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L’Allemagne lutte contre l’inégalité des genres. Témoignages

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© Unsplash
Écrit par Anaïs Kelly
Publié le 29 décembre 2020, mis à jour le 30 décembre 2020

Souvent vantée comme progressiste, l’Allemagne est loin de faire figure d’exemple dans le domaine de l’égalité des genres. Sa stratégie interministérielle de lutte contre les inégalités hommes-femmes du 8 juillet et les conclusions récentes du Conseil de l’UE devraient changer la donne.

Selon le Gender Equality Index de l’institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE, European Institut for Gender Equality), l’Allemagne se place en dessous de la moyenne européenne : avec un score de 66,9 points sur 100 contre 67,4, le pays arrive ainsi à la douzième place en Europe.

 

Une première nationale

Comme l’avait annoncé la Ministre fédérale de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse Franziska Giffey à l’occasion du 8 mars, « 2020 devra être l’année de l’égalité ». La crise sanitaire a d’ailleurs mis en évidence la répartition inégale du travail rémunéré et non rémunéré et l'écart entre les sexes en matière de temps de travail et de salaires. Selon Franziska Giffey, il ne s'agit pas seulement d’avoir une répartition plus équitable du travail, mais aussi de permettre une diversité des modes de vie pour les deux sexes. Le 8 juillet 2020, l’Allemagne a donc dévoilé son plan visant à l’égalité des genres. C’est une première nationale, car il s’agit en effet de la première stratégie approuvée par tous les ministères dans ce domaine. Elle s’appliquera donc au niveau national et non plus seulement des Länder. Par ailleurs, les États membres de l'UE ont adopté à l'unanimité les conclusions du Conseil de l'UE présidé par l’Allemagne le 3 décembre dernier sur la participation égale des hommes et des femmes au monde du travail.

Franziska Giffey souhaite aussi instaurer les quotas : « Nous mettons un terme aux comités exécutifs sans femmes dans les grandes entreprises. Nous montrons l’exemple d’une société moderne et tournée l’avenir. Nous exploitons tout le potentiel de notre pays (…) », a-t-elle déclaré.

L’annonce de la stratégie interministérielle de Franziska Giffey est semble-t-il passée comme inaperçue aux yeux d’un bon nombre de femmes, vraisemblablement noyées sous le flot d’informations liées à la Covid-19.

Anna, consultante-carrière franco-polonaise de 48 ans vivant à Berlin, et Judith, étudiante de 20 ans à Ratisbonne, indiquent ne pas avoir vraiment vu l’information circuler largement dans les médias allemands ces derniers mois. Anna est même choquée de l’avoir retrouvée dans la rubrique « féminine » d’un journal : « Les inégalités sont avant tout un problème de société ! Les médias ont un rôle important à jouer. Ils ont beaucoup de pouvoirs et peuvent parfois véhiculer des stéréotypes sans s’en rendre compte, ce qui n’engage pas de grandes remises en questions...» Pour elle, si cet engagement représente bien sûr un pas de plus vers l’égalité, il est loin d’être un renversement historique. « C’est un sujet dont on parle de temps en temps, mais je n’ai pas l’impression que quelque chose ait vraiment changé.» renchérit Judith. « Cette stratégie interministérielle va sûrement donner de la visibilité à la cause des femmes. » souligne quant à elle Stéphanie, une Française de 30 ans spécialiste en communication interne à Obertshausen, qui se dit agréablement surprise de l’initiative du gouvernement allemand, dont elle n’attendait plus vraiment grand-chose depuis longtemps.

 

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Un des points clés de ce plan est l’équilibre entre vie professionnelle et privée. En effet, selon l’Office fédéral des statistiques, les femmes allemandes consacrent en moyenne 52,4 % de temps de plus que les hommes à des activités de soins non rémunérées. Cette charge va donc les pousser à se mettre plus rapidement à temps partiel (en 2019, 47 % des femmes contre 11 % des hommes selon l’EIGE). De ce fait, elles gagnent en moyenne 22 % de moins que leurs homologues masculins… et 48 % pour les femmes en couple avec enfant(s) ! L’écart a effectivement tendance à se creuser lorsqu’il y des enfants à charge (du moins dans les couples hétérosexuels). L’encadrement tout au long la journée à l’école primaire est un exemple de mesure concrète qui devrait réellement permettre de rendre famille et travail compatibles.

