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Georges Corm, le pourfendeur de la "corruption généralisée" (partie 2)

Georges CormGeorges Corm
Écrit par Marine Delatouche
Publié le 12 septembre 2017, mis à jour le 29 janvier 2019

Historien et économiste, l’ancien ministre des Finances de 1998 à 2000 garde un œil avisé sur l’actualité. Il nous a accordé un entretien fleuve dont voici la deuxième partie.

 

LPJ Beyrouth : Faut-il encore compter sur le secteur du tourisme pour redynamiser l’économie ?

Georges Corm : Bien sûr, mais pas seulement. En tous cas on peut remarquer que la provenance des touristes a changé, ce qui est très bien. Nous avons de moins en moins de touristes des pays du Golfe, dont les gouvernements ont organisé un boycottage du Liban, pour faire pression sur le gouvernement pour qu’il change sa politique et s’aligne encore plus sur celle de l’Arabie saoudite. En contrepartie, nous avons de plus en plus de touristes européens et d’émigrés libanais venant de l’étranger. Cela est très bien. On remarquera que le mouvement touristique a explosé à partir de l’année 2000, date de la libération du Sud du Liban de 22 ans d’occupation israélienne. Le tourisme se porte très bien aujourd’hui. Le taux d’occupation des hôtels est de 60%, malgré tous les conflits dans la région.  

Par ailleurs, il faut saluer la coordination et l’efficacité grandissante des différents services de sécurité de l’Etat et de l’armée libanaise dans la lutte contre le terrorisme qui avait pris des proportions inquiétantes entre 2012 et 2014 au Liban même (notamment de nombreuses voitures piégées). Récemment, le succès de l’armée libanaise à bouter hors des frontières montagneuses de l’Anti-Liban les groupes terroristes qui s’y étaient implantés va donner un coup de fouet additionnel au secteur touristique.

 

Une nouvelle source de revenus potentielle fait débat : les hydrocarbures offshores au large du Liban. Quelles conséquences économiques faut-il espérer ou craindre d’une exploitation de ces ressources ?

Je n’y ai jamais cru. Israël n’exploite qu’un seul champ, Chypre, l’Egypte, la Syrie et la Turquie n’exploitent rien. C’est un miroir aux alouettes. De plus, extraire du pétrole ou du gaz des fonds marins coûte cher. Cela dépend donc du prix du pétrole. Actuellement, le marché énergétique mondial est en surplus.

Le pétrole, un miroir aux alouettes

Plusieurs responsables politiques ont évoqué la nécessité de lancer une campagne de lutte conte la corruption. Dans quelle mesure cette campagne peut-elle devenir crédible ?

De larges pans de l’économie sont gérés de manière quasi-mafieuse à l’abri des chefs politiques communautaires et de leurs partisans qui, par ailleurs, ne manquent pas de dénoncer la corruption, désormais au cœur du système politique. Ceci est dû au fait qu’après la guerre de 1975-1990, nous n’avons pas jugé les actes de pillages des biens publics et privés et les massacres ou disparitions de civils. J’ai dénoncé souvent l’alliance qui s’est installée à la fin de la guerre entre les anciens chefs de milices qui se sont enrichis pendant la guerre et les nouveaux millionnaires du pétrole, ainsi que la Syrie qui exerçait sa tutelle sur le Liban.  Il s’agissait alors – faut-il le rappeler - d’un condominium américano-syro-saoudien, scellé par l’accord de Taëf de 1989.

On a créé un système de « partage » des dépouilles de l’Etat au profit des chefs politico-communautaires. Aucun des grands partis politiques, dont la puissance provient de l’exploitation éhontée du communautarisme, est hors de ce système. Ces chefs gardent prisonniers les communautés qu’ils prétendent représenter.

En 2015, j’ai mis beaucoup d’espoir dans les grandes manifestations sociales qui ont eu lieu à Beyrouth pour protester contre l’inefficacité du gouvernement et la corruption généralisée. La société civile a alors vraiment bougé. Mais la répression a été effarante. Les gens désormais pensent à deux fois avant de descendre dans la rue.

 

Le préambule de la Constitution libanaise dit que « le régime économique est libéral et garantit l'initiative individuelle et la propriété privée ». Pensez-vous que le libéralisme est dangereux pour l’économie libanaise ? Le Liban doit-il protéger certains de ses secteurs de la concurrence ?

Libéral veut dire plusieurs choses.  Oui, il faut assurer une saine concurrence, ce qui est très difficile dans un petit pays. Le Liban, sous la férule de Rafic Hariri, aurait dû protéger davantage l’économie du pays, il a fait tout le contraire, signant des accords de libre-échange avec l’Union européenne et tous les pays arabes, avant même que le potentiel industriel et agro-alimentaire du pays ait pu se reconstituer et se développer. Ça a été un ouragan sur l’industrie libanaise. On se fait facilement des amis quand on considère que le trésor de son pays peut être distribué à tout va et que l’on déprotège le marché local inconsidérément et de façon brutale.

 

Quelles solutions préconisez-vous pour relancer l’économie libanaise ?

Un ministre réformiste peut tenter d’apporter des améliorations dans son ministère. Mais s’il est tout seul, les améliorations apportées peuvent être facilement balayées. Je ne vois pas de solution en dehors de l’arrivée au pouvoir d’un parti réformiste non communautaire vraiment important, qui pourrait faire reculer la toute-puissance des lobbys et des partis communautaires traditionnels qui ont mis l’Etat en coupe réglée.

Les associations patronales, les ordres professionnels et les syndicats sont eux aussi sous la coupe des chefs communautaires. Il faut que le dialogue entre syndicats de travailleurs et associations patronales soit moins crispé, moins sectaire et mieux conduit. Aujourd’hui, les syndicats sont très faibles, sauf celui des enseignants qui dispose du droit de grève, notamment au moment des examens ; cependant que la Chambre de Commerce où l’Association des banques ou celle des commerçants constituent des lobbys tout puissants.

L’instauration de l’impôt général sur le revenu, que j’avais tenté de mettre en place, permettrait de collecter beaucoup de ressources additionnelles pour le budget de l’Etat. Il y a plusieurs mesures fiscales intelligentes à mettre en œuvre. Au Liban, la pression fiscale est faible (environ 14% du PIB). Si on veut des services publics qui fonctionnent bien, il faut une plus grande pression fiscale et surtout une mise sous contrôle du tout puissant CDR qui dépend exclusivement du premier ministre et n’est soumis à aucun contrôle des organes de l’Etat. 

 

Propos recueillis par Marine Delatouche - 9 septembre 2017

 

Publié le 12 septembre 2017, mis à jour le 29 janvier 2019

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