Les raisons techniques en sont totalement absentes mais la propagande y trouve largement son compte : toutes les prochaines impressions de billets de banque en Birmanie porteront d’un côté l’effigie de Aung San et de l’autre le palais du Parlement à Nay Pyi Taw. C’est le vice-gouverneur de la Banque centrale de Birmanie, U Soe Min, qui l’a annoncé lors d’une conférence de presse. Et la première émission se fera avec les billets de 500 kyats le 19 juillet prochain, pour la Journée des martyrs, qui marque l’assassinat le 19 juillet 1947 de huit dirigeants politiques majeurs et du garde du corps de l’un deux. Parmi ces neuf victimes, plusieurs leaders ethniques notoires, comme Mahn Ba Khaing ou Sao San Tun, et bien sûr le Premier ministre de l’époque, Aung San.
Or, comme toujours lorsqu’il s’agit d’effigies et de symboles – le débat actuel en Europe sur le destin et la fonction des figures d’anciens représentants de l’ordre colonial en atteste… -, les choix des représentations ne sont pas neutres. Les principales ethnies de Birmanie se plaignent par exemple avec véhémence de l’envahissement de leur espace public par des sculptures de Aung San ou des changements de dénomination de leurs monuments importants, toujours pour prendre le nom de l’ancien Premier ministre. En mars 2017, des milliers de citoyens avaient ainsi protesté contre la transformation du Pont de l’état Mon en Pont Aung San, décision unilatérale allant à l’encontre de la volonté populaire locale. A Loikaw ou dans le Chin, des conflits de même ordre ont éclaté pour des statues de Aung San. Les communautés ethniques reprochent à la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) actuellement au pouvoir de réécrire l’histoire en gommant le rôle majeur des Shan, Karen, Kachin ou Mon dans l’accession à l’indépendance de la Birmanie, et cela afin de créer la fiction d’un héros unique père de la nouvelle nation. Un révisionnisme qui sert évidemment la fille d’Aung San, Daw Aung San Suu Kyi, sur le plan politique.
Les billets circulant actuellement continueront à être utilisables
Ses opposants du Parti de l’Union, de la Solidarité et du Développement (PUSD) rejettent eux ces nouveaux billets car ils comprennent parfaitement que ceux-ci contribuent à l‘image de la dirigeante de la LND et du pays. En novembre 2017, lors du vote instituant le retour d’Aung San sur le papier monnaie, ils avaient voté en masse et en vain contre cette initiative. Le retour, car dès 1958 des billets avec le buste du général avaient été imprimés, circulant durant des décennies avant d’être progressivement retirés par la junte alors au pouvoir – dont le PUSD est l’héritier politique – inquiète de la popularité grandissante de Daw Aung San Suu Kyi et peu soucieuse de faire de la publicité au père de celle qui devenait leur plus grande ennemie. Les billets actuels ont donc commencé à être utilisés dans les années 90.
Cette nouvelle série concernera toutes les dénominations actuelles, du billet de 50 kyats à celui de 10 000 kats. Début janvier 2020, un billet de 1 000 kyats (environ 65 centimes d’euros) avec le portrait d’Aung San est déjà sorti mais on en trouve toujours très peu. Selon les officiels, « c’est parce qu’il est si populaire que la population les collectionne et les conservent précieusement » ; selon les Birmans interrogés, « c’est parce qu’il est de la même couleur que le billet de 10 000 kyats et que donc beaucoup de gens se sont fait arnaquer avec des confusions entre les deux. Du coup, plus personne ne veut de ce billet de 1 000 kyats ». Autre possibilité : la série n’a pas été imprimée en grande quantité…
Car c’est là la dernière inconnue de ce Monopoly politique : quelle quantité de billet la Banque centrale sera en capacité d’émettre avant les prochaines élections, prévue à la fin de cette année. Une équation a plusieurs inconnues puisqu’outre la vitesse d’impression, la quantité qui sera émise n’a pas non plus été précisée pour l’instant. En revanche, U Soe Min a été clair sur un point : les billets circulant actuellement continueront à être utilisables.