C’est le sujet qui a animé toutes les conversations dans Yangon avant-hier, hier… et probablement aujourd’hui, demain et les quelques jours à venir : l’écroulement actuel du kyat birman face au dollar étasunien. La devise birmane a perdu environ 50 % de sa valeur durant le mois de septembre, passant de quelque 1600 kyats pour un dollar à plus ou moins 2500 kyats le 27 septembre. Ce dernier cours n’est pas officiel – le cours officiel est quand même de 1941 kyats (et de 2241 pour un euro) – mais il est celui pratiqué par les changeurs dans les officines légales et, mauvais signe pour l’économie birmane, un système de change illégal – un marché noir donc… - se met progressivement en place.
La Banque centrale de Birmanie a bien tenté d’injecter des dollars dans l’économie afin de soutenir le kyat et de le maintenir à un cours à peu près régulier mais sans succès car l’institution ne dispose pas des liquidités en devises suffisantes pour une telle politique sur le long terme aussi a-t-elle finalement renoncé à soutenir sa monnaie le 10 septembre, et depuis le taux de change kyat/dollar a filé.
Dégringolade du kyat et emballement de l’inflation
Cet effondrement et une forte inflation provoquent une violente augmentation du prix des denrées alimentaires et des carburants en quelque jour : le litre d’huile a doublé, le prix des bas morceaux de poulet – la seule viande que les plus pauvres peuvent s’offrir parfois – aussi, et les fruits et légumes deviennent plus difficile à trouver et évidemment très cher.
La crise survient sur des populations financièrement extrêmement affaiblies par l’impact de la pandémie de Covid-19 en Birmanie, notamment les nombreux licenciements provoqués par l fermeture d’un grand nombre d’usines. Dans un quartier comme Hlaing Thar Yar, grande zone industrielle où survit dans des taudis un prolétariat sous payé et exploité sans scrupules, les organisations caritatives sont débordées même si elles demeurent courageusement très actives. A beaucoup, elles fournissent leur seul repas quotidien.
Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) ne cesse de répéter qu’il est « préoccupé » mais la Birmanie n’est désormais que l’un des nombreux pays dans le besoin, et même pas une priorité au regard des situations de l’Afghanistan, la Centrafrique, Haïti, le Soudan, la Syrie, le Yémen et pas mal d’autres moins notoires et tout aussi pauvres.
La « tea shop du commerce »
La Banque mondiale y est bien allée de son rapport qui prédit que l'économie birmane va aller de plus en plus mal, que des gens vont perdre leur emploi, que le nombre de pauvres va augmenter et que cela aura des conséquences… Des prévisions admirables qui demandent vraiment des années d’études et de très gros salaires pour être élaborées. Lorsque les gens perdent leur emploi, il y a plus de pauvreté : il fallait y penser !
Ces soi-disant experts, habitués manifestes de la « tea shop du commerce », poussent même l’indécence à chiffrer les pertes d’emplois ou la « contraction de l’économie » alors qu’aucunes données numériques ne sont fiables… Cet exercice de lecture dans une boule de cristal qui sied si bien à des prophètes surpayés décrédibilise bien sûr l’institution, mais qu’importe puisqu’elle n’a de toute façon plus beaucoup de crédibilité après avoir été obligée de reconnaître voilà quelques jours que ses rapports « Doing Businees » 2018 et 2020 – en théorie des références que tout le monde cite tout le temps – comportaient des « irrégularités de données », un joli terme pour des manipulations, mensonges et abus. Si la partie visible de l’iceberg touche pour l’instant principalement l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan, les Emirats Arabes Unis et la Chine, il n’est pas encore clair si les « données » d’autres pays sont elles-aussi sujettes à caution.
La Banque mondiale : manipulation de données et prévisions idéologiques
De toute manière, le fait que la Banque mondiale est un instrument de pouvoir idéologique et biaisé est notoire. Paul Romer, ex-économiste en chef de la Banque mondiale, a par exemple reconnu que le Chili avait été rétrogradé dans le classement pour avoir élu une présidente socialiste, Michelle Bachelet. Un authentique critère économique… Il est d’ailleurs clair que les indicateurs circulant sur la Birmanie sont souvent ridicules. En 2019, selon la banque mondiale, le taux de chômage dans le pays était de 0,5 %... Difficile de bâtir un modèle sérieux avec de tels éléments…
L’institution est d’ailleurs tellement remise en question tant en interne qu’en externe – un rapport interne sorti en février 2020 indiquait qu’une bonne partie de l’aide au développement versée par l’organisation finissait dans des paradis fiscaux sans jamais servir aux populations – qu’elle a renoncé à publier son rapport « Doing Business » 2021. Dommages, on se demande bien quelles prédictions aussi apocalyptiques qu’aléatoires les « experts » préparaient pour la Birmanie.
Il faudra donc s’en remettre à l’observation et au bon sens : l’économie du pays est dans un état lamentable et rien n’indique dans les discours ou les actes du gouvernement actuel ou de son rival fantôme la moindre envie ou capacité à agir pour modifier cela. Chacun préfère vitupérer l’autre depuis sa confortable situation personnelle et pleurer des larmes de crocodile sur les pauvres, lesquels sont livrés à eux-mêmes avec seulement l’assistance de quelques organisations caritatives dévouées et encore présentes.