« Les soins mère-enfant constituent officiellement une priorité de l’état birman », affirme un médecin travaillant dans le pays. Et c’est pour cela que le cursus de formation des sages-femmes a été revu par le ministère de la Santé et des Sports, avec notamment l’addition d’une année d’étude supplémentaire. Dorénavant, les sages-femmes devront étudier durant trois ans avant de pouvoir exercer, et leur diplôme leur donnera accès aux études supérieures, en master ou même thèse si elle le souhaite un jour. Jusqu’ici, leur formation durait deux ans et elles sortaient avec un certificat reconnu mais pas un diplôme à valeur universitaire.
Le nouveau curriculum a été mis au point en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et inclut bien sûr des cours théoriques et pratiques. Selon une consultante nationale auprès de l’OMS, la Dr Hla Hla Aye : « Une étude en 2018 a montré que les sages-femmes étaient en demande de plus de compétences. […] Nous avons veillé à ce que le nouveau programme leurs permettent de faire face à toutes les situations, comme les soins d’urgences ou les soins post-partum ». Toutefois, les maïeuticiennes n’auront toujours pas le droit de prescription, contrairement à la France par exemple.
Les zones rurales manquent de sages-femmes
La nouvelle formation est dispensée dans 23 écoles à travers le pays et les premiers diplômes seront remis en 2021. À la suite de leurs études, les sages-femmes devront obligatoirement travailler durant trois ans pour le gouvernement ; soit dans des cliniques en ville, soit des centres de soins secondaires dans les villages. Mais les écoles se situant majoritairement dans les grandes villes du pays, comme à Yangon, Nay Pyi Taw ou Mandalay, et l’attrait de la « grande ville » existant autant en Birmanie qu’ailleurs, il est probable que les cliniques auront plus la cote.
C’est entre autres ce qui explique que de nombreuses zones rurales manquent de sages-femmes. Avec malheureusement des conséquences sur la santé mère-enfant. Selon les données de la banque mondiale, la mortalité infantile des moins de 5 ans s’élevait en 2018 à 46 pour 1 000 naissances ; et selon les données d’une enquête démographique sur la santé en Birmanie réalisée en 2016, ce taux grimpe à 104 décès pour 1 000 naissances dans l'état reculé du Chin, ce qui est énorme (l’Afghanistan, pays avec la mortalité infantile la plus élevée de la planète, connaît un taux de 108/1000). Aussi, d’après cette même étude, sur 100 000 accouchements, entre 131 et 323 femmes décèdent, une fourchette large car les données précises sont peu solides. Là encore c’est dans tous les cas un chiffre élevé.
Diabète et sous-nutrition
Élise Lesieur, responsable du secteur Nutrition/Santé de l’organisation non-gouvernementale (ONG) Action Contre la Faim (ACF), et elle-même ancienne sage-femme, éclaire un peu les raisons de ce manque de maïeuticiennes dans les campagnes : « Les écoles sont dans les grandes villes. Les diplômées ne veulent pas s’installer dans des zones rurales dont ils ne sont pas originaires et dont souvent ils ne parlent pas la langue ». Dans de nombreuses régions ethniques en effet, la langue vernaculaire n’est pas le birman. Un biais dont le gouvernement comme l’OMS ont bien conscience. « Il y a des procédures de recrutement pour accéder à la formation. Et il est vrai que les jeunes femmes venant des zones reculées ont plus de difficultés pour y accéder », reconnaît la Dr Hla Hla Aye.
La mortalité infantile est notamment due au diabète : entre 20 % et 40 % des femmes enceintes en souffrent. Cette maladie provoque une augmentation des naissances prématurées, de la cécité, des accidents cardio-vasculaires et des fausses couches. L’alimentation basée sur le riz, un féculent donc riche en sucres, est un facteur aggravant. En outre, le diabète peut se transmettre au nourrisson, qui aura alors plus de risques d’être en surpoids. Mais le diabète n’est que l’une des causes de ce taux élevé de décès chez les enfants qui place la Birmanie dans le dernier quart des nations du monde. « Une grande partie de la mortalité infantile est due à la sous-nutrition, de nombreux bébés naissent avec de tout petits poids. Des infections et des cas de détresse respiratoire sont aussi en cause », témoigne Élise Lesieur. ACF intervient dans une dizaine de centres de santé dans l’Arakan, qui est la partie du pays qui rencontre le plus de problèmes nutritionnels : « Quand les femmes allaitent, elles viennent avec leurs enfants pour des problématiques de nutrition. À ce moment-là, on dispense en parallèle des soins post-partum ».
