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Les Thaïlandais disent adieu au "roi du peuple"

Deuil national portrait du Roi de Thailande Bhumibol AdulyadejDeuil national portrait du Roi de Thailande Bhumibol Adulyadej
Lillian SUWANRUMPHA / AFP - Une Thaïlandaise serre contre elle un tableau du roi Bhumibol

A l'approche de la crémation jeudi du roi de Thaïlande, les boutiques vendant des portraits du défunt souverain font recette, représentant ces images du "père de la Nation", très contrôlées par le palais, qui inondent déjà le pays.

Feuilletant un classeur rempli de photos de l’ancien roi de Thaïlande Bhumibol Adulyadej, Somsree Trupsangsree s’arrête sur sa préférée : un cliché datant des années 80 du souverain en tenue décontractée, sur un pont en bois, appuyé contre un camion et discutant avec un villageois.

Assise dans son magasin du vieux quartier de Bangkok où elle vend des portraits du monarque, Somsree explique que, compte tenu de son rang, le souverain n’avait pas à voyager dans le pays.

"Mais il est venu ici pour travailler" s’émeut la femme de 59 ans en se remémorant Bhumibol, ou Rama IX, dont les funérailles prévues pour ce jeudi vont mettre en berne la Thaïlande.

Une des photos du roi proche du peuple arrête le regard de Somsree, dans une pile d'autres, dans le magasin: le roi Bhumibol est assis sur un pont de bois, le dos contre un camion, parlant à des habitants de façon détendue.

"Ses mains tenaient toujours une carte. Il s’asseyait par terre à côté des gens. Il avait tellement les pieds sur terre" ajoute-t-elle.

Une image qui tranche avec celle de demi-dieu devant lequel les sujets devaient se prosterner. Les images de dignitaires, généraux ou Premiers ministres, allongés sur le sol ou recroquevillés dans une pose foetale, devant son portrait, ne choquent personne ici.

Comme beaucoup de Thaïlandais, le lien de Somsree avec le roi, décédé il y a un an à l’âge de 88 ans au terme de 70 ans de règne, est instinctif et intime.

Cette relation est également ancrée dans un récit inlassablement renforcé par la machine propagandiste de l’establishment royaliste.

Des images du défunt roi, comme celles que Somsree vend, recouvrent les maisons, les devantures de magasins et les panneaux d’affichage tandis que les souvenirs de ses bonnes actions sont diffusés en boucle tout au long de la nuit sur les chaines de télévision officielles.

Du portrait officiel en habit de cérémonie au cliché du souverain en sueur parcourant la jungle pour documenter les besoins de son pays, on se souvient de "Naï Louang" -comme l’appellent affectueusement les Thaïlandais- comme d’une figure royale accessible, riche mais pas tape-à-l’œil et dévouée au peuple thaïlandais.

Alors que la crémation approche, l’image de Bhumibol n’a jamais autant été mise en avant.

L’évènement qui s’organise depuis le décès du souverain devrait réunir au moins 250.000 personnes dans le quartier historique de Bangkok, mais aussi en province, où des reproductions du site de la crémation ont été construites pour permettre à la foule d'exprimer son deuil collectif.

La police a cependant interdit que soient vendus des T-shirts avec le portrait du roi ou l'impressionnant site de la crémation, qui représente le mont Meru, montagne mythique représentant l'axe du monde dans la mythologie bouddhiste: "inapproprié" de porter sur son corps l'image de celui qui a un statut de demi-dieu ou de sa dernière demeure terrestre.

Le souci de brandir un portrait "approprié" du roi jeudi, lors du passage du convoi funéraire jeudi, fait donc la bonne fortune des marchands de portraits du roi.

Outre les tableaux, on peut acheter des pendentifs ou boucles d'oreilles en or à l'effigie du roi dans les centres commerciaux ultra-modernes de Bangkok.

Ces dernières semaines, la télévision, qui consacre déjà d'habitude de longs documentaires élégiaques sur la façon dont le roi a oeuvré au développement du pays, a redoublé d'ardeur.

Les Thaïlandais sont encore en train de s’adapter à la vie sous le nouveau souverain héritier du trône. Le roi Maha Vajiralongkorn, Rama X, est désormais à la tête de l'immense richesse et du prestige de la couronne mais il n'a pour l’instant pas encore établi le même lien que son père avait avec son peuple.

Agé de 65 ans, Vajiralongkorn est une personnalité  plus éloignée de ses sujets. Même s’il occupera une place centrale lors des funérailles, il a passé la plus grande partie de sa première année de règne à l'étranger.