 

Kinder, Kirche, Küche

Cependant, si la politique peut apporter des améliorations à la cause des femmes et changer les problèmes structurels, l’évolution des mentalités est un long chemin épineux. Stéphanie se rappelle d’ailleurs de ses cours de civilisation allemande où les étudiants avaient abordé les fameux trois K capitaux censés régir la vie de la femme allemande, « Kinder, Kirche, Küche » : les enfants, l’Église et la cuisine. « Les Allemands sont très sceptiques par rapport aux mères qui travaillent. » affirme Marion, ingénieure agronome française de 29 ans à Lampertheim. « En Allemagne, la génération des baby-boomers est clairement dans un schéma « homme au travail et femme a la maison », alors que la France promeut le travail des femmes depuis plus longtemps. ». Les clichés ont la peau dure. En 2005, la députée européenne Silvana Koch-Mehrin avait choqué bon nombre d’Allemands en affirmant qu’elle avait placé sa fille en crèche dès ses cinq mois et qu’elle ne se considérait pas pour autant comme une mauvaise mère.

 

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En revanche en Allemagne, on ne parle pas de congé maternité mais de congé parental, c’est à dire qu’il revient au couple de se partager les 14 semaines rémunérées à 67 % du salaire net. En réalité c’est la femme qui assume le plus souvent la quasi-totalité de ce congé, si ce n’est pour ensuite s’arrêter pour une période de 2 ou 3 ans, chose plutôt commune outre Rhin. Embaucher une femme qui veut des enfants, c’est donc prendre le risque d’avoir une employée moins disponible, moins assidue, il faut prévoir les éventuels congés parentaux. Beaucoup de facteurs peu susceptibles de charmer l’employeur au moment de l’entretient d’embauche… 

 

Se faire une place sur le marché du travail

La légitimité des femmes à se trouver sur le lieu du travail est souvent remise en cause. Beaucoup sont celles qui déplorent ne pas être rémunérées à leur juste valeur, leurs qualifications étant sous-estimées par rapport à leurs homologues masculins.

« Peu de temps après avoir arrêté mon activité d’intervenante en français dans une école de langues à Heidelberg, j’ai rencontré fortuitement un vieil ami allemand francophile qui m’a appris qu’il intervenait dorénavant ponctuellement dans cette même école « pour le plaisir ». Son taux horaire était supérieur de 5 € par rapport au mien alors que lui n’était ni de langue maternelle, ni enseignant de formation ! J’ai été profondément outrée par cette injustice, je me suis sentie comme dévalorisée. » se souvient amèrement la Française Sophie, enseignante de français de 45 ans.

Si Sabrina, une Italienne de 49 ans a aussi vécu ces malheureuses expériences lors de petits boulots étudiants en Italie, cela ne lui est en revanche jamais arrivé au cours de sa longue carrière d’enseignante en collège/lycée à Francfort.

C’est tout le contraire pour Margo, Française retraitée de 71 ans à Francfort, qui dit n’avoir jamais rencontré de problèmes dans les entreprises françaises où selon elle les augmentations se font de manière régulière et témoigne avoir été victime de harcèlement moral et d’écarts de salaires importants en Allemagne par rapport à des collègues. « Étant membre du comité d’entreprise, j’ai pu constater que plusieurs gagnaient 1 000 € de plus que moi ! C’était à pleurer...» déplore-t-elle. Un des ses derniers chefs a été quant à lui interpellé par sa fiche de paie et s’est exclamé « Vous gagnez vraiment aussi peu ? ».

