Depuis le 20 octobre dernier et jusqu’au 28 janvier 2019, les photographies de Jesús Abad Colorado sont exposées au cloître San Augustin à Bogota. Le photojournaliste propose un témoignage rare du conflit armé colombien. Il nous a parlé de son travail.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis né en 1967, j'ai 51 ans. J'ai étudié le journalisme mais je voulais raconter l'histoire du pays par la photographie. J'avais vraiment peur d'écrire durant mon premier semestre à l'université d'Antioquia (Medellin) parce que de nombreux étudiants et professeurs avaient été tués en 1987 par l'extrême-droite. Ils étaient liés à des projets sociaux autour des droits de l'homme. 19 ont été assassinés en tout. Des assassinats menés par des groupes paramilitaires proches de l'État.
Toute ma famille a été déplacée dans plusieurs régions du pays
Moi, je suis né à Medellin mais mes parents et mes frères ont fui à San Carlos de Antioquia. Toute ma famille a été déplacée dans plusieurs régions du pays. J'ai toujours vu les gens vulnérables souffrir. Alors, voilà je travaille sur les déplacements forcés, les assassinats des personnes vivant à la campagne. Cela a été un long travail de 26 ans dans diverses zones du pays pour commenter les tragédies et voir comment les gens résistaient. Je voulais être solidaire avec eux.
Quel a été votre parcours professionnel ?
J'ai travaillé pour des journaux mais j'ai toujours cherché à exposer. Ma première exposition, c'était en 1981 à Medellin. Ça s'appelait “El color de las comunas” et ça parlait de la résistance menée par les jeunes au narco-trafic dans les quartiers de Medellin. Dans beaucoup de quartiers, ce n'était pas possible de travailler. J'ai alors fait des photos pour montrer comment ils s'organisaient.
Je voulais être témoin de la violence mais aussi de la capacité de résistance des gens
Entre 1982 et 2001, j'ai travaillé dans un journal de Medellin, El Colombiano. Je pouvais raconter tout ce qu'il se passait en Colombie et en Antioquia. La région était marquée par la violence de la fin des années 1980 et des années 1990. Cela représentait la moitié des massacres de Colombie. C'était l'épicentre des grandes violences et d'importantes expériences de résistance. J'ai aussi travaillé dans d'autres régions : Córdoba, Chocó, Guajira. J'ai produit ces documents pour laisser une trace du passé, des éléments de mémoire pour réfléchir. Je suis donc parti plusieurs fois à l'étranger pour donner des conférences.
À chaque fois, je restais 4 ou 5 jours dans les communautés pour prendre des photos. Je voulais être témoin de la violence mais aussi de la capacité de résistance des gens.
Depuis 2001, je suis indépendant. Je fais des expos, je travaille pour des agences de coopération sur des projets de livres. Je souhaitais davantage me consacrer aux thèmes sociaux en zones rurales. Je travaille aussi beaucoup sur le thème des droits de l'homme et des sciences sociales. En somme, sur la mémoire historique de la Colombie.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l'exposition du cloître San Augustin à Bogota ?
J'ai rassemblé environ 550 images. Cela résume tous les moments importants de l’histoire violente du pays. Les gens dans les grandes villes ne peuvent pas vraiment réaliser ce que les communautés rurales vivent. Les peuples afro, indigènes et métis sont les plus affectés par le conflit. Je laisse un témoignage de ce qu'il s'est passé.
Les peuples afros, indigènes et métis sont les plus affectés par le conflit
Le principal problème de la Colombie, c'est la classe politique corrompue. Cette exposition, c'est une manière de rendre hommage aux victimes et de rappeler aux dirigeants qui n'ont pas compris que la solution à ce conflit était d'ordre éthique. Il ne suffit pas d'améliorer la vie des citoyens mais il faut également améliorer la gestion des ressources publiques dans un des pays les plus inégalitaires et corrompus du monde.
Concernant l'exposition en elle-même, il y a 4 salles. « Tierra callada » fait référence à la nature en tant que victime, les traces de la brutalité des hommes sur les arbres par exemple, et les déplacements forcés. Des personnes fuyaient avec des poules et des porcs... La seconde salle : « No hay tinieblas que la luz no venza ». Ici, on retrouve tout ce qui est lié aux assassinats et disparitions de leaders, de professeurs. Ce sont des personnes connues et identifiées par le public. La troisième s'appelle « Aun así me levantaré ». C'est une série de faits et de massacres. Des photos qui parlent de la violence à laquelle ils ont tous participé, tous les coupables. Il y a beaucoup d'images où on sent la douleur.
La dernière salle, c'est celle de la résistance. « Pongo mis manos en las tuyas » évoque le processus de démobilisation et de paix mais ça parle aussi des groupes paramilitaires et du processus de paix avec les FARC.
Cette exposition au cloître San Augustin, espace de l'université nationale, est importante pour moi car mon père a travaillé pour cette université comme ouvrier. Je lui rends aussi hommage. Pour moi, l'université est le lieu de la pensée et des transformations sociétales.
Propos recueillis par Alexis Carrière
Traduits par Julien Bosq
Informations pratiques :
Exposition à découvrir jusqu'au 28 janvier 2019
Ouverte au public du mardi au dimanche de 10h00 à 17h00