Que vous soyez touriste ou expatrié en Thaïlande, le TM30 vous concerne. Son application stricte depuis mars reste quasi indolore pour le touriste, mais pour l’étranger résident, c’est un vrai cauchemar. Du moins pour l’instant
Depuis le 25 mars, les autorités de l’immigration thaïlandaise ont décrété la mise en application stricte et généralisée sur tout le territoire de l’Immigration Act datant du 24 février 1979 (articles 37 et 38). Cette loi requiert de tout propriétaire hébergeant une personne non-thaïlandaise de signaler sa présence aux autorités compétentes dans les 24h, cela au moyen du formulaire TM30. Le texte prévoit également que, si le propriétaire n’effectue pas ledit signalement, alors c’est à l’étranger lui-même de le faire, via le formulaire TM28, à partir du moment où il quitte la province dans laquelle il était précédemment enregistré.
Avant le 25 mars, seuls les établissements hôteliers étaient vraiment tenus d’effectuer la démarche de manière systématique, et les vacanciers s’enregistrant à la réception avant de prendre leur clé ne se rendaient même pas compte de la procédure. Il se pouvait que les propriétaires de logements privés soient concernés dans certaines provinces, mais pas de manière aussi systématique et, s’ils étaient réprimandés, c’était principalement pour avoir seulement omis de déclarer un nouveau locataire.
Tout étranger doit pointer dans les 24 heures
Ce qui a changé depuis le 25 mars est que les autorités exigent désormais de tout étranger que sa dernière adresse d’hébergement ait été dûment notifiée dans les 24h, sans quoi il ou elle se voit infliger -ainsi que le propriétaire dudit hébergement- une amende pouvant aller de 800 à 2.000 bahts -10.000 pour les établissements hôteliers.
“Le TM30 relève de la responsabilité des propriétaires de biens qui louent à des étrangers, ce sont eux qui doivent collaborer avec nos services afin d’assurer la sécurité des étrangers", précise le Lieutenant-colonel Tititwat Rouchanukul de l’Immigration de Chiang Mai interrogé par Lepetitjournal.com. "En ce qui concerne le TM28, s’il n’y a pas pour le moment de durcissement dans l’application de la loi, cela nous permet tout de même de vérifier que les données fournies par le propriétaire correspondent” ajoute-t-il.
Mais ce n’est pas tout : lors d’un renouvellement de visa, si l’officier en charge de la demande découvre un défaut de notification dans le dossier, il peut refuser d’accorder le sésame tant que l’amende n’a pas été payée par l’une ou les deux parties (étranger locataire et propriétaire).
Cela signifie que si vous êtes non-thaïlandais, peu importe qu’il s’agisse de votre résidence principale, de celle d’un ami ou de la famille, dès que vous dormez dans une province différente de la veille, vous devez vous assurer que les autorités sont averties de votre nouveau lieu d’hébergement dans les 24 heures. Par exemple, si vous vivez à Chiang Mai et voulez rendre visite à votre belle-famille dans la province voisine de Lampang pour le week-end : votre belle famille devra déclarer votre arrivée avec les détails nécessaires (copie de la page principale du passeport, des pages avec le visa, la dernière date d’entrée sur le territoire, et copie de la carte de départ TM6) puis, lorsque vous reviendrez chez vous, il vous faudra vous déclarer de nouveau ou demander à votre propriétaire de le faire.
Voilà qui a de quoi compliquer grandement la vie des expats en Thaïlande, mais aussi celle de leur propriétaire, de leur belle-famille s’ils en ont une, leurs amis, bref, quiconque héberge un étranger dans sa propriété.
Entre indignation et incompréhension
Ce n’est donc pas étonnant que le sujet domine les discussions sur les forums d’expatriés depuis plusieurs semaines. Une pétition adressée au Premier ministre a même été lancée le 28 juillet par un groupe d’expatriés résidant en Issan réunis autour d’un expert légal québécois pour l’implorer de revenir sur cette forme d’application de la loi de 1979. La pétition, qui compte environ 6.000 signatures, a été suivie le jeudi 15 août par une table ronde sur le sujet au Club des correspondants étrangers de Thaïlande (FCCT).
