Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 1

"Venu en Asie pour servir la France, j’ai été rattrapé par l’Afrique"

Amoussou-Guenou AsiAfrica expatriationAmoussou-Guenou AsiAfrica expatriation
Pierre QUEFFELEC - En Thaïlande depuis 15 ans, Roland Amoussou Guénou a oeuvré dans les milieux diplomatiques, l'enseignement et les affaires, une expérience qu'il met à profit pour aider à dynamiser les relations Asie-Afique
Écrit par Camille Thomaso
Publié le 18 mai 2018, mis à jour le 20 septembre 2019

Docteur en droit international originaire du Bénin, avocat en omission, du barreau de Paris, et arbitre international, Roland Amoussou Guénou, a fondé il y a neuf ans à Bangkok la fondation AsiAfrica pour promouvoir les liens entre Asie et Afrique. Deux continents qui ont selon lui de nombreux points communs et donc beaucoup à partager. Rencontre avec cet expatrié de longue date qui veut établir un pont entre l’Afrique et l’Asie.

Né au Bénin et naturalisé Français, Roland Amoussou Guénou a posé ses valises en Asie il y a un peu plus de 15 ans en tant qu’expert régional chargé de la coopération juridique dans les pays de l’Asean pour le ministère français des Affaires Etrangères -rattaché auprès de l’ambassade de France en Thaïlande. 

Cette expérience -de 2002 à 2006- dans le prolongement d’un doctorat en droit international et d’une expérience du droit du développement à Rome, à l’IDLO (Institut International du Droit du Développement), l’a amené à découvrir de nombreuses similitudes entre l’Asie et l’Afrique. Des points communs dans lesquels il voit la possibilité de transferts de savoir-faire prometteurs et développement fructueux et durable d’intérêts partagés, qui semblent finalement moins évidents dans le cadre des relations Nord-Sud.

Au fil de ses voyages et de ses rencontres dans la région, l’idée d’établir des passerelles de prospérité entre les deux continents a muri. Et c’est en 2009, alors qu’il enseigne le droit économique et des technologies à l’Asian Institute of Technology (AIT) qu’il décide de lancer une initiative aboutissant à la création de la fondation Asiafrica dont le but est de promouvoir la coopération et les échanges Asie-Afrique.

Aujourd’hui avocat- partenaire au sein du cabinet Vovan et Associés, il poursuit sans relâche sa quête de rapprochement entre les deux continents dans les domaines, éducatifs, culturels, scientifiques et des affaires. 

Comment vous est venue l’idée de créer la fondation AsiAfrica? 

Je suis venu en Asie pour servir la France et j’ai été rattrapé par l’Afrique, c’est un peu mon histoire. Quand je suis arrivé en Asie avec Bangkok comme port d’attache, j’ai été immédiatement frappé par le niveau de développement économique.

Il y a 50 ans, l’Afrique et l’Asie étaient au même stade de sous-développement. Aujourd’hui, la différence est flagrante. Ce qui m’a intéressé, c’est savoir comment les

Asiatiques ont réussi à se développer aussi vite. 

Avec une petite équipe de recherche à l’AIT, nous avons trouvé des débuts de réponses à ces questions et j’ai voulu les mettre à profit en créant une fondation destinée à créer des ponts afin de permettre aux pays africains de s’inspirer des méthodes et secrets de développement asiatiques.

En quoi l’Afrique pourrait-elle s’inspirer de l’Asie ?

Ces deux régions sont très proches de par leur expérience de libération nationale, les enjeux de développement, les structures familiales ou communautaires, certaines valeurs sociales, notamment avec l’Asie du sud-est. 

On y trouve une végétation similaire, un climat subtropical commun, et les plantes et fruits sont sensiblement les mêmes (ananeraies, manguiers, bananiers, palmiers, etc.). Le transfert de technologie, de savoir-faire, semble donc finalement beaucoup plus pertinent avec l’Asie. Par exemple, à Cotonou, l’idée d’une technologie "tuk-tuk" présente plus d’intérêt qu’une technologie nucléaire ou de lancement de fusée dans l’espace. 

Fort de ce constat, nous avons monté cette fondation, qui a été reconnue par l’Etat thaïlandais en 2009. Frédéric Favre, Laxami Waraprasat et moi-même sommes membres fondateurs. Nous sommes à présent quatre administrateurs, puis environ mille membres qui nous soutiennent partout dans le monde. Nous sommes partis de rien, c’est un rêve pour apporter une modeste contribution pour combler un vide qui m’a paru important. 

Connaissiez-vous des initiatives préexistantes du même type ?

