Méditerranéen par excellence, né à Marseille, de père libanais, et vivant à Barcelone depuis presque 40 ans, Philippe Saman est le directeur de la Chambre de Commerce et d'Industrie Française de Barcelone. Passionné de sport et de football en particulier, il est, de par ses nombreuses activités, bien introduit et influent dans le monde économique et social en Catalogne et possède une vision intéressante de l'évolution de l'Espagne et de la Catalogne depuis plusieurs décennies. Questions – réponses.
lepetitjournal.com : Quel est le bilan de l’action de la CCI française de Barcelone en 2017 ?
Philippe Saman : Nous comptons actuellement 450 entreprises membres et le nombre continue de croître, notamment au niveau du Comité de Patronage. Nous avons réalisé l´année dernière plus de 30 événements, réuni plus de 2.000 cadres et dirigeants pour l´activité associative et assisté plus de 130 entreprises pour l’accompagnement et le recrutement. Nous sommes une petite équipe que je qualifierais de performante.
Les nouveautés 2017 ? Nous avons lancé deux groupes de travail sectoriels : Innovation, d´une part, et Ressource Humaines, d´autre part, pour faciliter l’échange de bonnes pratiques sur ces thèmes entre nos membres. Nous continuerons sur cette lancée en 2018.
Comment la situation politique de la région a-t-elle été vécue par les adhérents et quels éléments de réponse a apporté la CCI ?
A l’évidence, nos entreprises comme d’autres, ont vécu les événements dans l’inquiétude occasionnée par l’instabilité qu´entraine tout conflit pour les affaires. Nous n’avons, pour autant, constaté que de très rares désaffections.
Je me permets de rappeler que dès la fin de l´été 2017, nous avons surtout veillé à transmettre un message de tranquillité et de sérénité à nos membres. Le 19 octobre, nous avons ainsi réuni plus de 150 entreprises -responsables de grands groupes, mais aussi de nombreuses PME et startups- pour partager avec leurs responsables, informations et conseils en relation avec la situation politique et économique du moment.
Plus que jamais, nous avons joué notre rôle de fédérateur, et il est réconfortant pour nous -avec le recul- de voir la place que nous donnent l´ensemble de nos adhérents et la confiance qu´ils nous octroient.
A cette occasion, et largement relayé par les médias, Antoni Bover, notre Président, a exigé que la classe politique dans son ensemble fasse preuve d’intelligence collective, d’écoute, de dialogue et garantisse la stabilité dans les affaires, indispensable pour le développement économique des entreprises. Aujourd’hui, soit 6 mois plus tard, ce n’est pas simple, mais c’est certainement plus calme, dans l’attente que se matérialise enfin une issue.
Quel est à votre avis l'impact sur l’économie ?
Les chiffres du 1er trimestre 2018 sont encourageants, certains diraient même surprenants : record des exportations catalanes -n´oublions pas qu´elles représentent 30% du total de l´Espagne-, records aussi pour les résultats du Port et de l´Aéroport de Barcelone. Malgré les turbulences politiques, la santé économique de la région ne se porte pas si mal.
Quels sont vos conseils pour les entreprises françaises qui s’efforcent à s’implanter dans la région ?
Mon premier et, à vrai dire, unique conseil aux entreprises qui souhaitent s'implanter dans la région, c'est de le faire en connaissance de cause. Dans l'ambiance actuelle, il faut distinguer entre phénomènes structurels et phénomènes conjoncturels, même à fort impact.
Pour une entreprise, la décision de s'implanter dans un pays ou une région relève de plusieurs facteurs : le potentiel du marché, les prévisions de croissance, l'environnement juridique et fiscal, et, bien-sûr, de la stabilité politique. Pour l'ensemble de ces paramètres, l'Espagne reste une bonne cible et la Catalogne, à égalité avec Madrid, un bon potentiel régional. Globalement, la croissance espagnole attendue en 2018 (autour de 3%) reste bonne dans le cadre de l'UE. Elle sera légèrement moins forte à Barcelone et dans sa région.