Réunissant notamment l’initiateur de la pétition, Sébastien Brousseau, le blogueur américain Richard Barrow, le directeur de la chambre de commerce australienne, Chris Larkin, et deux hauts responsables de l’immigration de Bangkok dont le Maj. Gen. Patipat Suban na Ayudhaya, chef de la Division 1 de l’Immigration, l’événement a sans surprise mis en évidence une grande confusion et un certain nombre d’incertitudes sur l’avenir.
L’animateur de la conférence, Dominic Faulder, a d’abord pris soin de rappeler en ouverture que lorsque la loi a été promulguée, en 1979, la Thaïlande était un pays très différent avec la situation du Cambodge et ses milliers de réfugiés fuyant les Khmers rouges vers le royaume (500-600.000 Cambodgiens sur le sol thaïlandais) et, dans le même temps, l’exode depuis le Vietnam à partir de 1975 : la Thaïlande était préoccupée par les étrangers "boat people". Qui plus est, à cette époque, le tourisme étranger était embryonnaire, le royaume n’ayant atteint les 2 millions de visiteurs étrangers qu’en 1982.
Confusion dans l’application et services débordés
Là-dessus, le panel, Richard Barrow et Sébastien Brousseau en tête, a souligné que la remise en vigueur de cette vieille loi dans le contexte actuel, très différent d’il y a 40 ans, générait des contraintes insoutenables non seulement pour tous les expatriés, mais aussi pour de nombreux Thaïlandais liés de près ou de loin à ces étrangers (famille, propriétaires, étudiants, entreprises, employés, etc.), précisant que certains propriétaires ont d’ores et déjà tout simplement décidé de ne plus louer à des étrangers.
A cela, les hauts responsables de l’immigration ont en gros objecté trois points: "Cette mesure est essentielle pour assurer la sécurité nationale", "la loi est la loi, nous nous devons de la faire appliquer", et "ce n’est pas si difficile de se conformer à l’exigence du TM30”, mettant en avant que les propriétaires pouvaient effectuer la notification en ligne.
Des arguments qui ont été plutôt à la peine durant près de deux heures de débat, l’essentiel des interventions pointant globalement des termes d’application à géométrie variable d’un bureau à l’autre générant une grande confusion, et un dispositif d’application très contraignant avec des services débordés et de longues files d’attente ainsi qu’une plateforme Internet défaillante.
La question que cela pose -et qui a évidemment été posée au FCCT- est : pourquoi (re)mettre aussi soudainement en application de manière aussi stricte et brute une telle loi -partiellement appliquée pendant des décennies et inadaptée au contexte actuel- alors que les services de l’immigration ne sont manifestement pas prêts pour permettre au public de l’appliquer ?
La Thaïlande "dangereuse", les étrangers en première ligne?
L’argument est principalement sécuritaire et semble être justifié par des phénomènes impliquant des étrangers comme les attentats de 2015 à Bangkok, des trafics en tous genres, etc. Mais les autorités invoquent aussi la sécurité des étrangers eux-mêmes.
“Nous souhaitons contrôler et garder une trace des déplacements des étrangers, nous voulons savoir où ils sont tout le temps, pour des raisons de sécurité nationale, mais surtout pour votre sécurité", expliquait le 14 août à Lepetitjournal.com le Lieutenant-colonel Tititwat Rouchanukul de l’Immigration de Chiang Mai. "Que se passerait-il si vous veniez à disparaître et que votre famille nous demande où vous êtes et que nous ne pouvons répondre ? Si vous lisez les médias, il y a de nombreux cas de disparitions d’étrangers, c’est pour cela qu’il est important que nous sachions dans les 24 heures où vous êtes!”
L’Immigration semble nous dire en gros que la Thaïlande serait dangereuse pour -et par- les étrangers, au point qu’il serait devenu absolument nécessaire de prendre de telles mesures aussi contraignantes que de documenter le moindre déplacement interprovincial de chaque étranger dans les 24 heures…
Tant sur le niveau de dangerosité supposé du pays que sur le bien-fondé de la solution proposée, les arguments ont de quoi laisser perplexe et donner au contraire à nombr d’expatriés (voire tous) l’impression désagréable d’un certain mépris vis-à-vis des étrangers de la part d’une bureaucratie conservatrice et finalement peu inventive.