Aujourd’hui encore, les inégalités de salaires persistent, mais au sein d’une entreprise, c’est un problème assez subtil. « Ce n’est pas vraiment un sujet qu’on aborde entre collègues, il ne nous est jamais arrivé de comparer nos fiches de paie. Même si je ne pense pas avoir été victime de cela, en réalité je n’en ai aucune idée.» réfléchit Stéphanie. Depuis 2018, une loi permet cependant aux salariés de comparer leurs salaires, la « Entgelttransparenzgesetz ». Chaque salarié d’une entreprise employant plus de 200 personnes est en mesure de demander à son employeur une moyenne des salaires bruts de 6 collègues du sexe opposé. Si au-delà de 3 mois l’employeur ne satisfait pas cette requête, il peut être poursuivi pour discrimination. Cette loi censée lutter pour l’égalité salariale et la transparence en entreprise a toutefois ses limites : si une différence de rémunération à tendance discriminatoire est constatée, aucune amende n’est prévue, ce qui ne met donc pas vraiment la pression aux entreprises...

 

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Angela Merkel, l’arbre qui cache la forêt ?

La parité entre les deux genres est au cœur de la stratégie interministérielle. D’ici 2025, des quotas de 30 % minimum de femmes vont s’appliquer dans les conseils d’administrations de 600 entreprises. Un quota de 50 % de femmes minimum sera également imposé dans les postes de direction politiques au niveau local. Armand, account-manager français âgé de 31 ans est installé à Berlin. Il s’interroge cependant sur la nécessité de ces discriminations positives. « Pourquoi cela ? Est-il forcément nécessaire d’obtenir une parité parfaite entre les genres dans chaque branche de métier, à chaque échelon ? Si les femmes sont plus douées, alors si elles occupaient 80 % des places ne me gênerait pas. Mais à mes yeux, le 50/50 ne sert qu’à montrer que le gouvernement prend des mesures fortes.»

Le gouvernement souhaite également réaccorder du pouvoir aux femmes, sous-représentées dans de nombreux domaines. En effet, si Merkel est à la tête du pays depuis 15 ans, les femmes ayant réussi à gravir les échelons et atteindre des postes de haut niveau sont peu. Au contraire, il semble d’ailleurs que la politique libérale de la chancelière ait multiplié les travailleuses précaires. Le système les poussant à cumuler petits-emplois et empocher de maigres salaires les plonge dans la pauvreté et l’instabilité. « Sous-payée par rapport à mes collègues, j’ai rarement reçu d’augmentations... et maintenant ma retraite représente le minimum social ! » soupire Margo.

Néanmoins, Judith, encore étudiante, semble plutôt confiante en l’avenir et se dit prête à être flexible si tel est le coût pour avoir un travail « Je ne m’inquiète pas trop pour mon entrée sur le marché du travail et je ne crois pas qu’elle sera plus difficile parce que je suis une femme. Si je suis prête à déménager à n'importe quel lieu, soit en Allemagne, en France ou au Luxembourg, je pourrai trouver un métier. Mais peut-être que pendant ma carrière, mon sexe pourra être un inconvénient. Notamment parce qu'il y a plus de hommes aux postes de direction qui sont plus enclins à promouvoir et donc recruter d’autres hommes et aussi parce qu'il y a un temps d'absence rédhibitoire si une femme veut avoir des enfants.»

En bref, nombreux sont les obstacles qu’auront à supporter les femmes au cours de leur carrière. Il semble qu’en 2020 le genre est toujours un frein aux ambitions de certaines. Anna évoque cependant un problème de société plus subtil, de véritables cultures organisationnelles structurées autour de l’exclusion de l’autre : « Pour avoir travaillé en collaboration avec des ingénieurs ou encore la police, j’ai souvent eu le sentiment qu’on ne reconnaissait pas ma légitimité à être là. Notamment en tant que femme dans des milieux dominés par les hommes, mais aussi en tant qu’indépendante externe à ces corps de professions où règne un fort esprit de groupe.»

Pour conclure, Armand s’exclame de son côté : « Et que fait-on de l'ascenseur social et de la place laissée à la direction des entreprises et des administrations par des individus issus des couches sociales défavorisées ? L'accroissement des inégalités dans le monde me semble un sujet beaucoup plus important.»

 

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