Mais la Catalogne n'en demeure pas moins industrielle, compétitive, innovante et surtout exportatrice, comme je viens de le dire. Dans le récent classement des régions où il faut investir, paru dans le Financial Times (février 2018), la Catalogne est classée première des régions européennes en terme d'investissements pour les années 2018 et 2019, devant Madrid, la Lombardie, Istanbul et Lisbonne. On lui reconnaît une stratégie gagnante pour l'attraction d'investissements productifs notamment. On parle ici de projets durables, structurants pour le territoire et l'emploi pour lesquels les entreprises qui s'implanteront se trouveront dans une dynamique positive. C'est peut-être cela qu'il faut avoir en tête quand on s'aventure en Catalogne.
Enfin, comment ne pas évoquer la marque Barcelone qui a, certes, souffert ces derniers mois, mais qui reste solide. Bien plus qu´une mode, c´est un actif très fort, qui s'est consolidé dans les dernières décennies. Elle est vecteur d´innovation tant dans la recherche scientifique que dans le design, la mode ou la musique, notamment.
Quelle est le volant d’activité de la CCI dans les Baléares et en Aragon et dans quel dynamisme s’inscrit-il ?
Nous travaillons de façon récurrente avec Aragon Exterior (AREX) depuis de nombreuses années. Nous avons, par exemple, participé à leur VIème édition des rencontres internationales l´année dernière avec la France comme pays invité. Nous y avons rencontré les entreprises aragonaises en recherche d’informations et de conseils sur le marché français et animé une table ronde sur le sujet.
Le mandat d’Antoni Bover arrive à son terme. Que prévoient à cet égard vos statuts ?
Effectivement, son mandat arrive à échéance le mois prochain et il ne peut pas être réélu. La personne qui va lui succéder sera désignée le 9 juillet, par et parmi les 22 membres de notre Conseil d´Administration. J´en profite pour souligner l´apport et le dynamisme extraordinaire que nous a donné Antoni Bover durant ses 9 années de Présidence. Je suis personnellement content et rassuré de son engagement à continuer à travailler avec nous sur des dossiers importants, même s´il n´est plus au Conseil de notre entité.
Un mot aussi sur nos statuts. Ils datent du siècle dernier et nécessitent d´être actualisés et modernisés. Nos membres vont avoir à approuver lors de notre Assemblée Générale du 13 juin un nouveau texte. Le langage adopté est plus simple et plus conforme à celui utilisé de nos jours. Il tient compte aussi de l´évolution de notre activité au fil des ans. Les critères de Responsabilité Sociale Corporative (RSC) et de digitalisation y ont été incorporés, de même que l´application d´un code éthique.
La Chambre fête cette année ses 135 ans.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus concernant cet anniversaire ?
C’est l’occasion pour moi de refaire les présentations ! La CCI Française de Barcelone a été créée en 1883. Elle est la doyenne des 120 Chambres françaises à l’étranger et l’association d’entreprises étrangères la plus ancienne d'Espagne. C´est une entité privée qui regroupe actuellement plus de 450 membres, des sociétés françaises implantées en Espagne, surtout en Catalogne, et des groupes espagnols ayant une relation privilégiée avec le marché français. Ces membres forment un Club d'affaires qui constitue une importante plate-forme de networking. La CCI Française de Barcelone propose également des services d'appui aux entreprises qui souhaitent se développer sur les marchés français et espagnol.
Les festivités de notre 125ème anniversaire, il y a 10 ans déjà, sont encore dans la mémoire de beaucoup. Elles avaient été ponctuées par un dîner de gala au MNAC, en présence du Roi Juan Carlos I et de la Reine Sofia, et plus de 1.000 invités.
Pour notre 135ème anniversaire, le 13 septembre prochain -jour pour jour la date de création de notre entité- nous donnons rendez-vous, en fin de journée, à tous nos membres et à l´ensemble de nos partenaires, à l´Hospital Sant Pau. Nous aurons l’occasion d´en reparler.