Ce qui m’a surpris en faisant des recherches avant de créer la fondation, c’est de ne trouver aucune organisation équivalente [de rapprochement Asie-Afrique], mise à part la conférence de Bandung en 1955. 

Je me suis rapproché des Nations unies, qui ont fait en 2011 une déclaration très intéressante soulignant la nécessité pour les pays africains de s’inspirer du modèle de développement asiatique.

L’idée des Nations unies consiste à considérer que, pour un transfert de savoir-faire fructueux, les pays africains doivent se tourner davantage vers les pays les plus proches par leurs besoins, leur géographie, leur climat. 

La Banque mondiale a publié un important rapport, en 2008 en énonçant, peut-être de manière un peu trop affirmée que "L’avenir de l’Afrique dépend de l’Asie…" 

Concrètement, quelles actions sont mises en place par la fondation au quotidien ? 

Tout d’abord nous avons un site Internet et une page Facebook. Nous avons ensuite noué des accords de coopération avec des partenaires en Afrique, par exemple en Côte d’Ivoire, nous avons signé un Memorandum of Understanding avec un groupe nommé Campus Inde qui permet de faciliter les échanges universitaires entre Inde et Côte d’Ivoire. 

Nous approchons les universités en Asie et leur proposons de faire connaitre leur offre en Afrique. Nous sommes également présents lors des foires pour étudiants et l’on reçoit des étudiants pour les former aux réalités de l’Asie. 

Agissez-vous sur des domaines autres qu’universitaires ?

Nous nous sommes peu à peu tournés vers la formation pratique. Nous organisons des séminaires, des formations professionnelles et nous participons à des conférences internationales pour faire part de la situation des échanges Afrique/Asie. 

Nous nous rapprochons également d’entités comme la Banque Africaine de Développement pour les sensibiliser aux enjeux et défis posés par la présence chinoise en Afrique.

Car, certes, il y a une certaine proximité avec l’Asie, mais l’on trouve tout de même aussi de grandes différences, religieuses, historiques, culturelles, etc. On le voit beaucoup quand on cherche à faire des affaires, on passe par des chocs culturels qui peuvent être terribles. 

Donc si l’accompagnement n’est pas là au départ, on peut vite se retrouver désorienté ou démuni, c’est ce que la fondation veut proposer.

Notre action se traduit aussi par des accords de partenariat comme cet accord passé avec une usine qui fabrique des savons à Pattaya, à partir d’herbes naturelles. Ce produit a été créé par une Thaïlandaise, membre de la fondation, passionnée de cosmétiques. Il porte le nom d’une danse africaine, la Kizomba, et une partie de sa production ira en Angola. C’est une façon de marier l’Afrique et la Thaïlande sur un projet commun. Un projet similaire se met en place pour la production de la soie et la promotion de la cuisine Africaine en Asie avec "Tastes of Africa". 

Quels sont les intérêts communs d’échanges entre l’Asie et l’Afrique?

L’intérêt c’est vraiment le transfert de savoir-faire. Les Thaïlandais sont très créatifs dans la transformation et la conservation des produits naturels, alors qu’en Afrique, avec une abondance de ces produits, ce savoir-faire est  limité.

Avec les savons, par exemple, nous utilisons des éléments culturels africains avec un savoir-faire thaïlandais. A terme, nous aimerions faire venir des Africains en Thaïlande pour les former à la fabrication de ces savons.

Nous avons aussi un projet sur la soie, fabriquée dans la province de Buriram. Ils ont tout un cycle de production, le ver qui produit ce genre de soie n’est élevé nulle part ailleurs. L’idée serait d’y faire venir des Béninoises pour qu’elles apprennent à tisser, elles-aussi, cette soie, qui peut se décliner dans toute une gamme de produits.

Ainsi, le potentiel est considérable. 

On fait également de la facilitation. Alors que le déficit commercial de l’Afrique vis-à-vis de la Thaïlande est considérable, nous avons découvert que l’industrie des cosmétiques en Asie est puissante, notamment pour les produits blanchissants. Lesquels sont faits à base de beurre de karité, un produit qui se trouve précisément en Afrique.  

Le Bénin produit du beurre de karité, qui sert pour les cosmétiques mais également pour les soins de la peau et il possède des propriétés de guérison que l’on continue de découvrir. 

Pour l’approvisionnement, nous avons fait le travail de liaison avec les associations africaines de villageois, qui sont prêtes à assurer la livraison. Des tests vont être effectués et, si c’est concluant, nous allons commencer pour la première fois dans l’histoire à instaurer des flux entre ces deux continents. 

