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Cannabis : un projet de loi qui divise

Dès 2021, la nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne annonçait sa volonté de dépénaliser le cannabis. Pourtant, à l’heure de la dépénalisation, le cannabis à but récréatif n'a de cesse d'occuper le débat public.

Serre d'une culture de pieds de cannabisSerre d'une culture de pieds de cannabis
© Richard T - Unsplash
Écrit par Perrine Ketelers
Publié le 30 août 2023, mis à jour le 31 août 2023

Un projet de loi pour la dépénalisation du cannabis

Dès leur accès à la chancellerie d'Allemagne, le gouvernement d’Olaf Scholz et la triple coalition avaient annoncé qu’ils se pencheraient sur le sujet. Conforme à leurs plans, le projet de loi sur la dépénalisation du cannabis a été adopté le 16 août 2023. Afin qu’il entre en vigueur début 2024, il doit encore passer devant le Bundestag et le Bundesrat. Retour sur un projet de loi clivant.

 

Qu’est-ce que la dépénalisation ?

La dépénalisation est sensiblement différente de la légalisation. En Allemagne, ce qui est visé serait une dépénalisation du cannabis et non une légalisation. La différence réside dans le fait que la dépénalisation permet d'accepter, de tolérer, un seul type de comportement. 

 

« « Légaliser le cannabis » signifie que la détention de ce produit est autorisée, même si ses conditions de consommation, sa production et sa distribution peuvent être contrôlées et encadrées par l’État ». Ivana Obradovic 

« La dépénalisation peut être définie comme le processus tendant à réduire voire à supprimer l’application de sanctions pénales à l’égard d’un comportement déterminé, en particulier les peines d’emprisonnement ». Ivana Obradovic 

La dépénalisation connait plusieurs modèles possibles en Europe à l’image de l’Espagne et des Pays-Bas.

Au Pays-Bas, le cannabis reste illégal mais il est dépénalisé. Il est possible d’en consommer et d’en acheter dans des endroits spécialisés tels que les fameux Coffee Shops, détenteur de licences. La détention est dépénalisée jusqu’à 5 grammes, au-delà, cela reste illégal. En Espagne, il est possible de consommer et de cultiver du cannabis mais seulement pour sa propre consommation. Toute consommation en public reste une infraction pénale.

Dans son projet de dépénalisation contrôlée, l’Allemagne se rapproche du modèle espagnol.

 

Pourquoi la dépénalisation ?

La pénalisation et la criminalisation du cannabis n’a pas fait ses preuves en Europe. Notamment, car celui-ci a laissé place à un marché noir grandissant qui se retrouve incontrôlable. De même, les produits vendus ne sont donc pas forcément de bonne qualité. Le taux de consommation continue d’augmenter et ce sont les jeunes qui en sont les plus friands.

Selon le Rapport européen sur les drogues de 2022 de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, 15,5% des habitants de l’Union européenne âgés de 15 à 34 ans ont consommé du cannabis au cours de l’année 2022, contre 7,7% pour les adultes de 15 à 64 ans dans l’UE. En Allemagne, les chiffres sont plus élevés avec 16,9% de jeunes, une moyenne plus haute que celle de l’Union européenne. La part de jeunes consommant du cannabis est donc élevée dans l’Union européenne et particulièrement en Allemagne.

Au-delà de ces ingérences, le cannabis crée aussi des problèmes de sécurité. L’Allemagne cherche donc d’autres solutions pour enrayer la circulation de cette drogue. Parmi les solutions évoquées depuis plusieurs années : la dépénalisation du cannabis.

 

Qu’est-ce que cela changera concrètement ?

Ce projet de loi ne donnera pas lieu à l’établissement de magasins de cannabis comme on peut retrouver aux Pays-Bas, même si des projets pilotes seront mis en place. Seule une consommation personnelle sera autorisée sous des seuils très précis et règlementés. Il sera désormais possible de cultiver chez soi jusqu’à trois pieds de cannabis. Bien-sûr, tout cela ne sera accessible que pour les plus de 18 ans.

Par ailleurs, il sera nécessaire de s’inscrire dans un club pour pouvoir acheter du cannabis. En effet, c’est le club qui produira et contrôlera les produits vendus mais régulera aussi les achats du consommateur. Chaque membre aura accès jusqu’à 25 grammes de cannabis par jour et jusqu’à 50 grammes par mois. Des zones seront interdites à la consommation. Ce sont principalement des zones de passages, où des enfants ou des jeunes peuvent se trouver, par exemple à proximité des écoles.

Avec cette mesure, le gouvernement espère pouvoir éliminer, ou en tout cas réduire le marché noir, mais aussi pouvoir contrôler la qualité du cannabis mis en vente dans les clubs. 

 

Une division politique et citoyenne

Malgré ce projet de loi, un réel clivage divise l’Allemagne. Dans un sondage réalisé par « Deutschland wählt », les résultats parlent d’eux-mêmes. (La légalisation prévue de la distribution contrôlée de petites quantités de cannabis est-elle bonne ou mauvaise ?)

 

Die geplante Legalisierung der kontrollierten Abgabe kleiner Mengen Cannabis ist...
Richtig: 50%
Nicht richtig: 45%

"Richtig" sagen Wähler von...
LINKE: 84%
GRÜNE: 68%
SPD: 50%
FDP: 49%
AfD: 36%
Union: 30%

via @ZDF / Forschungsgruppe Wahlen, 1288 tel. Befragte (15.-17.08.2023)

— Deutschland Wählt (@Wahlen_DE) August 18, 2023

 

On retrouve d’un côte la coalition au pouvoir avec les Libéraux, les Verts et la SPD. Les trois partis laissent entrevoir un front uni, ou presque… Certains sociaux-démocrates semblent en plein doutes.  A commencer par Olaf Scholz. Comme à contre-courant de son gouvernement, Scholz a admis ne jamais avoir fumé de joints et qu’il ne compte jamais y céder.  Il a même conseillé aux citoyens allemands de suivre ses traces. Comme on peut le voir sur le sondage, le parti et les électeurs d’Olaf Scholz semblent divisés. Seulement 50 % sont en faveur de la dépénalisation. 

En parallèle, pour les pro-légalisation, la dépénalisation contrôlée n’est pas suffisante. Tandis que, comme le montre le sondage, pour la droite et les conservateurs, c’est une mesure qui va beaucoup trop loin, et qui ne règlera pas les problèmes de marché noir. Selon eux, les mineurs souhaitant s’approvisionner continueront à se tourner vers le marché noir. De même, une différence de prix subsistera entre le marché noir et les clubs de cannabis. Alors, les personnes n’ayant pas les moyens ou ne s’étant pas inscrites dans un club privilégieront certainement la contrebande.

« L’état va ainsi dire devenir un dealer » Klaus Holetschek, ministre de la Santé de Bavière, CSU, pour Arte

Certains craignent aussi le tourisme lié au cannabis, comme aux Pays-Bas.

La question du sondage révèle une autre réalité troublante : 50 % de la population approuve la réforme du gouvernement, tandis que 45 % réfute le projet. Au sein de la société civile, le corps médical craint que le cannabis soit plus facilement accessible pour les jeunes, ce qui aurait des conséquences néfastes.

Loin d’être un consensus, il n’y plus qu’à attendre l’effectivité de ce projet de loi pour en mesurer les conséquences. 

 

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