Depuis près de 10 ans, la compagnie théâtrale organise gratuitement des ateliers mêlant art et psychologie afin de venir en aide aux populations les plus vulnérables aux quatre coins du pays.
Quand elle a commencé ses études de psychologie en parallèle de ses cours de théâtre en 1998, Lamia Abi Azar, co-fondatrice de Zoukak, était loin de s'imaginer un jour allier ses deux activités au service des réfugiés, des prisonniers, des victimes de violences conjugales, des enfants handicapés, des travailleuses domestiques, considérés comme des marginaux de la société libanaise.
C'est au moment de l'offensive israélienne sur le Liban en 2006 qu'elle décide de fonder la compagnie avec cinq anciens camarades de l'Université libanaise. « Beyrouth était bombardée. Avec mes amis, on se sentait impuissants face à ce drame national. On revivait l'ambiance de la guerre civile », raconte Lamia Abi Azar.
Avec ses maigres moyens, le collectif décide d'intervenir dans des écoles de la banlieue sud de Beyrouth, particulièrement touchée par les raids israéliens, aux côtés d'organisations civiques. Son action tape dans l’œil de l'ONG Handicap International, qui décide alors de soutenir financièrement l'initiative. Un coup de pouce précieux qui permet au collectif d’intervenir dans « 12 camps palestiniens, et presque autant de camps syriens », explique la co-fondatrice de Zoukak.
La thérapie par le théâtre n’était alors qu’à ses balbutiements au Liban, se souvient Lamia Abi Azar. Les ateliers portent rapidement leurs fruits. La thérapeute Nahla Ghandour, directrice du centre Ghassan Kanafani, stiué dans le camp palestinien de Mar Elias, où Zoukak est intervenu, se réjouit du travail réalisé. «C'était un projet expérimental. On avait des lacunes en art thérapie avec les enfants handicapés. On a alors décidé de combiner nos expertises avec Zoukak pour enfin parvenir à trouver la bonne méthode après 15 ans d'efforts», indique-t-elle.
Il y a quatre ans, le collectif Zoukak installe ses locaux à la lisière du quartier arménien de Bourj Hammoud, au nord de Beyrouth. «Nous travaillons dans ce quartier où il y a beaucoup de délinquance afin de favoriser la mixité sociale, en intervenant directement avec les concernés », explique la fondatrice du collectif et directrice de la troupe.
Pendant ces ateliers, l'élément fondamental est de se reconnecter avec le moment présent à travers l'art vivant qu'est le théâtre. Pour l'aspect thérapeutique, les acteurs sont amenés à faire fi de leurs traumatismes du passé et de leurs craintes concernant l'avenir, et à se focaliser sur la réalité d'aujourd'hui. Pour ce faire, des exercices d'improvisation, de réappropriation du corps et de la voix sont proposés. « Le but est de créer un ‘safe space’ (espace protégé). Un espace-temps où la logique est différente de l'éducation que les gens ont reçu, sans pour autant la contredire ou la changer », explique Lamia Abi Azar.
Depuis 2006, de nombreux projets similaires ont émergé et beaucoup d'acteurs sociaux, notamment des artistes, se sont lancés sur ce créneau. Consciente du fort potentiel de sa méthode, la compagnie décide en 2016 de lancer un programme de formation, destiné à des professionnels souhaitant utiliser le théâtre comme médiation artistique dans un contexte psycho-social. Étalé sur quatre ans, le programme «d'entrainement customisé » est composé de trois cycles intensifs annuels de 48 heures de cours sur une période de trois mois, et d'un dernier cycle de suivi et d'accompagnement sur le terrain. « Il y a des Syriens, des Palestiniens, des Libanais, et dernièrement, on a eu pas mal de personnes venues d’autres pays qui ont demandé à rejoindre le programme. Comment élargir le programme au niveau régional et international ? « On réfléchit à une nouvelle stratégie », se projette Lamia Abi Azar, dont la compagnie a reçu en 2017 le prix Culture pour la Paix par la Fondation Chirac.