Avez-vous des exemples de développement Thaïlandais transposables en Afrique ? 

Cette capacité extraordinaire de bâtir aussi vite, aussi bien. Grâce à la guerre du Vietnam, les Thaïlandais ont appris des ingénieurs américains le savoir-faire de la construction, de la fabrication automobile et de l’ingénierie. Ce sont ces concours de circonstances historiques qui ont permis aux Thaïlandais de se développer.

La transformation des produits aussi, les Thaïlandais ont réussi le ‘food processing’ sans perte, ils font des produits dérivés, c’est de l’ajout de valeur. 

Le pays, à peine plus grand que la France, est reconnu pour son excellence dans le domaine agricole. 

Avec quels acteurs travaillez-vous pour promouvoir votre fondation ?

Nous alertons nos ambassades. Je suis actuellement en relation avec l’ambassadeur du Bénin en Chine qui couvre aussi la Thaïlande. Nous approchons aussi les entreprises.

Mais nous disposons de peu de moyens. Nous faisons des demandes de dons, mais c’est compliqué, c’est une fondation pauvre. Pour lever des fonds nous organisons parfois des petits festivals. Nous avons de grandes idées mais pas encore les moyens à la hauteur de nos ambitions. 

Quelle est la particularité de la Thaïlande par rapport aux autres pays d’Asie ?

La Thaïlande est très proche de l’Afrique de l’Ouest à plusieurs égard : le climat, la nourriture, les ingrédients et même dans l’attitude. 

La Thaïlande est un pays reconnu pour ses excellences en matière d’agriculture, qui est premier exportateur mondial de riz et devient un hub de fabrication automobile. 

Néanmoins, il existe des limites au niveau de la communication. Il faut apprendre à communiquer avec eux, surtout quand on est Africain, pour pallier les différences culturelles. La communication avec les Thaïlandais est basée sur la distance ce que les Anglais appellent "Power distance". Les Vietnamiens paraissent aussi très ingénieux. Les Japonais bâtissent leur empire avec la technologie et le travail. Les Chinois sont rusés et entrepreneurs. 
  
Aussi, la fondation ayant son siège en Thaïlande, nous avons une racine juridique ici. Et nous sommes en train d’ouvrir une antenne au Bénin pour créer des synergies.

Pouvez-vous nous dire un mot sur l’état des relations bilatérales entre le Bénin et la Thaïlande ? 

Il n’y en a presque pas. Nous sommes en train d’agir pour l’ouverture d’une ambassade en Thaïlande. 

Grâce à l’ambassadeur Pierre Simon Adovelande qui m’a nominé, j’ai reçu le trophée ("Kwabo" bienvenue) 2018, pour l’excellence et le mérite au Benin. C’est un grand honneur et un privilège. Je suis donc considéré comme un représentant de fait.

Formellement, pour l’instant il y a un consul honoraire, qui est Thaïlandais, K. Amarin Khoman. Les premiers contacts ont été lents, mais désormais nous travaillons assez bien ensemble –approcher les Thaïs n’est pas toujours facile, la confiance met donc du temps à s’installer. Actuellement, nous planifions une semaine thaïlandaise au Bénin, à Cotonou, pour octobre 2018 et une ligne aérienne directe entre Bangkok et Cotonou. 

Quel est l’état des relations entre le Bénin et les autres modèles asiatiques ? 

Pour le Japon, des événements culturels ou conférences sont régulièrement organisés pour célébrer l’amitié entre Asie et Afrique, comme le forum TICAD. Cependant, on manque de visibilité sur le terrain et leur technologie est trop avancée par rapport à ce dont l’Afrique a besoin, cela engendre une relative asymétrie, un décalage. 

En Chine, leur intérêt est différent, c’est une opportunité plus qu’une coopération réelle. En 2006 un nouveau forum est né, pour la coopération entre l’Asie et l’Afrique.

L’idée est bonne, ils essayent de changer les préjugés sur l’Afrique, promeuvent des images positives de l’Afrique via des campagnes et des films. 

Mais, les résultats restent à valider car malgré ces efforts, les préjugés demeurent. Cela dit, ceux qui ont compris l’intérêt de l’Afrique se déplacent. Il y a du bon comme du négatif.

L’Afrique a tout intérêt à multiplier les partenaires. Pour cela il faudrait que les Africains se mettent à mieux comprendre l’Asie. C’est une expertise que je suis prêt à partager. 

Voir aussi le site Internet de la fondation AsiAfrica ; la page Facebook et le groupe Facebook

 

Flash infos