Pas de répit pour la Catalogne. Pas de répit pour les Catalans. Pas de répit pour l'Espagne et pas de répit pour les Espagnols. Six mois apres le retrait de l'article 155, qui maintenait la région sous la tutelle du Gouvernement central espagnol, la possibilité de réinstaurer la mesure est à nouveau à l'ordre du jour. En cause : le laisser-faire du Govern face aux actions organisées par les Comités de Défense de la République (CDR) ce week-end. Le tout sous fond de dérives verbales de l'actuel Président de la Generalitat, Quim Torra, qui a notamment évoqué, en fin de semaine dernière à Bruxelles, la "solution slovène" comme voie vers l'indépendance -concrètement, le recours aux armes.
La détente entre le gouvernement central à Madrid et les indépendantistes en Catalogne, qui était l'un des messages forts passés par le nouveau gouvernement de Pedro Sánchez, n'aura pas fait long feu. Début octobre déjà, avec l'anniversaire du référendum illégal organisé le 1er octobre 2017, puis le début du procès contre les dirigeants indépendantistes à l'origine de la consultation, la coalition entre les Socialistes et les formations catalanes, indispensable pour atteindre la majorité au parlement, avait montré ses limites. L'approbation du budget de 2019 reste de fait toujours conditionné par l'appui -entre autres- des indépendantistes, qui exigent en contrepartie de la part du Gouvernement des garanties quant au sort des leaders actuellement sur le banc des accusés. Ces garanties, estime-t-on depuis Madrid, dépassent la compétence politique au profit de la compétence juridique et il n'incombe pas au Gouvernement d'intervenir en la matière. En attendant, l'approbation du budget de l'Etat pour l'année à venir reste en suspens et on imagine difficilement que le pays puisse fonctionner longtemps sans cet aval parlementaire. Des solutions anticipées pourraient être organisées en mai.
Les Slovènes ont décidé de poursuivre ce chemin en en assumant toutes les conséquences. Faisons comme eux et soyons prêts à tout pour vivre libres
A cette situation de blocage vient s'ajouter l'huile sur le feu jetée la semaine dernière par le Président de la Generalitat, entre autres. Quim Torra, disciple de Carles Puigdemont et activiste convaincu de la cause catalane, n'a pas hésité, le 8 décembre dernier à Bruxelles, devant le "Conseil pour la République" -et en présence donc de son prédecesseur et des conseillers destitués par l'application de l'article 155- d'avancer que le chemin vers l'indépendance catalane devait s'inspirer du modèle slovène. "Les Catalans, nous n'avons plus peur. Ils ne nous font pas peur. Il n'y a pas de retour en arrière sur le chemin vers la liberté. Les Slovènes ont décidé de poursuivre ce chemin en en assumant toutes les conséquences. Faisons comme eux et soyons prêts à tout pour vivre libres". Ces déclarations ont été reprises par le compte Twitter officiel de la Generalitat.
? #President @QuimTorraiPla a l'acte de presentació del Consell per la República a Brussel·les pic.twitter.com/XKvN2hDXlx
— Govern. Generalitat (@govern) 8 décembre 2018
#President @QuimTorraiPla: "Els catalans hem perdut la por. No ens fan por. No hi ha marxa enrere en el camí cap a la llibertat. Els eslovens van decidir tirar endavant amb totes les conseqüències. Fem com ells i estiguem disposats a tot per viure lliures"
— Govern. Generalitat (@govern) 8 décembre 2018
Quim Torra a-t-il dérapé et consciemment appelé à un affrontement armé pour arriver à l'indépendance catalane ?
Quim Torra faisait allusion au processus indépendantiste slovène, qui a culminé en juin 1991 par un référendum ayant compté avec la participation de 93,3% de la population et a obtenu 94% de "oui". Pour mémoire, le 1er octobre 2017, à l'occasion d'une consultation jugée illégale par le gouvernement de Mariano Rajoy et avec les forces de l'ordre mobilisées pour empêcher le bon déroulement de cette dernière, 43% des Catalans se sont exprimés, et 90,2% d'entre eux ont voté "oui" à l'indépendance. Les deux référendums sont pour autant difficilement comparables, en plus des différences contextuelles, notamment liées à la poisition de la communauté internationale ou à encore à la situation de l'ex Yougoslavie en 1991. Les analystes espagnols n'ont par ailleurs pas manqué de souligner que la déclaration unilatérale d'indépendance slovène s'est suivie d'un conflit armé avec l'armée yougoslave, causant plusieurs dizaines de morts. Quim Torra a-t-il dérapé et consciemment appelé à un affrontement armé pour arriver à l'indépendance catalane ? Bon nombre d'analystes se sont posé la question et les réactions politiques, issues de tous bords et des quatre coins du royaume, ont largement condamné les propos du Président de la Generalitat.
Références à la nécessité d'appliquer l'article 155
Les déclarations de Torra interviennent tandis que ce week-end, les Comités de Défense de la République (CDR) ont coupé l'autoroute AP7 pendant plusieurs heures entre Barcelone et Tarragone, en pleine opération de retour du pont de la Constitution. Le gouvernement central s'interroge sur le laisser-faire de la Generalitat, et la non intervention des Mossos d'Esquadra. Dans une lettre adressée à l'Exécutif catalan et signée par la Vice présidente Carmen Calvo, le ministre de l'Intérieur Fernando Grande Marlaska et le ministre de l'Equipement José Luis Ábalos, les membres du gouvernement central ont exigé à leurs homologues catalans des explications sur les failles du dispositif de sécurité. Il n'en a pas fallu beaucoup plus pour que -implicitement de la part du gouvernement et explicitement de la part d'un certain nombre de formations politiques- référence soit à nouveau faite à la nécessité d'appliquer l'article 155 (qui dote le gouvernement de l'État d'un mécanisme pour contrôler les communautés autonomes manquant aux obligations imposées par la Constitution, les lois, ou qui attentent gravement à l'intérêt général de l'Espagne) appliqué pour la première fois au cours de la jeune Histoire espagnole, de fin octobre 2017 à début juin 2018.
Conseil des Ministres le 21 décembre à Barcelone
Pour corollaire à cette tension, est prévu que se tienne le 21 décembre prochain un Conseil des Ministres à Barcelone. Une réunion hors de Madrid et qui devait symboliser la détente, mais qui pourrait bien symboliser tout autre chose, compte tenu des mobilisations prévues à cet effet ce jour-là. Un appel à la grève a été lancé par plusieurs syndicats, tandis que les CDR devraient faire leur possible pour perturber le bon déroulement du conseil. L'intervention des Mossos d'Esquadra sera-t-elle nécessaire ? Le cas échéant, reste à savoir si Torra la facilitera ou si au contraire il laissera la situation se détériorer.
Si Pedro Sánchez est dans une situation inconfortable, il n'empêche que le Président de la Generalitat n'est pas dans une posture beaucoup plus enviable. La détente promue par le gouvernement central à Madrid a eu pour effet de désolidariser le bloc indépendantiste, qui fonctionne de façon beaucoup plus solidaire dans l'adversité. Les divergences stratégiques entre ERC et JxCAT -et la CUP- sont chaque fois plus visibles, ce qui peut expliquer certaines escalades verbales.