Les manifestations soi-disant pro-démocratiques ont pris des allures de tentative de prise de pouvoir hier à Bangkok. Plusieurs milliers de manifestants ont encerclé des ministères, se sont emparés d'une chaîne télévisée et se sont installés dans les jardins du siège du gouvernement, espérant faire démissionner le Premier Ministre.
Plus de 30.000 manifestants ont pris d'assaut hier le siège du gouvernement à Bangkok ainsi qu'une chaîne de télévision dans une ultime tentative d'en finir avec le gouvernement de Samak Sundaravej, qu'ils accusent d'être "une marionnette"de l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra (voir encadré).
Emmenés par l'Alliance du Peuple pour la Démocratie (APD), mouvement hétéroclite prêtant allégeance au Roi, les protestataires s'étaient réunis à l'aube pour se déployer vers différents bâtiments gouvernementaux. Un premier groupe de quelques dizaines d'individus armés de pistolets, de clubs de golf et d'armes blanches, a d'abord tenté de prendre le contrôle de la chaîne publique de télévision National Broadcasting Service of Thailand (NBT). La police a dans un premier temps arrêté 85 assaillants, mais l'arrivée de plusieurs milliers de manifestants a finalement contraint les forces de l'ordre à se replier, laissant quelque 3.000 membres de l'APD s'emparer de la télévision publique.
En fin de matinée, le reste des manifestants royalistes avait encerclé les ministères des Finances, des Transports et de l'Agriculture, le Département des Relations Publiques ainsi que le siège du gouvernement et le quartier-général de la police à Bangkok. A 14h, plusieurs milliers de personnes escaladaient les grilles du siège du gouvernement pour s'installer sur les pelouses, alors que 2.500 manifestants avaient bloqué plusieurs axes principaux à l'entrée de la ville.
Un tel déploiement a rapidement suscité des rumeurs de coup d'Etat. Mais le chef de l'armée thaïlandaise, le général Anupong Paojinda, a aussitôt rassuré le public sur la position des militaires. "L'armée ne déclenchera pas un coup d'Etat", a-t-il affirmé en fin de matinée, "l'armée ne s'impliquera pas dans la politique".
Le gouvernement ne cèdera pas aux voyous
S'exprimant depuis un complexe militaire dans la banlieue de Bangkok, Samak Sundaravej a accusé les manifestants de chercher à provoquer des violences afin que l'armée s'empare une nouvelle fois du pouvoir. "Il n'est pas question de laisser un groupe de cinq personnes dirigeant un gang de rue renverser le gouvernement élu d'un pays de 63 millions d'habitants", a-t-il lancé en rejetant toute idée de démission.
Outré par l'occupation de la NBT et l'intrusion au siège du gouvernement, le Premier ministre a rappelé qu'il disposait de plusieurs moyens pour mettre fin à ce type de manifestations, faisant notamment référence à l'état d'urgence. Il a également annoncé qu'il chercherait à obtenir des mandats d'arrêt contre les principaux responsables des manifestations.
En début de soirée, les manifestants avaient libéré les locaux de la télévision, mais occupaient toujours la pelouse du siège du gouvernement malgré un ultimatum lancé par la police, qui n'est finalement pas intervenue.
"Nous resterons aussi longtemps que possible", a indiqué Piphob Dhongchai, l'un des cinq meneurs de l'APD. Alors que la crise politique thaïlandaise entre dans sa quatrième année, les perspectives d'une issue favorable s'éloignent encore un peu plus.
Pierre Queffélec (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html avec AFP) mercredi 27 août 2008
Samak accusé d'être un homme de paille
L'APD affirme que Samak Sundaravej est un prête-nom de l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra. Renversé en septembre 2006 par des militaires royalistes - après plusieurs mois de manifestations menées par l'APD - ce dernier s'est récemment réfugié en Grande-Bretagne pour échapper à la justice de son pays (notre édition du 13 août 2008). Il avait pourtant, en février, fait un retour triomphal suite à son exil forcé après que le gouvernement de Samak Sundaravej a succédé aux généraux putschistes (notre édition du 28 février 2008). En décembre dernier, Samak, à la tête du Parti du pouvoir du peuple (PPP), avait largement remporté les premières élections législatives depuis le coup d'Etat de septembre 2006 (notre édition du 24 décembre 2007). Mais lors de la campagne électorale, il avait clairement affiché son allégeance à Thaksin. De fait, l'opposition soupçonne aujourd'hui l'ancien Premier ministre d'influer sur la vie politique thaïlandaise par l'intermédiaire de Samak. Sondhi Limthongkul, magnat de la presse et principal leader de l'APD, est farouchement hostile à Thaksin. Une hostilité issue d'un différend en affaires. "Aujourd'hui est le jour du jugement", a-t-il lancé hier à la foule qui l'acclamait. "Je ne partirai pas tant qu'un changement politique n'aura pas eu lieu". Comme en 2006, l'APD souhaite faire tomber le Premier ministre mais n'évoque pourtant pas de successeur potentiel ni de solution. (LPJ - 27/08/08)