Le monde a les yeux tournés vers un pays accablé par la pandémie Covid-19, l’Inde. Sur place, à Chennai plus particulièrement, la communauté française est aussi touchée par le virus. Nous avons posé quelques questions à des Français atteints, heureusement sans gravité.
Stupéfaction du test positif
Capucine, jeune maman de 34 ans expatriée à Chennai, a un rhume. Pas de quoi s’alarmer, c’est courant ici entre les températures de l’extérieur et la clim de son logement. Mais une légère fièvre nocturne lui met la puce à l’oreille. « Le verdict tombe. Positive. Mon fils de 1 an aussi… c’est un peu le coup de massue où on oscille entre une immense culpabilité et la peur d’avoir une forme grave de Covid. J’inspire un bon coup, je prends mon téléphone et j’écris à tous mes contacts de ces derniers jours. » Quelques jours plus tôt, Joël, 46 ans, vit la même désagréable découverte : « Le samedi 10 avril à 7h15 j’ai reçu un résultat positif au Covid 19. Les symptômes avaient commencé la veille et même si j’espérais être négatif, la réalité était toute autre. Ma première réaction a été la peur, peur d’avoir contaminé ma famille, mes amis, une peur qui ne m’a pas quittée et qui hante encore mes nuits. J’ai appelé et envoyé des messages à tous mes cas contact avec l’aide de mon épouse. ». Alexis, 33 ans, cadre dans le secteur automobile et père de famille, a réagi très vite à la nouvelle « Dès que j’ai su que j’étais positif, j’ai contacté les gens que j’avais côtoyé. Je revenais de voyage, donc le chauffeur bien sûr, le travail, le docteur qui nous a prescrit le test. Avec ma femme et nos deux petits, nous nous sommes isolés à la maison. » Cécile, 44 ans et mère de famille, fait le test sans crainte : « Mon covid a commencé un lundi soir par une grosse fatigue, perte d'appétit et léger mal de gorge. Le mercredi j'ai fait un test sans stress et le jeudi résultat positif. Par la suite, j’étais épuisée en permanence, fiévreuse par intermittence et nauséeuse. »
La Great Chennai Corporation [organe civique qui gouverne la ville], contacte les personnes positives par téléphone, envoie des employés pour désinfecter les logements et des représentants pour vérifier le respect de la quarantaine stricte à domicile : « Côté contrôle, la Great Chennai Corporation m’a appelé deux jours après mon résultat positif, sans doute informée par le laboratoire. L’Indienne m’a posé des questions sur mes symptômes, mes déplacements, et m’a rappelé les règles strictes imposées par le Gouvernement : isolement total pendant 14 jours. Un représentant, plutôt bienveillant, est venu chaque matin sonner à notre porte nous demander comment nous allions et vérifier que nous étions bien à domicile. » raconte Capucine. Cécile a été conseillée de passer des examens : « Dès que mon résultat a été positif le gouvernement est venu et nous a demandé (avec mon fils positif mais en forme) de faire une radio et une prise de sang que nous sommes donc allés faire à l'Apollo (avec tout le monde, sans précaution particulière). Les résultats étaient rassurants. ». Joël nous explique que « 2 agents du gouvernement ont désinfecté notre maison : le sol, les poignées de porte. Ensuite ce sont 4 inspecteurs du gouvernement qui sont arrivés pour poser de nombreuses questions tournant autour de nos liens éventuels avec une autre famille française touchée par le virus. On m’a demandé un isolement strict de 14 jours au sein de mon domicile pour épargner mon épouse et mes filles et c’est ce qui aura été le plus difficile à vivre… » Alexis a aussi reçu un coup de téléphone, savoir s’il était suivi par un médecin, quel médicament il prenait mais n’a reçu aucune visite.
