L’épidémie touche toutes les catégories de la population mais ceux dont le métier les amène à côtoyer tous les jours beaucoup de monde sont bien entendu plus exposés. C’est le cas des petits métiers de rue comme les repasseurs. Que deviennent leurs familles s’ils sont touchés par le virus ?
Arjun, habile et efficace, n’a pas vaincu le virus
Arjun, le repasseur installé au coin de la rue est mort. Le virus l’a terrassé en quelques jours. Depuis combien de temps allumait-il tous les matins son brasero pour chauffer le charbon de bois de son fer ? Personne ne le sait. Il faisait partie du paysage. Sa carriole avec une roue cassée reposait sur des briques empilées. Cela suffisait miraculeusement à maintenir l’équilibre de l’installation.
Malgré son prénom, Arjun n’était pas béni des dieux. Si dans le conte philosophique hindou la « Bhagavad Gita », Arjuna était le protégé de Krishna, un guerrier invincible qui a appris à dompter ses sens et accomplir son destin le mieux possible, notre Arjun était loin d’être un modèle de droiture. Son penchant pour l’alcool lui jouait souvent des tours. Il était né dans une famille de paysans d’un petit village du sud du Tamil Nadu où il avait longtemps travaillé comme ouvrier agricole. Ses parents lui avaient trouvé une femme plus jeune de quinze ans. Sangeita rêvait de la grande ville alors ils y étaient venus dans l’espoir d’une vie meilleure, se fâchant avec les parents d’Arjun. Deux filles étaient nées, aujourd’hui adolescentes. De déboires en déboires, Arjun avait finalement réussi à prendre la suite d’un vieux repasseur en lui payant un loyer pour utiliser son matériel.
Tout le monde dans le quartier le connaissait et appréciait son habilité et son efficacité. Huit roupies par vêtement, la recette journalière n’était pas lourde. Certains jours, la carriole restait fermée, Arjun avait trop bu la veille. Il y a deux semaines, il a été hospitalisé pour grosses difficultés respiratoires. Une de ses filles a tenté de lui rendre visite à l’hôpital mais sans succès. Cinq jours après, la police a prévenu sa femme qu’il était décédé. Son corps ne pouvait être restitué. Le rite funéraire n’a pu être rendu.
Les familles endeuillées sont écrasées par la pandémie
Le gouvernement du Tamil Nadu a annoncé une allocation de 2000 roupies par famille pour le mois mai et le mois de juin. L’aide est attribuée à ceux qui détiennent la « ration card » c’est-à-dire le document qui permet d’obtenir tous les mois gratuitement des produits alimentaires de base comme du riz et de l’huile. D’après le site officiel du Tamil Nadu, plus de 21 millions de « ration cards » seraient en circulation, concernant plus de 68 millions de personnes. Le confinement qui dure depuis un an a fermé bon nombre des guichets publics et certaines familles n’ont pas pu faire renouveler leur carte ou les actualiser en cas de changement de domicile ou de situation. Tous ne pourront donc pas réclamer l’aide exceptionnelle de 2000 roupies. Rappelons-nous qu'à Chennai, le loyer pour une chambre avec toilettes communes est d’environ 5000 roupies par mois. Les familles écrasées par la pandémie, en particulier les femmes isolées avec enfants, risquent de tout perdre, leur santé et leur logement.
Sangeita, la veuve d’Arjun est aujourd’hui totalement perdue. Que faire avec ses deux filles ? Les amis et clients fidèles ont réuni deux mille roupies pour l’aider mais cela ne suffira pas pour payer le prochain loyer et acheter la nourriture de base…