Après le succès ravageur d’un clip de rap dénonçant la junte au pouvoir en Thaïlande, les militaires piqués au vif ont répliqué en faisant appel à des rappeurs.
"Vois plus loin, la Thaïlande peut aller loin", lance le groupe de rap engagé par les militaires, dans une chanson diffusée jeudi avant le discours du chef de la junte, le général Prayuth Chan-O-Cha, devant des entrepreneurs.
Le clip, intitulé "Thailand 4.0 Rap" -en référence au programme gouvernemental de développement économique basé sur l’innovation technologique- enchaine des séquences montrant des Thaïlandais faisant l’expérience de la robotique et la réalité virtuelle, avec des paroles encourageant le public à "y arriver, y arriver".
"Si tu fais pousser du riz, plantes des légumes et t’occupes de ta ferme, injectes y tes idées et les prix monteront", poursuit la chanson, reprise vendredi sur les réseaux sociaux. "Nous devons y aller de toute façon, je peux le faire ... fais de ton mieux aujourd'hui et demain", etc.
Des paroles aseptisées qui tranchent avec celles de la chanson "Prathet Ku Mee" ("Ce qu’est mon pays"), qui a suscité plus de 28 millions de vues depuis sa mise en ligne sur YouTube le 22 octobre. La chanson de la junte avait suscité moins de 60.000 vues sur les quatre premiers jours et plus de 6.000 "je n’aime pas" contre 243 "j’aime".
Prayuth, qui se pique lui-même d’écrire des chansons et a enregistré quelques ballades dédiées à la grandeur thaïlandaise, a déclaré à son auditoire, jeudi, que la chanson n'avait besoin que de "changements mineurs, de petites rimes". "En dehors de cela, les paroles sonnent déjà bien", a commenté le général.
Une partie du fond musical de la chanson reprend la mélodie de l’hymne national thaïlandais qui retentit deux fois par jour sur toutes les places publiques du royaume imposant un garde-à-vous de quelques dizaines de secondes à la population.
Dans un pays où les rassemblements politiques restent interdits depuis un coup d’Etat militaire en 2014, les artistes sont à la pointe de la critique, même si l’impact politique de leur action s’est révélé pour le moment négligeable.
Dans son clip anti-junte, le collectif "Rap contre la dictature" conspue l’armée, la corruption, la censure et l’absence d’élections, promises pour 2019 après cinq ans de dictature militaire. "Le pays où tu dois choisir entre ravaler la vérité ou avaler une balle", scande un rappeur, le bas du visage dissimulé par un bandana, entouré d’une foule de jeunes gens en colère, brandissant le poing.
Le général Prayut a confié ne pas avoir apprécié, mais il a assuré qu'il n'utiliserait pas ses vastes pouvoirs pour l'interdire. La Thaïlande s’apprête à retourner aux urnes en février 2019 après de nombreux reports et le chef de la junte, connu pour son tempérament irascible et son franc-parler, travaille dur pour adoucir son image.