Les panélistes de la table ronde du FCCT ont d’ailleurs cru bon de rappeler aux fonctionnaires de l’immigration présents -qui assénaient en réponse à la plupart des questions "la loi est la loi"- qu’un grand nombre d’expatriés présents sur le territoire ne demandent rien de mieux que de respecter la loi du pays qui les accueille. “La loi est la loi, mais pourquoi dans ce cas l’application du TM28 n’est-elle pas renforcée ? Auparavant, le TM30 ne l’était pas non plus. En tant qu’hôtes de ce pays, nous n’attendons rien de moins que de respecter la loi, mais celle-ci devrait être logique, claire et efficace”, a insisté Sébastien Brousseau.
La réponse reste la même: la loi est la loi, il faut absolument l'appliquer à la lettre désormais, là, maintenant, même si cela n'avait pas été fait ainsi pendant des décennies avant le 25 mars.
Du temps de la guerre froide à la Thaïlande 4.0,... ou l'inverse?
Mais le panel du FCCT n’avait pas pour seul but d’exposer les problèmes, il était aussi question d'évoquer de possibles solutions. Un certain nombre de propositions simples ont en effet été présentées, comme par exemple l’idée de mettre en place une procédure vérificative plus poussée pour les demandes de visa longue durée avec en contrepartie l’exemption de TM30 et/ou la délivrance d’une carte d’identité d’expatrié avec code-barre ou numéro d’identification, comme cela existe déjà pour certains étrangers (Pink card).
Un septuagénaire de l’assistance a même suggéré de mettre en œuvre les nouvelles technologies, évoquant la reconnaissance et géolocalisation électronique des téléphones portables -pour lesquels les étrangers doivent d’ailleurs déjà fournir des papiers d’identité- qui permettrait carrément un flicage en temps réel. Une idée plutôt en phase avec l’air du temps et qui permettrait de promouvoir le fameux projet de Thaïlande 4.0,… au lieu de remettre au gout du jour l'époque de la guerre froide.
Car pour l’heure, comme le souligne le journal Asia Times, “marquée par de longues files d’attente, un imbroglio informatique et une colère grandissante, cette réglementation controversée apparaît en contradiction totale avec la promotion gouvernementale ambitieuse de la «Thaïlande 4.0» qui veut faire du royaume un hub prometteur pour industries high-tech nouvelle génération, grand ouvert aux investisseurs étrangers, avec son fameux Corridor Economique de l’Est (CEE).
Pour le journal Khaosod, "le TM30 est une perte de temps et de ressources inutile au nom de la sécurité nationale. Plutôt que de leur faire sentir qu’ils sont les bienvenus pour permettre à la Thaïlande de stimuler son économie et d’enrichir sa culture et sa société, l’arrogant formulaire TM30 a aliéné le sentiment de centaines de milliers d’expatriés respectueux de la loi. L’étendue des dégâts ne fait que s’élargir de jour en jour, un nombre croissant de personnes se demandant si la vie en Thaïlande en vaut encore la peine."
Et la BBC d’enfoncer le clou avec le témoignage d’une expatriée américaine venant de Chine le coeur plein d'espoirs et de projets mais qui, face aux difficultés et l’attitude de l’immigration thaïlandaise, est tout simplement repartie vers l’Empire du milieu...
L’Immigration thaïlandaise dit toutefois faire au mieux pour améliorer les choses, assurant que dès que les problèmes informatiques seront réglés, les formalités seront bien plus simples.
Quoiqu'il en soit, ceux qui connaissent la Thaïlande depuis suffisamment longtemps savent que s’il n’est pas rare de voir des mesures d'apparence incroyablement contraignantes annoncées ou mises en œuvre de manière inattendue, les autorités savent aussi réagir rapidement pour rectifier le tir si besoin est. Gardons bon espoir...