Guerre de l’information ? Canular ? Le document « officiel » qui a circulé sur les médias sociaux déclarant que les billets de 10.000 et 5.000 kyats allaient être retirés de la circulation est un faux a fait savoir U Aung Naing Oo, le ministre de l'Investissement et du Commerce extérieur, sur sa page Facebook. Le dirigeant a même rappelé que « la Constitution stipule que la monnaie légalement en circulation ne peut pas être démonétisée ». La Banque centrale de Birmanie (CBM) a elle aussi rendu publique une déclaration affirmant que « les billets de 10.000 et 5.000 kyats étaient valides et allaient continuer à être utilisés dans le pays ».
Le 16 septembre, le fameux document « officiel », et donc faux à en croire les autorités actuelles, diffusé sur Facebook et d’autres réseaux sociaux a renforcé la rumeur que les deux billets allaient être retiré. Mais l’origine des bruits qui courent sur ces deux coupures remontent au moins au mois de juillet, lorsque des internautes ont affirmé que de nombreux billets de 10.000 kyats étaient des faux. Pendant ce mois, il est devenu courant de voir des commerçants vérifiant avec grand sérieux un billet bleu, le regardant en transparence et finalement le rejetant parce que « faux ».
Les coupures neuves se multiplient
S’il leur était demandé ce qui ne convenait pas, les réponses fluctuaient : « Trop bleu », « Mauvais filigrane », « Mauvais numéro de série »… Réponses fantaisistes qui marquaient avant tout la défiance de la population vis-à-vis de ses dirigeants du moment. Car il est fort peu probable que quiconque prenne le risque de copier et d’imprimer des billets birmans, simplement parce qu’il serait plus que difficile à ces éventuels faux-monnayeurs de réaliser le moindre bénéfice : la plus forte valeur faciale birmane est ce fameux billet de 10 000 kyats… qui vaut aujourd’hui moins de 5 euros ou dollars ! Dans la fabrique du faux, on peut donc facilement trouver plus rentable…
Ce qui clairement alimente les doutes des utilisateurs repose sans doute sur un double phénomène, intrinsèquement lié. D’un côté, le nombre de coupures neuves de 10.000 kyats en circulation a explosé, signe que les généraux au pouvoir font tourner à plein la machine à billets afin de pouvoir financer les salaires, des soldats et policiers notamment, et les dépenses internes courantes du pays. De l’autre, cet afflux incontrôlé de kyats résulte évidemment en une inflation galopante et l’immense majorité des travailleurs le ressent douloureusement dans son quotidien.
Les restaus du cœur façon birmane
Depuis juin, le prix d’un œuf sur les marchés est passé de 100 à 250 kyats, voire 300. Les prix de l’ail, des oignons – des aliments de base des Birmans – ont plus que doublé, même le riz a augmenté, les gens se tournant vers les grains de moindre qualité pour acheter une quantité égale à prix égal, ce qui a pour effet de faire augmenter les tarifs de la céréale par la base et donc de fragiliser encore plus l’alimentation des plus pauvres… lesquels sont par définition les moins à même de dépenser.
Certes, des militants cherchent à contrecarrer cette tendance lourde en vendant à pertes ou à prix coûtant des produits alimentaires courants, les œufs notamment. Par exemple, dans la ville de Chauk, dans la région de Magwé, la mosquée Mingalar Jameh vend depuis mi-août un panier de denrées de base - 8 boîtes de riz, 5 œufs, 1,6 kg d'oignons et une bouteille d'huile de cuisson - pour seulement 1 000 kyats. Mais difficile de dire jusqu’à quand de telles initiatives dureront puisqu’elles dépendent de la manne de quelque généreux donateurs.
Explosion du prix de l’essence
Autres produits essentiels dont le tarif monte en flèche, les carburants. Début février, un litre d’essence d'octane 95 Ron valait environ 750 kyats ; au 15 septembre, le même se vendait 1 120 kyats. Pour le secteur du transport, le coup est rude. A Yangon, les prix des courses en taxi s’envolent alors que le réseau de bus ne fonctionne que partiellement et que la pandémie de Covid-19 reste bien présente, quoiqu’apparemment jugulée, ce qui n’encourage guère à l’usage des transports en commun.
Si l’on ajoute à cette réalité morose l’absence globale de connaissance et de compréhension des fonctionnements économiques de base au sein de la population – il est par exemple étonnant de constater que l’inflation et surtout ses effets restent incompris de nombreux Birmans, y compris chez des diplômés et des acteurs économiques locaux – et une méfiance profonde à l’encontre des banques, que les derniers mois avec leur cortège de restrictions d’usages des comptes bancaires ont encore renforcé, il n’est pas surprenant que ceux qui le peuvent encore thésaurisent sur les valeurs sûres que sont l’or et le dollar étasunien.
Vendredi 17 septembre, le taux du kyat contre le billet vert a atteint son plus bas historique avec un cours de 2 200 kyats pour un dollar américain. Le 1er février, ce rapport valait 1 330 kyats pour un dollar. Concomitamment, l’or a augmenté de près de 50 % sur la même période, passant de 80 000 kyats le gramme à environ 120 000 aujourd’hui. Dans ces conditions, un marché noir des devises a vu le jour, rappelant l’époque d’avant U Thein Sein. Pour paraphraser Coluche, autrefois en Birmanie celui qui mettait de l’argent de côté était un avare, aujourd’hui, c’est un phénomène.