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Dans l’Arakan, des hommes introuvables mais pas « disparus »

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Deux proches de victimes lors d'une conférence de presse sur la disparition de ces hommes
Écrit par Julia Guinamard
Publié le 24 décembre 2020, mis à jour le 24 décembre 2020

Où sont passés les 17 civils arakanais disparus lors du séjour musclé de l’armée régulière birmane – la Tatmadaw – dans la zone de Kyauktaw et plus précisément celle des villages de Tin Ma et de Tin Ma Gyi ? Leurs familles aimeraient bien le savoir mais elles ne savent plus comment faire, à qui s’adresser ! Dernier déboire en date de ces parents éplorés, le refus le 23 décembre de le Commission birmane des droits Humains de se saisir de ce dossier car selon son président « ces personnes n’ont pas disparu ».

Elles n’ont pourtant pas été revues depuis le 13 mars 2020 pour dix d’entre elles et depuis le 16 mars pour huit autres, depuis le raid de la Tatmadaw dans la circonscription de Kyawktaw qui a abouti à l’incendie et la destruction de dizaines de maison dans cette zone de plusieurs villages qui représentent en tout environ 500 foyers. A l’époque, les militaires affrontaient directement le mouvement combattant rebelle de l’Armée de l’Arakan (AA) dans ces villages et ils accusaient tous les villageois d’être des membres de l’AA, d’où des arrestations en masse. Selon leurs familles, les 18 hommes ont donc été embarqués par des soldats lors de ces affrontements et depuis ils se sont volatilisés ; selon la Tatmadaw, aucune arrestation et donc ces hommes n’ont pas disparu. Dans le cas de l’un d’eux, Maung Win, force est de constater qu’il a été retrouvé : en juin, dans une rivière, criblé de balles, mort. Ce qui a évidemment suscité encore plus de questions de la part des familles ; des questions, et de l’inquiétude !

La police menace les familles « d’arrestation » si elles portent plainte

Malheureusement pour eux, les proches des victimes et leurs avocats ne parviennent pas à déposer une plainte pour enlèvement qui permettrait d’ouvrir une enquête officielle. Le 27 novembre 2020, le porte-parole de l’armée régulière, Zaw Min Tun, indiquait que les signalements des 18 civils devaient être déposés à la police de Kyauktaw. Le 8 décembre 2020, les familles se rendent donc au poste de police indiqué pour déposer leur plainte. Mais la police refuse de les prendre, et leur dit de se référer à l’armée. C’est le serpent qui se mord la queue.

« Nous avons longuement discuté avec la police, lui demandant d’accepter notre plainte et d'ouvrir un dossier. Mais ils nous ont demandé de laisser notre dossier, en nous disant qu'ils le transmettraient à l'armée », explique un des villageois qui essaie de signaler une personne disparue. Le père d’une des victimes a déclaré que la police les a menacés de les arrêter s’ils persistaient à vouloir déposer leur plainte : « Quand nous sommes arrivés au poste de police, on nous a demandé d’attendre pour parler au commandant de la police. Quand il est arrivé, quatre d'entre nous l'ont rencontré dans son bureau. Il a dit qu'il pouvait nous arrêter aussi ». Par peur, ceux qui étaient venus déposer la plainte ont quitté le poste de police.

« Nous faisons confiance à l’armée régulière »

L’organisation de société civile (OSC) Fortify Rights, qui qualifie les faits de « flagrante violation des droits Humains », affirme qu'en tant que « groupe de défense des droits Humains, nous condamnons la détention illégale de civils. Les auteurs de ces actes doivent être poursuivis et sanctionnés en conséquence ». Mais comment faire si la police ne prend pas les dépositions et si l’armée régulière nie détenir les prisonniers et délègue donc la responsabilité à la police, laquelle est d’ailleurs un élément de l’armée en Birmanie ?

Les plaignants espéraient que la Commission birmane des droits Humains viendrait à leur rescousse mais puisque celle-ci juge « qu’il n’y a pas de disparus », que faire ? L’argument du président de cette commission est qu’il a appelé les militaires : « La Tatmadaw nous dit ne détenir personne, et nous faisons confiance à la Tatmadaw », a expliqué le président. Affaire close en conséquence. Quant à savoir pourquoi 18 paysans sans argent, sans bagage et sans transport n’ont pas été revus depuis neuf mois, cela n’a l’air ni de choquer, ni d’intéresser personne au niveau des autorités, nationale ou régionale.

La guerre entre l’AA et l’armée régulière, qui dure depuis deux ans, a entraîné le déplacement de plus de 200 mille personnes, et est à l'origine de la mort de plus de 300 civils.

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