Même si ce sont elles que l’on montre sur les images publicitaires pour le pays, en lone gyi traditionnel et tout sourire au vent, il ne fait pas si bon être une femme en Birmanie… en tout cas si l’on en croit le récent classement publié par le Georgetown Institute for Women, Peace and Safety, qui depuis 2017 élabore et publie un indice par pays sur la situation des femmes en matière de bien-être, de droits, et de sécurité. Et par rapport à la première publication, la Birmanie régresse de 31 places, pour un triste 150ème rang, sur 167 pays évalués, juste devant l’Egypte et la Mauritanie mais loin derrière…le Bangladesh, par exemple. « Un comble d’en être là pour un pays dirigé de fait par une femme. Si c’était un homme, je n’ose penser où nous en serions… », commente une militante birmane pour les droits des femmes.
Alors certes, il est toujours possible de questionner de tels classements car leurs critères sont systématiquement idéologiques et correspondent par essence aux croyances de leurs concepteurs. Les données que l’indice Georgetown prend en compte sont toutefois celles, officielles, que publient les gouvernements eux-mêmes, l’Organisation internationale du travail, les Nations-Unies, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), la Banque mondiale et quelques autres instances internationales de premier plan. Ensuite, les catégories que l’indice prend en considération sont le rôle que les femmes jouent dans la société (inclusion), leur reconnaissance en matière de droit (justice) et la manière dont elles sont protégées de violences de toutes sortes (sécurité). Les indicateurs évalués sont entre autres l’accès à l’éducation ou celui au téléphone portable, la présence dans les instances décisionnelles - dont les organismes politiques -, la manière dont le droit et la justice protègent les femmes en théorie et en pratique, les cas répertoriés de violences qu’elles subissent, en privé comme de façon organisée…
A ce triste jeu, la Birmanie stagne parmi les mauvais et les très mauvais élèves. A blâmer, évidemment, les conflits ethniques, surtout celui qui se déroule dans l’Arakan, « conflits dans lesquels les femmes et les enfants sont les premières victimes de la violence provenant de tous les bords, souvent utilisée et organisée comme arme de guerre tant par l’armée birmane que par les groupes qui s’opposent à elle », juge l’un des rédacteurs du rapport.
Mais mettre la discrimination sexuée sur le dos de la seule violence militaire serait un peu court, et très facile. Car comment expliquer qu’il faille des années pour parvenir à concevoir et voter une loi sur la protection des femmes ? En septembre dernier, l’ambassadeur de l’Union Européenne en Birmanie, Kristian Schmidt, critiquait vertement les reports systématiques du vote d’une loi de Protection et Prevention des violences faites aux femmes, sur laquelle les gouvernements sont supposés travailler… depuis 2013. « Six ans pour une loi nous semple plutôt lent… » ironisait-il ouvertement. Le commentaire outrageusement sexiste et irrespectueux du Premier ministre de la région de Bago voilà trois semaines – verbalement condamné par certains mais resté pour l’instant sans aucune sanction – montre également comment la plupart des hommes de Birmanie perçoivent les femmes : mal… Ainsi, l’indice montre que le nombre de décès de femmes dus à de la violence organisée est passé de 0,98 à 1,60 pour 100 000 habitants, pas loin de doubler. En politique, seulement 13% des parlementaires fédéraux sont des femmes. Et la liste des obstacles à l’égalité homme/femme est longue : l’éducation - les familles pauvres donnant la priorité aux garçons pour la scolarisation ; l’indépendance financière, l’emploi - les postes supérieurs allant surtout aux hommes ; le droit – il existe encore 35 lois discriminatoires contre les femmes dans les codes birmans… Si la Birmanie n’est malheureusement pas le seul pays où l’égalité homme/femme n’existe pas – selon l’indice, cette égalité n’existe que dans quelques nations du monde, dont la France ne fait d'ailleurs pas partie -, elle reste à la traîne dans à peu près tous les secteurs.
Le machisme et la violence sont quotidiens, par exemple dans les bus où bien des femmes sont harcelées ou tripotées dans la cohue, trop souvent sans oser dire quelque chose ou sans obtenir le soutien des autres voyageurs si elles se manifestent. A tel point que bien des Birmanes limitent leurs déplacements en bus à certaines heures, limitant aussi de fait leur accès à la liberté de déplacement. Et seulement 69 % des interrogées disent se sentir en sécurité dans leur quartier, un chiffre en baisse de 76% par rapport à 2017 !
Enfin, la dernière raison de ce 150ème rang pitoyable de la Birmanie est qu’en deux ans plusieurs pays se sont améliorés en prenant des mesures positives en faveur des femmes. Le fait que plusieurs rapports sur le développement économique parus ces dernières années indiquent que plus les femmes sont discriminées, moins l’économie est dynamique et plus le pays a du mal à évoluer, n’y est pas étranger.
Dans la région, les pays en tête sont Singapour, 23ème, le Japon, 29ème, la Corée du Sud, 33ème. Dans le monde, les pays scandinaves et la suisse caracolent en tête (Norvège 1ère, Suisse 2ème, Danemark et Finlande 3ème ex-aequo… A noter que la Suède n’est ‘que’ 9ème…). En toute fin de classement, sans étonnement aucun, on retrouve le Yémen, l’Afghanistan, la Syrie et uniquement des pays d’Afrique ou du Moyen-Orient, la Birmanie étant le premier pays à rompre cette tendance. La France est 20ème, juste derrière les Etats-Unis et loin derrière l’Estonie, la Slovénie ou l’Espagne, pays pourtant souvent considérés avec condescendance pour ce qui est de la situation des femmes…