Pour l’avocat fiscaliste, le système de collecte et de redistribution de l’impôt au Liban illustre la faiblesse de l’Etat, incapable de fournir les services essentiels aux contribuables.
Le Liban compte près de 300.000 fonctionnaires (forces armées et de sécurité compris) et approximativement 1,2 millions à 1,4 millions de salariés professionnels privés enregistrés. Ainsi, un peu plus de 1,5 millions de Libanais sont imposables sur une population qui compte 6 millions d’habitants en comptant les réfugiés syriens et palestiniens, ainsi que les employés de maison étrangères. Le système fiscal libanais est cédulaire, c’est-à-dire que chaque source de revenus est imposable à part selon son propre régime et ses propres taux. S’agissant de l’impôt cédulaire sur les traitements et salaires, l'impôt est déduit du salaire et payé par l'employeur à l'État. Au Liban, la pression fiscale générale est de 17%. Les taux d'imposition varient de 2 à 20% pour un salarié et de 4 à 21% pour un professionnel libéral. Elle est de 17% pour l’impôt sur les sociétés de capitaux (avec une imposition supplémentaire de 10% sur les dividendes distribués). Ces taux sont relativement modérés en comparaison avec ceux adoptés par d’autres pays notamment européens ; mais, contrairement à ces derniers, les contribuables paient au Liban pour des services que l'État ne fournit pas.
Les Libanais sont taxés deux fois pour des services primaires comme l’eau ou l’électricité. Karim Daher compare le Liban d'aujourd'hui à la mafia de Chicago dans les années 1920 et prend l’exemple des générateurs d’électricité de quartier auxquels recourent les Libanais pour pallier aux coupures récurrentes de courant d'Electricité du Liban. M. Daher décrit le cercle vicieux institutionnel actuel au Liban. « L'Etat n'a pas les moyens de fournir les services essentiels par manque de financement adéquat. Ils sont fournis parallèlement par des politiciens corrompus qui sont aux manettes de l'Etat, qui récoltent l'argent des citoyens et qui subviennent à certains de leurs besoins ou demandes ou les paient pour se faire élire ».
Après la guerre civile (1975-1990), l'effort de reconstruction a nécessité un endettement du pays. A l’époque, Karim Daher expliquait que « les dettes d'aujourd'hui seront les impôts de demain ». « On a une dette publique abyssale et un déficit grandissant. Une des premières solutions serait d’élargir l’assiette des contribuables », propose M. Daher. En 2017, l’Etat a augmenté les impôts. Résultat, seulement 1400 milliards de livres libanaises (933 millions de dollars) ont été perçus sur un objectif de 2483 milliards de LL au départ (1,65 milliards de dollars).
Le Liban n'arrive pas à s’autofinancer. « La région n'est pas complètement stable. La diaspora libanaise transfère moins d'argent du fait des difficultés financières qu’elle rencontre elle-même dans les pays d’accueil. Les dépenses publiques ont substantiellement augmenté en raison du nombre pléthorique de fonctionnaires aux salaires réajustés. La corruption est galopante. Le déficit se creuse. Les hommes d'affaires des pays du Golfe ne viennent plus dépenser leur argent et la dette a trop augmenté ». Karim Daher redoute une faillite du pays suivie d'une mise sous tutelle par des organismes internationaux comme en Grèce ou en Argentine.
Pour M. Daher, les dépenses de l'État doivent être plus et mieux contrôlées. « La Cour des comptes et l'Inspection centrale devraient jouer ce rôle mais ces organismes sont souvent dépendants ou sous la coupe des politiciens qui les ont nommés », regrette-il. « Aujourd'hui il faut se demander si on veut un État réel ou une léthargie de corruption. On est un État failli avec un peuple éduqué et compétent. Pourquoi n'est-on pas capables de créer de réelles institutions ? ».
La fiscalité relève de la mentalité et de l'histoire d'un pays. « C'est le peuple libanais qui favorise la corruption parce qu'il paye au corrompu au lieu de payer ses impôts », estime M. Daher, insistant sur la nécessité de conduire une politique réelle et effective de lutte contre la corruption. Les Libanais ne conçoivent pas l’impôt comme un outil bénéfique et démocratique. « Si le contribuable n'est pas à l'aise en contribuant, soit il essaie de frauder, soit il s'installe ailleurs et le pays perd en croissance, revenus et création d'emplois », explique Karim Daher. Pire, les contribuables dans leur ensemble, ne savent pas qu’ils payent des impôts. « Les finances publiques sont la colonne vertébrale d'un État et du système démocratique », explique M. Daher. « Il faut convaincre le contribuable que ses semblables paient autant que lui et que ce qui est collecté par l'Etat lui bénéficie, en lui assurant de profiter de soins hospitaliers et d’une éducation publique de qualité », selon le fiscaliste. « Encore faut-il mettre ceci réellement en application en mettant un terme au clientélisme et en donnant la possibilité au trésor de percevoir l’impôt dans toutes les régions afin qu’aucune n’échappe plus au contrôle de l’Etat ».