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Dénoncer « l’hypocrisie des faiseurs de paix »

Sawangwongse Yawnghwe devant son œuvre intitulée « Le complexe industriel de la paix en Birmanie »Sawangwongse Yawnghwe devant son œuvre intitulée « Le complexe industriel de la paix en Birmanie »
Sawangwongse Yawnghwe devant son œuvre intitulée « Le complexe industriel de la paix en Birmanie »
Écrit par Rédaction lepetitjournal.com Birmanie
Publié le 28 novembre 2019, mis à jour le 28 novembre 2019

Il souhaitait dénoncer « l’hypocrisie des faiseurs de paix » et attirer l’attention sur le double discours et le « deux poids, deux mesures » de nombreux pays occidentaux, si ce n’est tous... Et le moins que l’on puisse dire est qu’il a réussi son coup : le plasticien birman Sawangwongse Yawnghwe, qui vit aux Pays-Bas, a retiré ses œuvres qui devaient être présentée dans « Everyday Justice » parce que cette exposition, qui marque la fin d’un programme de quatre ans de coopération européenne sur la justice en Birmanie, était financée par l’Union européenne (UE), cette même UE qui loue à prix d’or (plusieurs dizaines de milliers d’euros) la résidence de son ambassadeur à la famille de l’ancien dictateur Ne Win et cette même UE dont les bureaux à Yangon se situent dans Hledan Center, un centre d’affaires qui appartient au conglomérat Asia World, notoire pour ses liens avec l’armée et des acteurs de la dictature passée. « Je suis dégoûté et je sais que beaucoup de birmans le sont également », affirme le peintre-plasticien.

Comment prétendre défendre la justice et en même temps financer ceux qui la bafoue ? s’interroge ouvertement l’artiste dans ce qui peut être considéré comme une œuvre à part entière car Sawangwongse Yawnghwe savait parfaitement qui finançait l’exposition lorsqu’il a dans un premier temps accepté d’y participer, avant dans un second temps de s’en retirer avec fracas et de créer la polémique. C’est donc bien une performance artistique, un happening à l’anglo-saxonne que cet artiste a réalisé avec son refus final.

Si Sawangwongse Yawnghwe est si sensible à l’injustice et l’hypocrisie, c’est qu’il n’est autre que le petit-fils du premier président birman, la shan Sao Shwe Thaike, arrêté la veille du coup d’Etat du Général Ne Win en 1962, décédé en détention huit mois plus tard « dans des conditions non élucidées » comme la diplomatie qualifie pudiquement ce genre de disparition… Le fils de Sao Shwe Thaike, l’oncle de Sawangwongse Yawnghwe, fut abattu lors de l’arrestation et il est considéré comme la seule victime directe de ce coup d’Etat. Il avait 17 ans. L’artiste lui-même est né dans un camp de réfugiés créé par son père avant de s’exiler au Canada.

Sawangwongse Yawnghwe pointe aussi du doigt l’incapacité de l’UE à faire pression pour qu’une procédure judiciaire indépendante aient lieu dans les cas des allégations de crimes de guerre dans les états de Shan, Kachin et Arakan. L’artiste s’est dit était également troublé par la participation de l’ambassadeur de l’UE a un événement de l'Union des entreprises pour l'aide humanitaire et le développement (UEHRD), un « joli » titre qui cache une organisation gouvernementale largement décriée pour son rôle dans la crise de l’Arakan. L’Ambassadeur de l’UE Kristian Schmidt a répondu que sa participation était juste à titre officiel et que part ailleurs l’UE avait lancé des appels pour que cessent les exactions dans l’Arakan, sans même réaliser semble-t-il que ce discours d’excuses systématiques est justement ce que rejette le militant birman, qui appelle ses concitoyens à délaisser les réceptions diplomatique pour passer vraiment à l’action, en se battant par exemple pour aider les 44 pêcheurs birmans toujours bloqués sur une île d’Indonésie après avoir fui l’esclavage de fait qu’ils subissaient sur les bateaux.

Quant à l’exposition elle-même, ce qui frappe le plus lors de sa visite est l’absence de visiteurs, justement. Peut-être un mauvais jour ou une mauvaise heure… La page Facebook ne recueille cependant que 329 « intéressés », extrêmement peu pour une présentation qui a duré deux semaines et prétend entre autres évoquer les questions des populations… Si l’espace est agréable, les œuvres (plastiques, photographiques, vidéos…) sont supposées traiter du rapport entre justice et société mais la plupart sont incompréhensibles pour les Birmans et nécessitent des explications, l’échec absolu d’une œuvre d’art ! Ce qui reste le plus intéressant est l’enquête sur la perception qu’ont les Birmans de la justice, dont il ressort que pour l’immense majorité d’entre eux, la justice consiste à assurer la sécurité publique, mais pas à résoudre les désaccords ou à protéger les droits. Quant à la notion de droits Humains, 44,6% des personnes interrogées ne savent pas ce qu’elle signifie. En outre, même si une fois décryptées certaines œuvres prennent sens, il faut noter que le titre de l’une d’entre elles très liée a des exactions militaires a dû être modifié et une des œuvres a même dû être retirée. Une censure acceptée en échange de la tenue de l’expo avec l’habituel discours des petits pas et du contexte sensible…

Une compromission qui abonde malheureusement dans le sens de Sawangwongse Yawnghwe et de sa dénonciation de l’UE, apparemment prête a tous les accommodements pour se donner l’illusion d’exister diplomatiquement et pour de faibles avancées au final. Mais des avancées quand même : le programme MyJustice, qui se clôt avec « Everyday Justice », a travaillé avec une cinquantaine d’organisations de terrain impliquées sur les questions de justice, avec en théorie 9 000 bénéficiaires directs et 73 000 personnes touchées. La Birmanie compte près de 54 millions d’habitants.

Petite satisfaction finale pour l’artiste rebelle : en 2020, l’UE va quitter Hledan Center afin de ne pas utiliser des biens possédés par les militaires. Bruxelles ne s’est toutefois pas encore prononcée sur la résidence de son Ambassadeur…

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Publié le 28 novembre 2019, mis à jour le 28 novembre 2019

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