La pandémie de Covid-19 n’a non seulement pas freiné les trafics d’êtres humains en Birmanie, mais elle pourrait même les avoir accentués si l’on en croit les données de la force d’intervention spécialisée de la police sur ce type de crime. La précarité nouvelle qui touche les populations civiles pourrait avoir créer encore plus de victimes, avec la Chine comme destination pour l’écrasante majorité d’entre-elles.
Pour les mois de mars et avril, la police rapporte 15 cas identifiés de trafics humains : neuf cas de mariage forcé à des ressortissants chinois en Chine, un cas de mariage forcé, trois cas de prostitution forcée et un cas de travail forcé en Birmanie et un autre cas de travail forcé en Malaisie. Entre toutes ces affaires, les autorités annoncent l’arrestation de 42 suspects, et la libération de 24 victimes. Sur les 239 cas de trafics humains résolus la police birmane en 2019, 196 concernent des mariages forcés. Les autres cas se divisent entre prostitution, adoption forcée, travail forcé et grossesse de substitution. Dans la plupart de ces, les victimes sont des femmes des ethnies des états de Kachin et de Shan, deux états birmans qui partagent des centaines de kilomètres de frontière avec le voisin chinois.
Un mariage forcé peut rapporter entre 3 000 et 13 000 euros au trafiquant
Or, le passage de la frontière entre ces deux états et la Chine, dans les deux sens, s’est d’abord restreint avec le début de l’épidémie en janvier, avant d’être même interdit lorsque les frontières ont été fermées, entre mars et avril selon les lieux. L’effet le plus visible de ces restrictions est la chute du commerce transfrontalier. Au mois d’avril, les autorités frontalières chinoises ont rendu ce passage d’autant plus difficile qu’elles demandent 10 yuans (soit 1,30 euros) de droit d’entrée par chauffeur de camion, sous peine de se voir interdire l’accès. Pourtant ces limites à la circulation ne semblent pas avoir gêner les trafiquants d’êtres humains, dont la Chine reste la destination privilégiée.
Le trafic de femmes Kachin et Shan vers la Chine pour être mariées et porter un enfant n’est pas un phénomène nouveau. Dans un rapport de la John Hopkins Bloomberg School of Public Health paru fin 2018, il est estimé que 7 500 femmes originaires de ces deux états ont été victimes d'un mariage forcé en Chine entre 2013 et 2017. Sur la base d'entretiens avec des dizaines de victimes qui ont réussi à fuir pour rentrer en Birmanie, entretiens renforcés par plusieurs témoignages collectés en Chine, l'étude a révélé que la majorité des victimes étaient également forcées de porter un enfant pour leur mari.
Un mariage forcé peut rapporter entre 3 000 et 13 000 euros au trafiquant, birman ou chinois, qui apportera la future « mariée » à son client. Il ne reversera qu’un peu moins de 10% de cette somme à la victime ou à sa famille. Certains témoignages, eux, parlent plutôt d’une rançon que la famille de la victime doit verser au trafiquant dans l’espoir de récupérer leur fille.
En Chine, environ 34 millions d’hommes « en trop »
Le gouvernement birman a pris un certain nombre d’initiatives pour lutter contre la traite d’êtres humains. En 2004, le pays a signé la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et le protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes. L’année d’après, la loi contre la traite des personnes a été promulguée, qui définit comme crime tout trafic d’êtres humains. Le pays a signé des accords bilatéraux condamnant la traite des êtres humains avec ses voisins, la Thaïlande et la Chine. En 2017, le gouvernement a également augmenté le nombre de personnel des unités d'application de la loi de 2005 et des équipes spécialisées dans la lutte contre ces trafics. Malgré tout cela, le cadre juridique manque toujours de clarté dans ses procédures, de budget pour ses équipes et de moyens d’application.
Le phénomène des mariages forcés en Chine vient de la politique de l’enfant unique, mise en place entre 1979 et 2015. Cette loi, destinée à réduire la croissance de la population en parallèle de la politique des Quatre Modernisations ayant pour but d’augmenter le niveau de vie, a limité le nombre d’enfant de la plupart des familles chinoises à un. Dans la société chinoise de l’époque, l’épouse entre dans la famille de son mari, et s’occupera de ses beaux-parents, et non pas de ses parents biologiques ; ceci, associé à la tradition patrilinéaire (la transmission par héritage se fait par le lignage masculin), donne aujourd’hui un déséquilibre démographique entre hommes et femmes, atteignant près de 120 hommes pour 100 femmes à son pic en 2004, soit environ 34 millions d’hommes « en trop ».
Les populations Shan et Kachin sont les premières victimes de ce trafic, non seulement de par leur proximité géographique avec la Chine, mais aussi à cause de l’intensification des conflits armés depuis la fin des années 2000. L’armée birmane a rompu un couvre-feu qui maintenait ces régions dans un état de relative stabilité après des décennies de guerre, provoquant le déplacement à ce jour de plusieurs centaines de milliers de civils, proies potentielles. La pandémie actuelle et ses conséquences économiques ne font que renforcer la vulnérabilité de ces civils. La perte d’un emploi ou l’isolation sociale sont en effet des facteurs aggravants de la précarisation.
Les autorités frontalières font peu d’efforts pour enrayer le trafic
Dans des conditions de fragilités économique et émotionnelle accrues, des femmes se voient proposer des offres d’emploi en Chine, et les moyens de s’y rendre. Elles sont ensuite revendues à des familles chinoises confrontées à des difficultés pour trouver des épouses à leurs fils. Une fois qu’elles ont donné naissance à un enfant, dans des conditions allant jusqu’au viol répété d’après les témoignages de survivantes, certaines sont relâchées ou rançonnées, et peuvent rejoindre la Birmanie, à condition de laisser leur enfant derrière elles.
Les autorités frontalières font peu d’efforts pour enrayer le trafic, et sont parfois accusées d’être même complices. Plusieurs familles de victimes ont raconté avoir imploré la police birmane ou la Kachin Independance Organisation, l’organisation politique rebelle qui contrôle de fait certaines portions du territoire de la Birmanie, et avoir juste été refoulées. Elles se sont vues demander des pots-de-vin en échange d’une aide policière. La police chinoise, elle, place parfois les victimes qui se sont échappées en état d’arrestation pour immigration illégale.
La violence à l’encontre des femmes et des jeunes filles est la forme la plus répandue de violation des droits de l’Homme à travers le monde. Environ une femme sur trois subira une agression physique ou sexuelle au cours de sa vie.