Cependant, avoir une discussion honnête et ouverte sur l'un ou l'autre monarque est impossible en Thaïlande. Le pays emprisonne ceux qui critiquent le pouvoir en place en vertu de l'une des lois de lèse-majesté les plus sévères au monde.

La reconstruction d’un royaume

Élevé en Suisse, Bhumibol est monté sur le trône en 1946 à l'âge de 18 ans après que son frère aîné, Ananda Mahidol, ait été abattu dans des circonstances mystérieuses au Grand Palais de Bangkok.

Il a été couronné quatre ans plus tard, héritant d'une monarchie affaiblie au pouvoir en déclin constant.

A l’heure de sa mort, tout cela avait bien changé.

Bhumibol a laissé derrière lui l'une des monarchies les plus riches du monde avec le palais comme pivot des réseaux de pouvoir, dont la très influente armée thaïlandaise.

"La Thaïlande avait besoin d'un roi comme symbole rassembleur et unificateur, et un jeune roi a trouvé un peuple pour reconstruire un royaume ", explique Thitinan Pongsudhirak, professeur de politique à l'université de Chulalongkorn.

Un renouveau d’anciens rituels de palais -dont la prosternation en sa présence- et de devoirs spirituels ont redoré le trône et contribué à re-sacraliser le souverain, élevant Bhumibol à un statut semi-divin.

Cette déification a rendu les témoignages de son engagement auprès des Thaïlandais ordinaires encore plus remarquable et a participé à l’émerveillement de la nation pour son éthique de travail.

Au cours de ces années passées à sillonner la Thaïlande, Bhumibol a lancé des milliers de projets royaux largement médiatisés qui, dans ce pays pauvre et agraire, lui ont valu le surnom de "roi du développement".

De ces voyages, il reste de nombreuses photographies qui ont participé à forger à Bhumibol une image de roi compatissant qui a ignoré les riches de son rang pour se consacrer en priorité à son peuple.

Il s'agit toujours de portraits officiels: mis à part quelques voyages à l'étranger, dont une tournée notable dans les années 1960 aux Etats-Unis, seuls les photographes du palais pouvaient approcher le souverain, permettant un contrôle très efficace de son image depuis des décennies et la mise en place d'images culte.

Le palais royal propage le message

"Il y a beaucoup d'hagiographie et de points de vue officiels imposés à propos des institutions traditionnelles de la Thaïlande, mais tout cela n'aurait pas fonctionné sans le roi Bhumibol et sa façon d’être", écrit Thitinan dans un commentaire adressé à l'AFP.

"Le roi était si dévoué, investi et impliqué que les gens l'ont remarqué et, avec le temps, c'est devenu leur lien."

Son long règne a vu s'éteindre les lueurs de la rébellion communiste avec l’appui des États-Unis et par les séries de débats électoralistes mis à mal par des manifestations violentes et des coups d'État.

Malgré ses liens avec l'armée, qui a constamment pris le pouvoir et renversé des gouvernements civils fragiles par des coups d’Etat qu'il a officiellement approuvés, le roi Bhumibol était perçu comme étant au-dessus de la mêlée.

Un grand défi à relever pour son successeur

La sacro-sainte réputation de Bhumibol a laissé son héritier avec une tache considérable à remplir.

La vie excentrique et les finances du nouveau roi, comme par exemple le transfert récent de plus de 400 millions d’euros d’actions d'une société affiliée au palais, font l'objet de rumeurs interminables.

Certains analystes craignent pour la stabilité du royaume, avec une junte à la tête d'un pays qui souffre de divisions politiques et débute à peine un nouveau règne.

Mais en raison de la loi de lèse-majesté, la critique du nouveau monarque doit rester discrète.

En public, les Thaïlandais ont tout de suite accepté la succession royale, érigeant des portraits du nouveau roi à travers le pays depuis qu'il est monté sur le trône l'année dernière.

 "Ce roi deviendra notre nouveau père", annonce Prapai Saebae, qui à 90 ans est parmi les rares Thaïlandais à avoir vécu sous un autre monarque.

 "Nous devons le respecter."

Pour l’heure, à l’intérieur des entreprises publiques, des banques et autres institutions, le portrait de Maha Vajiralongkorn est néanmoins accroché quelques pouces plus bas que celui de Bhumibol Adulyadej et son épouse la Reine Sirikit qui restent visibles sur les murs.

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