Des ONG appuient le gouvernement pour la formation des sages-femmes
Le rôle des sages-femmes est de veiller au bon déroulement des grossesses et des accouchements en assurant les soins prénatals, les soins post-partum et en s’occupant des nouveau-nés. Elles peuvent également assurer une sensibilisation à la contraception. Leur formation requiert donc de multiples connaissances et savoir-faire. C’est pourquoi en parallèle de la formation initiale gouvernementale, des ONG dispensent des formations continues. Pour veiller à ce que la transmission du savoir s’effectue sur le long terme, l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) forme les équipes médicales pour qu’elles puissent être à leur tour en mesure de dispenser des formations. MSF intervient jusqu’à ce que la main-d’œuvre locale soit indépendante dans son travail et délivre un certificat à la fin de la formation.
Pour aider le personnel soignant à avoir une activité pérenne, l’ONG met en place des feuilles de procédures pour que ce personnel puisse garder un support auquel se référer. Bien entendu, cela ne remplace pas la pratique concrète. « Il est plus instructif de pratiquer que de lire un PowerPoint », atteste Laura Latina, référente de la santé reproductive de MSF. Elle poursuit : « Il est important de transmettre un savoir sur la contraception et les procédures d’urgence. Mais je pense que le plus important est d’apprendre à travailler en équipe et s’assurer que les patientes soient écoutées ».
« Les sages-femmes sont perçues comme une menace ».
En effet, une prise en charge respectueuse des femmes n’est malheureusement pas une chose évidente. Une étude de l’OMS publiée en 2019, réalisée en Birmanie, au Ghana, en Guinée et au Nigéria auprès de 2016 femmes, révèle que 42 % des femmes enceintes subissent des violences physiques et verbales lors de l’accouchement. Les violences physiques concernent 14 % d’entre elles, le plus souvent sous forme de gifles et de coups de poing. Aussi, des examens vaginaux, des césariennes et des épisiotomies – incision de la vulve pour faciliter l’accouchement – sont pratiqués sans consentement. Ce qui explique, en partie, la réticence des femmes à pratiquer des examens gynécologiques.
Dans certaines minorités ethniques, notamment chez les Karen, les femmes ressentent une honte face au fait de montrer leurs jambes ou encore face à la prise en charge par un personnel masculin. Ces femmes préfèrent donc accoucher chez elles, aidées par leurs aînées et des guérisseuses. Les méthodes sont très éloignées de l’approche occidentale. Ainsi, le rôle des guérisseuses est de lancer des sorts pour apaiser les esprits et les médicaments administrés sont à base de racine d'Euphorbiacée. Dans ces zones, « les sages-femmes sont perçues comme une menace [au travail des guérisseuses] », explique la Dr Hla Hla Aye. Qui précise que la plus-value des sages-femmes n’est pas toujours comprise par ces communautés. Pour elle, le gouvernement et les communautés doivent apporter plus de soutien aux sages-femmes pour que leur rôle soit accepté.
15 000 sages-femmes en Birmanie
Mais l’accouchement au domicile n’est pas toujours choisi et il peut être subi : « Dans les zones rurales, il y a des difficultés liées aux transports. La sécurité des équipes médicales lors de leurs déplacements n’est pas toujours assurée », explique un membre de l’équipe de développement social d’un quartier de Bawlakhe, une ville qui se situe dans l’état de Kayah. État dans lequel 75 % de la population n’a pas accès à des infrastructures de santé.
En janvier, les États-Unis ont annoncé une participation de 134 millions de dollars (119 millions d’euros) pour la santé. Lors d’une visite dans une école formant les sages-femmes à Taunggyi, dans le Shan, l’ambassadeur américain a mis en avant leur rôle primordial « pour assurer des services vitaux à toutes les femmes et tous les enfants ». Aujourd’hui, environ 15 000 sages-femmes exercent dans le pays qui compte 54 millions d’habitants. Le 20 juin, le ministre de la Santé et des Sports, lors d’une visite à l’école d’infirmières de Mandalay, a annoncé que la priorité du gouvernement est l’augmentation du nombre d’infirmiers et de sages-femmes, sans préciser comment cela sera mis en place.