenter !
Il aurait dû y avoir un deuxième album mais ce type de projet demande beaucoup de temps.
J’ai eu l’occasion de rencontrer la reine à cette occasion. Cela a été fabuleux, elle était comme une petite fille qui regardait mes dessins, se souvenait de périodes de sa vie et les commentait, tout cela en français ! A la fin, elle m’a dit :
" M. Capezzone, vous dessinez très bien ! "
J’étais sur mon petit nuage en sortant !
J’ai participé à un projet sur l’histoire de la Réforme au Danemark Kongen og Munken. Le scénario avait été écrit par des enseignants danois. Cela a été deux ans de travail.
Et on vient de me proposer une autre BD historique sur les croisades danoises : des croisés danois partent rejoindre la Terre Sainte mais s’arrêtent en Allemagne et abusent un peu des tavernes teutonnes. Lorsqu’ils arrivent à Jerusalem, tout est déjà fini, ils manquent même de se faire tuer par les soldats de Richard Coeur de Lion. L’album fera 200 pages.
Je fais aussi des albums à colorier pour différents éditeurs.
Désormais, j’ai une certaine notoriété, les gens viennent vers moi et je suis parfois obligé de refuser certains projets !
Pourrais-tu nous expliquer le processus de création d’une bande dessinée ? Comment cela se passe ?
Tout d’abord, il faut savoir qu'au Danemark, lorsqu’on lance un projet, on trouve d’abord le financement et ensuite on se met au travail alors qu’en France, c’est l’inverse : on travaille et ensuite on touche les droits d’auteurs qui tombent.
Donc au départ, les scénaristes envoient leurs textes, il s’ensuit des échanges car selon les cas je peux avoir un oeil sur le scénario et ils me fournissent des documents.
Ensuite, je passe à la phase de découpage qui consiste à passer du scénario écrit à des croquis rapides, avec des plans pour voir comment cela va s’organiser, que les agencements de scènes fonctionnent bien en 44 planches (un peu moins pour les BD pour enfants) sur du papier A4. Il me faut à peu près un mois pour assimiler le scénario et réaliser le story board. Ensuite arrive la phase de dessins.
Je dessine, je « charbonne » au crayon puis à l’aide d’une tablette lumineuse que je place sous mes dessins, je repasse les traits sur un papier fin et avec des crayons les traits pour obtenir les planches. Il s’agit du plus gros du travail, plus ou moins 6 mois et pour les BD historiques où le dessin est plus détaillé c’est encore plus long.
Je ne mets pas de texte, ils seront ajoutés sur ordinateur.
Lorsque j’ai commencé ce métier, dans les festivals, j’allais discuter et demander des conseils, ce qu’il fallait faire pour y arriver aux grands noms comme Morris, le dessinateur de Lucky Luke. Il m’a répondu un seul mot : "discipline ".
On travaille à la maison, il faut savoir organiser son travail, ne pas se noyer, savoir passer d’une histoire et à une autre lorsque l’on travaille sur plusieurs albums. Lorsque l’on va dans les festivals, on rencontre son public, on fait des rencontres, des dédicaces, on oublie tout et ensuite il faut savoir reprendre son travail tout seul chez soi !
Donc il faut la passion qui va te donner l’envie de dessiner, de raconter des histoires, de partir avec tes personnages !
Et c’est la Cerise sur le gâteau de voir les enfants dans les festivals le nez dans mes albums avec des grands yeux écarquillés !
Un grand merci pour cet entretien à Thierry qui se prépare alors à partir au festival Bédéciné d’Illzach en Alsace. Et pour découvrir l’univers de Thierry Capezzone.