En quittant Ahmedabad vers le Nord sous le soleil et la poussière, on roule pendant deux heures pour poser finalement le pied à Sidhpur. Et là, dans le quartier des Bohrawads, c’est la stupeur, le choc, l’émotion, la magie inattendue. Les yeux rivés sur les beautés architecturales des bâtiments, le souffle coupé à chaque pas dans ces quartiers désertés, le cœur charmé par l’atmosphère d’antan, déambulant le long de rues entières où s’égrènent des maisons de toutes les couleurs telles des perles enfilées les unes à côtés des autres, chacune plus élégante que la précédente.
Des bâtiments colorés et richement décorés
Toutes ces maisons mitoyennes sont à la fois semblables dans leur style néoclassique européen orné de décorations d’inspiration musulmane et différentes par le festival de couleurs pétillantes, leurs ornements et leurs monogrammes. Quel régal pour l’amateur d’émotions et de photographies !
Quelle magie visuelle en flânant dans ces quartiers, chacun fermé par un beau portail en fer forgé. Les demeures sont vides pour la plupart, plus ou moins bien entretenues, pour accueillir leurs familles lors de retrouvailles ou de mariages.
Demeures de la communauté Dawoodi Bohra
Qui habitent ici ? Ce sont les Dawoodi Bohra, une communauté gujarati très soudée, de commerçants prospères depuis le 19e siècle.
De leurs affaires et leurs voyages, ils ont rapporté ce style architectural et de leur richesse, une envolée vers d’autres cieux comme Mumbai et Calcutta. Ils sont environ 1 million dans le monde, principalement en Inde.
On les reconnaît à leur tenue vestimentaire : Les femmes portent une cape colorée assortie à leur jupe et les hommes sont tout en blanc avec un bonnet bordé de doré. On les croise très souvent à Mumbai, surtout dans le sud de la ville.
C’est une communauté chi’ite qui ne reconnaît qu’un seul chef spirituel (actuellement le 53eme) qui habite Mumbai dans le quartier de Malabar Hill au sud et est vénéré avec ferveur.
La communauté est à la fois très avant-gardiste et en même temps très fermée sur elle-même. On naît Bohra et on meurt de même, pas de choix ni d’ouverture vers d’autre foi.
Les Bohras ont une identité moderne dans la société indienne grâce à leur réussite financière, leurs valeurs philanthropiques et éducatives. Leur prospérité passée et actuelle leur permet de soutenir beaucoup de projets sociaux et surtout de fonder de nombreuses écoles à travers tout le pays.
L'éducation est le fondement de la famille Bohra car une famille éduquée est le garant de la richesse communautaire. Fille comme garçon, chacun est poussé à l’excellence. La proportion de jeunes Bohras diplômés de l’université est très élevée et explique leurs brillants parcours en Inde comme à l’étranger. Chacun participe aux succès de la communauté et en retour chacun y reste.
Des maisons sans cuisine !
A Sidhpur, un détail de taille attise la curiosité : la plupart des maisons bohras ne sont pas équipées de cuisine. Pourquoi ?
Pour libérer les femmes de certaines tâches ménagères et pour leur laisser le temps de s’occuper des affaires familiales, c’est une cuisine communautaire qui se charge de fournir aux familles les repas quotidiens. Quel rêve pour tant de femmes indiennes …
Allez voir Sidhpur … avant qu’elle ne devienne un mirage !
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Sidhpur et les maisons des Bohras, voici deux études d’architectes normalement disponibles en Inde :
- Madhavi Desai’s Traditional Architecture: House Form of Bohras in Gujarat (Galgotia, 2002)
- Zoyab A. Kadi’s Sidhpur and its Dawoodi Bohra Houses (Minerva Press, 2000).
Une série de photos de Sidhpur faites par Sébastien Cortes, photographe américain basé à Pondichéry a été exposée en 2015 à Mumbai au Dr Bhau Daji Lad museum : Sidhpur: Time Present Time Past.
Sidhpur abrite aussi un lieu de pèlerinage pour les Hindous, le Bindu Sarovar, qui est un des 5 lacs artificiels sacrés. C'est l'un des rares endroits sanctifiés par l'hindouisme pour le matru-shraddha (la pratique des derniers rites pour la mère).