Un quotidien intense et marquant
Les symptomatiques commencent alors une quarantaine stricte d’isolement et de convalescence : « Après un passage à l’hôpital privé pour une radio des poumons et une prise de sang, j’ai ressenti une fatigue extrême, une perte d’odorat et de goût. » raconte Capucine. Alexis se sent plutôt bien : « Je n’ai pas de symptômes graves, au départ j’avais semble-t-il un rhume, puis mes sinus se sont bloqués, accompagnés de maux de tête, en particulier en fin de journée avec de gros coups de fatigue en soirée. Une semaine plus tard, c’était pareil, sauf que j’avais perdu l’odorat en plus. » Joël, lui, s’isole dans la chambre d’amis, et n’a plus aucun contact avec sa famille qui porte des masques et des gants.
L’isolement et la maladie n’ont pas été vécus de la même façon. Ce qui ressort des témoignages que nous avons reçus, c’est que la période a été compliquée sur le plan émotionnel pour certains. Alexis explique qu’il n’a pas peur mais que son quotidien est fatigant, devoir gérer le travail, la maladie et les enfants en bas âge, même si son épouse gère en grande partie leur quotidien. Capucine, elle, est très fatiguée : « Passé quelques jours, pas de fièvre, un taux d’oxygène normal, vérifié sur chacun des membres de la famille plusieurs fois par jour. J’essaye d’aller de l’avant. Mais quelque chose m’en empêche : l’immense fatigue liée au virus. Monter les escaliers ou préparer à manger est une épreuve, et m’occuper de mes fils semble insurmontable. J’ai la sensation d’aller à l’encontre de mon corps à chaque minute. Mon mari sent l’urgence de la situation et m’aide tant qu’il peut, ce qui me permet de me reposer quelques heures. Je mange peu, ce qui n’aide pas à me rebooster… Mes fils ne peuvent pas comprendre que leur maman est épuisée. Ils tournent en rond, râlent, demandent encore plus d’attention… » Chez Joël, l’émotion familiale est palpable : « Pour ma fille de 12 ans, ne pas faire le câlin du soir s’est transformé en des cauchemars qui rythmaient nos nuits. Pour mon épouse, une gestion complète de tout avec l’angoisse de voir les symptômes s’aggraver, peur alimentée par les médecins indiquant que le virus pouvait entraîner des complications respiratoires après un certain nombre de jours. ».
Cécile a vécu 2 semaines d’épuisement, de fièvre, nausées et toux avant d’entrer à l’hôpital car ses poumons étaient atteints mais pas de manière catastrophique car elle pouvait respirer sans aide : « J'étais suivie tous les jours au téléphone par un médecin français lié à notre assurance. C'était rassurant mais à distance ils ont eu du mal à réaliser que mon état se dégradait. Dimanche, je respirais moins bien et ma saturation en oxygène, que je surveillais tous les jours, a fait des descentes alors que mon rythme cardiaque augmentait. Nous sommes partis aux urgences car je commençais à avoir un peu peur de ma situation. J'ai été bien prise en charge. On m'a fait un CT scan qui a révélé que mes poumons étaient atteints à 30%. D'autres examens ont montré une petite infection au cœur. Le soir j'ai été transférée dans un service Covid. Je n'étais pas du tout en soins intensifs ou autre. Je n'ai jamais eu besoin d'oxygène. On m'a donné des médicaments et surveillé pendant une semaine. » Au bout de quelques jours, Cécile sort du service Covid et va dans un service « normal » car plus contagieuse. Aujourd’hui elle est guérie mais fait de la kiné respiratoire et doit surveiller ses poumons.
