Il semble ne pas se passer de semaine sans qu’un fait divers sordide ne vienne tristement éclairer le difficile quotidien de l’immense majorité des Birmans. Cette fois-ci, il s’agit d’un accident de la route, devenus de plus en plus nombreux et graves puisque la plupart des conducteurs birmans n’ont jamais vraiment étudié le code de la route et les rares qui s’en sont donnés la peine ne l’appliquent de toute façon guère plus que les autres : tous sont ignorants, ignorants des règles, ignorants des risques, ignorants des autres. L’automobiliste birman est seul au monde, seul sur la route, seul à circuler… Parfois juste accompagné de son téléphone portable qu’il n’hésite pas à utiliser en conduisant. Tant qu’à faire ! Pour l’automobiliste birman, les autres ne sont pas des usagers mais une gêne à éliminer. Multipliez par quelques dizaines de milliers ce comportement typique d’une immense majorité de véhicules et le danger se retrouve à chaque rue.
Un passage piéton ? L’automobiliste birman se demande encore quelle folie a pris les autorités de dépenser autant d’argent pour décorer la route de bandes transversales… Un feu piéton vert au feu ? Et alors, mon feu à moi aussi est vert, et j’ai bien le droit de tourner… Quelle importance si j’en écrase un ou deux. Les rues de Yangon sont devenues une jungle routière où la loi du plus fort l’emporte sur le respect du voisin. Une hiérarchie s’impose vite : plus on est gros et lourd, plus on se donne des droits ; le bus joue les supers-prédateurs, tout en haut de la pyramide « autologique », suivit de près par le camion. En dessous, le plus dangereux des véhicules est le hi-jet, ces petites camionnettes dont les conducteurs se comportent souvent comme des forcenés et ignorent qu’ils disposent d’une pédale de frein et surtout d’à quoi elle sert. Tout en bas de l’échelle, voué au sacrifice, le piéton et le deux-roues, victimes expiatoires de la politique de la bagnole avant tout qui a caractérisé les cinq dernières années de « développement » de l’agglomération de Yangon. Et si vous ajouter l’arrogance que donne l’argent à la bêtise que génère le volant, vous obtenez le drame de ce dimanche : une morte, un blessé grave et un conducteur aujourd’hui en prison mais qui va faire jouer toutes ses relations pour ne pas y croupir trop longtemps.
L’impunité des chauffards en Birmanie
Dimanche 29 novembre vers midi trente, un homme de 26 ans au volant d’un gros SUV noir heurte la motocyclette qui est devant lui. Il tue sur le coup la passagère de 30 ans et happe son mari de 43 ans qui se retrouve coincé sous le véhicule. Situation fort inconfortable puisqu’avec ce sens du civisme et du devoir qui caractérise tant d’individus s’acharnant à essayer de conduire en Birmanie, le conducteur a préféré fuir l’accident et ses responsabilités pour rentrer tranquillement chez lui… en traînant le motocycliste sur des centaines de mètres, jusqu’à son garage ! La scène a eu une dizaine de témoins qui ont aussitôt appelé une ambulance pour la femme – trop tard… - et les pompiers pour l’homme. C’est d’ailleurs en suivant les traces laissées par le corps du malheureux sur l’asphalte que cinq pompiers, avec le renfort de policiers, ont localisé la victime et forcé alors l’entrée de la demeure afin que des secouristes puissent désincarcérer l’homme de dessous le SUV, non sans devoir découper de la tôle pour cela tant le motocycliste, inconscient, était imbriqué dans le métal. Le pauvre a été conduit à l’hôpital général de Yangon avec des blessures graves et il a été opéré du cerveau dans la soirée.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, le conducteur n’a été arrêté que le lendemain et seulement alors mis en prison préventive sous l’inculpation de « homicide par imprudence ». Il faut en effet être bien imprudent pour percuter un deux roues devant soi en plein jour puis draguer un corps humain sur des centaines de mètres sans songer à s’arrêter. Indice qui a soulevé l’indignation de la toile birmane, ni l’adresse, ni l’identité du chauffard n’ont été rendue publiques alors que dans des cas de culpabilité bien moins évident, la police ne se gêne en général pas pour donner les noms des suspects avant même leur procès.
Même si la fuite en cas d’accident de la route est un comportement banal en Birmanie – plusieurs chauffeurs de bus sont même partis en courant après avoir percuté des piétons ou d’autres véhicules -, le cynisme invraisemblable de ce conducteur « imprudent » a enflammé le Facebook birman. Pour les internautes, prolixes de commentaires, l’équation est simple : un homicide avec fuite et avec un corps entraîné sous le véhicule, circonstances pour le moins aggravantes, devient un simple homicide par imprudence ; la voiture en jeu est coûteuse ; l’anonymat est respecté ; il s’agit donc d’un individu avec un gros carnet d’adresses qui s’est senti tout-puissant et n’a pas hésité à percuter la mobylette – une machine appartenant au service des postes et qui servait à distribuer du courrier – avec la désinvolture et le sentiment d’impunité de ceux qui ont des relations haut placées et savent être au-dessus des lois, une attitude pour le moins courante et commune chez les riches Birmans.