Quels seront les autres moments forts de votre entité cette année ?
Notre Assemblée Générale, le 13 juin, au Palau de la Música Catalana, une nouvelle édition du Prix Entrepreneur Tech et du Prix Pyrénées ainsi que la réforme du dispositif du commerce extérieur français qui affectera sans doute notre organisation pour la partie services aux entreprises.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus concernant le Prix Pyrénées et le Prix Entrepreneur Tech ?
Ce sont deux moments importants dans la vie de notre entité et deux Prix emblématiques, créés par notre Chambre, autour desquels nous réunissons un nombre significatif d’entreprises et d’acteurs institutionnels français et espagnols.
Le Prix Pyrénées récompense le parcours franco-espagnol d'une personnalité ou d'une entreprise. Il a, par le passé, été décerné -entres autres- à Jean Nouvel, architecte français, Eric Abidal, ex-joueur du FC Barcelona, ainsi qu’à des groupes comme Gas Natural Fenosa, Freixenet, Mango, Louis Vuitton, Vente-Privé, et dernièrement à Aigues de Barcelona - Groupe Suez. La XIXème édition aura lieu en fin d´année et comptera -comme depuis sa création- avec une collaboration très active du groupe Godo de Comunicación, auquel appartient le journal La Vanguardia.
L´appel à candidatures de la troisième édition du Prix Entrepreneur Tech, qui confirme notre présence dans l’univers des startups, vient d´être ouverte. Nous attendons plus d´une cinquantaine de dossiers d´entreprises implantées en Espagne et ayant un projet technologique innovant. L´objectif est de créer des synergies et des partenariats entre ces entreprises et nos membres. La soirée de remise du Prix -qui aura lieu cette année le 4 juillet- regroupe environ 200 personnes (startups, PME, grandes entreprises, investisseurs) autour de nos sponsors susceptibles d’accompagner les "startuppers".
Et concernant la réorganisation du commerce extérieur de la France ? va-t-elle affecter la CCI française de Barcelone ?
La réponse est oui. La réorganisation du commerce extérieur de la France va affecter le réseau des Chambres en France et à l'étranger et par conséquent, la CCI française de Barcelone.
Un mot peut-être sur les raisons de la réforme : il y a aujourd'hui trop d’acteurs dans le dispositif d'accompagnement des entreprises françaises à l'international, et par conséquent une mauvaise lisibilité de l’offre. De plus, les résultats du commerce extérieur ne sont globalement pas satisfaisants. L'objectif de la réforme est, avant tout, d'augmenter et de pérenniser le nombre d’exportateurs en simplifiant le dispositif d'accompagnement et en optimisant les services proposés. De plus, il ne faut pas perdre de vue l’un des objectifs des réformes menées par le Président de la République à savoir la réduction du déficit public.
En France, seront regroupées les équipes CCI / Business France autour de plateformes uniques dans les différentes régions et sera mis en place la "Team France Export". A l'étranger, selon les pays, il y aura soit un renforcement de l'équipe Business France, soit un désengagement de l'Etat en faveur d'acteurs privés. L'Espagne fait partie de cette dernière catégorie. Concrètement cela signifie que les Chambres françaises de Barcelone et de Madrid pourront postuler à l’appel d’offres, en même temps que d’autres candidats privés, pour prendre en charge l’appui commercial des entreprises françaises vers l’Espagne.
C’est une belle opportunité de développement pour notre réseau en Espagne et un beau projet à mener dans les mois qui viennent.
Vous déménagez prochainement. Qu’en est-il exactement ?
Nous déménageons certes, mais à la même adresse. Notre bâtiment du Passeig de Gràcia est en cours de rénovation et d’ici à la fin de l’année, nous emménagerons dans des locaux neufs, modernes, équipés des dernières technologies et bien plus adaptés à notre activité de services.