Culpabilité et reconnaissance
Quand Capucine apprend qu’elle est positive, elle reçoit des messages bienveillants, mais aussi des messages un peu secs et culpabilisants : « Avec le recul, cela me fait de la peine. Et certaines personnes ne m’ont d’ailleurs plus demandé ni donné de nouvelles par la suite ». Elle ajoute que le sentiment de culpabilité, elle le ressent déjà assez au sein de son foyer : « Impossible de m’isoler dans une chambre... Avec deux petits de 1 et 4 ans, en demande permanente d’attentions, de logistique et d’amour, comment aurais-je pu ? Oui, la culpabilité m’a envahie, et si je contaminais mon fils de 4 ans ? Et si cela se compliquait pour lui ? Mais comment faire autrement ? Il ne peut pas se gérer tout seul encore. » Joël nous raconte s’être senti comme un pestiféré : « L’isolement et la peur des autres m’ont fait me sentir un pestiféré, et il faudra du temps pour reprendre une vie normale, ne plus sentir l’angoisse des autres, la culpabilité d’avoir pu contaminer des êtres chers. »
Mais « l’expérience » Covid est aussi été synonyme de bienveillance et de solidarité : « Cette expérience aura aussi été révélatrice de la générosité d’amis que je remercie pour leur soutien : une ratatouille, un jeu de cartes, des livres, du pain, des fleurs ont été quelques-unes des attentions de ces personnes. » témoigne Joël. « Je suis épaulée par mon mari formidable qui gère sa vie professionnelle en parallèle, avec un ordinateur à bout de bras et un enfant dans l’autre. Certains appels pros se passaient tout en jouant aux Legos ou en surveillant le bain. Je suis très reconnaissante. Des amis m’ont régulièrement demandé des nouvelles, m’ont proposé de cuisiner pour nous et m’ont rassuré sur Whatsapp » raconte Capucine. Cécile aussi est reconnaissante envers ses amis : « Ça été une période pas facile pour ma famille mais nous avons eu beaucoup de messages de soutien et des aides pour les enfants. Merci les amis ! »
Aujourd’hui, que ressentent-ils ?
Tout d’abord, ont-ils ressenti la vague qui submerge l’Inde ? Alexis répond : « Je n’ai pas ressenti que l’Inde était submergée par une vague, quand je suis allé à l’hôpital faire des tests complémentaires. En revanche, ce qui est différent par rapport à l’an dernier c’est mon entourage ; Il y a plus de personnes touchées par le covid dans la communauté Française de Chennai. On sent que ça va très très vite… » Capucine ajoute « L’Inde se reconfine petit à petit. Hier, les bars, restaurants, malls, cinémas ferment à nouveau à Chennai. Les plages sont interdites le weekend. Le dimanche est un jour de confinement obligatoire. Les écoles sont évidemment toujours fermées (depuis mars 2020). Niveau saturation des hôpitaux, j’admets n’avoir pas vécu d’affolement lorsque j’y suis allée pour mes examens. J’ai toutefois vu plus de monde à l’entrée, devant une « fever clinic » (lieu d’attente pour les fiévreux sans doute). » Cécile, qui a passé un séjour à l’hôpital, se confie : « Le service Covid était calme, sans stress. Je partageais ma chambre. Le personnel était bienveillant. Les repas étaient de grande qualité. »
Bien sûr, nous ne souhaitons pas généraliser la situation, mais certains témoins qui ont accepté de nous raconter leur histoire ont été marqués par leur contamination, sans gravité soit-elle. Les mots de Joël sont forts « Même si j’ai gagné mon combat contre le virus, j’ai perdu une certaine joie de vivre et je vais vivre avec l’angoisse que le virus touche mes proches. Alors la vie ne sera plus la même, plus de légèreté ni cette petite insouciance qui donnait à l’expatriation cette énergie si forte pour supporter l’éloignement de la famille et des amis en France ou ailleurs. Il faudra puiser cette énergie différemment... » Capucine partage ce sentiment : « Aujourd’hui, je vais mieux et je pense aux personnes qui ont eu des complications bien plus dérangeantes que moi. Ce virus peut terrasser notre énergie et notre équilibre. C’est fou… Je me souviendrai à jamais de cette période de ma vie. Je suis en pleine santé et plutôt solide moralement mais là, j’ai été ébranlée, j’ai parfois craqué ; Et si ma santé s’était aggravée, si loin de mes proches, dans un pays que j’apprécie mais qui n’est pas le mien ? Après avoir accouché à Chennai l’an dernier en pleine 1ere vague, je pensais que l’épisode pandémie était derrière nous… Nous avons sans doute encore beaucoup à vivre et ressentir… » Enfin, Cécile fait un bilan de son expérience : « Finalement j'ai mis trois semaines pour me sortir de ce Covid. Aujourd’hui, je souhaite que mon mari se fasse vacciner. Je me ferai vacciner dans trois mois quand mon immunité sera descendue. »