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Le gouvernement birman désavoué par la Cour internationale de justice

Les juges de la Cour internationale de justice le 23 janvier au moment de rendre leurs premières décisionsLes juges de la Cour internationale de justice le 23 janvier au moment de rendre leurs premières décisions
Les juges de la Cour internationale de justice le 23 janvier au moment de rendre leurs premières décisions
Écrit par Rédaction lepetitjournal.com Birmanie
Publié le 23 janvier 2020, mis à jour le 23 janvier 2020

« Il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux populations musulmanes » désignées comme Rohingyas, a estimé la Cour internationale de justice (CIJ) ce jeudi 23 janvier. En conséquence de quoi, la Cour ordonne à la Birmanie de prendre des mesures concrètes pour protéger ces populations musulmanes, mesures qui doivent « prévenir tout crime » contre les quelque six cent mille musulmans qui se trouvent toujours dans l’état d’Arakan. La Cour ordonne notamment au gouvernement birman d’empêcher « les meurtres ou les atteintes graves à l’intégrité physique et mentale des populations musulmanes vivant dans l’Arakan ». Les juges demandent que « les conditions de vie de ces populations cessent d’être telles qu’elles puissent entraîner leur destruction totale ou partielle ». La Cour va même jusqu’à demander que cessent ce qu’elle appelle « les mesures visant à entraver les naissances ». Les magistrats ont aussi enjoint au gouvernement birman de faire en sorte que ni l’armée ni des groupes armés qui lui seraient affiliés « ne participent à ou n’incitent directement et publiquement à ou ne se livrent à une tentative de génocide ».

Au final, si les magistrats n’ont pas encore répondu officiellement à l’accusation de violation de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide – accusation qui est au cœur du dépôt de plainte de la Gambie contre la Birmanie – tout dans leur sentence provisoire indique qu’ils soupçonnent fortement que ce crime a été perpétré. La Cour exige d’ailleurs que Nay Pyi Taw lui rende un rapport dans les quatre mois à venir sur la situation dans l’Arakan, puis que lui soit envoyé tous les six mois un compte rendu détaillé des mesures prises pour protéger les populations musulmanes dans cet état.

Les juges ont donc de fait rejeté tous les arguments que Daw Aung San Suu Kyi avait énoncés lors de sa défense de son pays durant les auditions de la CIJ à La Haye en décembre dernier. La complexité de la situation dans l’Arakan ? Les juges reconnaissent que le conflit armé existe sur place mais estime que cela ne justifie en rien la violence et la gravité des crimes perpétrés par des représentants de l’autorité de l’état. Pire, selon les juges « depuis l’indépendance de la Birmanie, ces populations musulmanes ont été déclarées apatrides et privés de leurs droits ». La manœuvre de la Conseillère d’état, qui avait consisté à épingler légèrement l’armée régulière en concédant qu'il y avait peut-être eu des crimes de guerre, a donc fait long feu. Des initiatives de réconciliation sont en cours ? Les magistrats ne cachent pas leurs doutes, pour qui « ces mesures ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour écarter la possibilité que soient commis » des crimes encadrés par la Convention sur le génocide.

Pour parvenir à ces premières décisions, les juges se sont fondés sur les rapports de plusieurs missions d’enquête des Nations unies ainsi que sur des décisions de l’Assemblée générale. Les quinze juges, tous de nationalités différentes et tous élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies, ont rappelé que la Convention sur le génocide a été rédigée « dans un but humain et civilisateur » et qu’en conséquence refuser à une communauté le droit d’exister « bouleverse la conscience humaine, inflige une grande perte à l’humanité » et est « contraire à la loi morale ainsi qu’à l’esprit des Nations unies ».

La décision doit désormais être transmise au Conseil de sécurité des Nations unies, dont au moins l’un des membres – la Chine – soutient la Birmanie dans cette affaire, ce qui devrait limiter l’action du Conseil à l’encontre de Nay Pyi Taw. Comme en outre la CIJ ne dispose d’aucuns moyens coercitifs pour faire appliquer ses décisions, la Birmanie n’a rien à craindre de concret dans l’immédiat de la part des Nations unies. Reste qu’à la sortie du tribunal, la délégation birmane est restée muette lorsque celle de la Gambie criait victoire. Il va falloir encore des années avant qu’un jugement final soit prononcé mais cette première étape constitue déjà une véritable déroute pour la Birmanie, à la fois dans son système de défense qui s’est avéré totalement inefficace et pour son image aujourd’hui encore plus détériorée sur la scène internationale.

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