La Birmanie sombre petit à petit dans une crise sanitaire sans précédent récent, sous l’effet de l’épidémie de Covid-19. Depuis plusieurs jours, des milliers de cas sont officiellement enregistrés quotidiennement, leur nombre baissant légèrement depuis trois ou quatre jours mais probablement sous l’effet du biais du nombre de tests effectués et de celui des régions dans lesquels ces tests se font. Les zones de combats ou disputées entre l’armée régulière birmane – la Tatmadaw – et ses opposants sont bien moins surveillées sur les questions médicales et fournissent donc des chiffres peu fiables. C’est par exemple le cas dans les états de Kachin, de Kayah, de Kayin ou de Shan, où la Tatmadaw affronte des mouvements ethniques combattants, quand ce ne sont pas ces mouvements qui s’affrontent entre eux. Ou alors dans la région de Kalay, à la frontière avec l’Inde, dans le Sagaing, où ce sont là des groupes d’insurgés très actifs qui se battent contre l’armée régulière.
Dans toutes ces zones, les infrastructures médicales, qui n’ont jamais été bien performantes, sont en désuétude, faute d’approvisionnement, faute d’entretien des équipements, faute de personnel soignant, la plupart observant un mouvement de désobéissance civile. Ce faisant, les malades dans les situations les plus graves n’ont pas accès aux soins dont ils ont besoin. Vient alors se greffer sur cette situation déjà dramatique une véritable lutte de propagande où mensonges, approximations, mauvaise foi et ignorance se mélangent et ajoutent à la confusion et à la catastrophe.
Des autorités aux décisions inaudibles et inefficaces
D’un côté, des militaires qui affirment que tout est fait comme il faut, que des procédures existent pour lutter contre la Covid-19, que les soins sont délivrés lorsque nécessaire mais qui omettent évidemment de dire que les centres de quarantaine sont bondés, devenant de fait non plus des outils de protection mais de véritables incubateurs de la maladie, ou que les ordres donnés sont désormais suivis de peu d’effets car le nouveau gouvernement ne dispose plus de l’autorité ou des rouages administratifs suffisants pour que la chaîne de décision soit totalement efficace. La semaine de congés et de confinement décrétés jeudi dernier en est l’illustration : si la circulation est bel et bien réduite, la différence entre avant et après ce confinement n’est pas perceptible dans de nombreux quartiers et c’est surtout la peur de tomber malades plus que le respect des ordres qui maintient les habitants de Yangon chez eux.
De l’autre côté, tous ceux – très nombreux puisque la majorité de la population rejette le coup de force des généraux du 1er février 2021 – qui veulent voir un échec de l’armée en tout. Des médecins affirment dans les médias que « tout s’est bien passé pendant les deux premières vagues de l’épidémie ». Pourtant l’inaction puis les approximations et enfin la confusion et la désorganisation de l’ancien ministère de la Santé et des Sports a alimenté critiques et gazettes pendant des mois. Ces mêmes mois durant lesquels un très grand nombre d’habitants de Yangon s’est promené sans masque et sans préoccupation des autres, sans faire face non plus à la moindre sanction. Le simple respect de la distance physique de sécurité était exceptionnel dans la plupart des endroits publics, malgré consignes ou marquage au sol.
L’approvisionnement en oxygène, emblématique de l’incurie et du mensonge
En outre, les variants précédents étaient clairement moins virulents et moins létaux que ceux à l’œuvre actuellement, notamment que le fameux Delta que tout le monde redoute. Comme le résume une soignante de la région de Bago, « nous sommes passés à travers les deux premières vagues un peu par miracle, sans y faire réellement attention, juste dans les mots mais pas vraiment dans les actes. Et puis avec l’arrivée des militaires, tout le monde a oublié la Covid. Et maintenant, nous sommes dépassés ».
La question de l’oxygène médical qui occupe la Une des médias birmans et anime les réseaux sociaux du pays est emblématique de ce conflit du mensonge et de ses terribles conséquences. Chacun veut son oxygène. Ceux qui en ont réellement besoin, cela se comprend évidemment, et pour eux il y en aurait assez avec un usage et un comportement rationnel. Viennent alors tous ceux qui veulent des réserves, au cas où…, et qui de se fait provoquent une pénurie de ce gaz. Et enfin ceux qui stockent et spéculent afin de gagner de grosses sommes.
Une universitaire américaine sous champignons hallucinogènes
Les militaires justifient un rationnement et évoque une procédure afin que seulement ceux qui en ont besoin puissent disposer d’oxygène mais dans les faits personne ne sait comment fonctionne cette procédure... et si elle existe vraiment ! Les opposants mettent du machiavélisme derrière l’incurie et affirment que l’armée veut juste tuer la population – ce qui n’a concrètement aucun sens. Entre les deux les malades meurent. Des individus sont allés jusqu’à acheter n’importe quelles bouteilles de gaz pour les faire remplir d’oxygène dans des conditions clandestines – preuve d’ailleurs que des compresseurs fonctionnent… - et ensuite utiliser la mixture. Des images du cadavre d’un utilisateur d'un tel système ont circulé sur Facebook, avec une mise en garde : les terminaisons du corps présentaient une coloration bleue caractéristique d’un empoisonnement au cyanure et il est probable que les bouteilles récupérées, et malheureusement mal nettoyées - peut-être un pulvérisateur de pesticide - contenaient ce produit hautement toxique.
Les « clusters » sont par ailleurs de plus en plus nombreux. Les camps de déplacés sont particulièrement sensibles à ce risque, du fait de la promiscuité et du peu de prévention possible. Ainsi, six nouveaux cas de Covid-19 ont été détectés au camp de Sinbawkaing, à côté de Mrauk-U, dans l'Arakan. Un camp aujourd’hui mis à l’isolement après un test de dépistage positif du Covid-19 sur une de ses habitantes le 14 juillet dernier. Dans la prison d’Insein, au moins une cinquantaine de détenus sont atteints et l’établissement est désormais fermé jusqu'au 21 juillet, toutes les procédures étant reportées afin d’éviter la circulation des avocats et donc les risques de propagation.
Quant à la mortalité, elle est en pleine explosion dans tout ce chaos. De 13 décès le 1er juillet, nous sommes passés à 233 décès le 17 juillet. Durant les deux dernières semaines, ce sont quelque 1 400 morts qui sont recensés, soit presque 30% du total des 5 000 décès enregistrés depuis mars 2020 ! La prévalence est d’au moins 40 %, et tout cela est établi à partir de chiffres notoirement sous-estimés. Sur de telles bases, c’est une hécatombe qui est à craindre. Certes pas les « 10 à 15 millions de personnes anéanties » qu’une universitaire américaine pronostique – sans doute sous le coup de l’émotion, de l’incompétence ou du lobbying, plus de quelques champignons hallucinogènes… - mais si rien ne change, quelque chose de l’ordre d’un ou peut-être deux millions de morts, ce qui est déjà largement assez énorme et désespérant sans avoir besoin de raconter des mensonges. Et au vu des blocages politique et diplomatique actuels comme de l’impuissance des autorités, la population birmane n’a guère de raisons d’espérer.