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Le suicide extraordinaire des cigales régale les Thaïlandais

Écrit par Eric DESEUT
Publié le 8 novembre 2018, mis à jour le 29 novembre 2019

Après douze années de recherches en Thaïlande un spécialiste français a mis en relief un comportement unique au monde chez des cigales vivant dans le nord du royaume.

Entre avril et mai, les riverains du parc national Jaesorn dans la province de Lampang s'équipent chaque soir de lampes électriques pour un rituel gourmand dont le scénario est connu depuis des générations. Ils savent qu'au crépuscule les cigales viendront au bord des eaux peu profondes des sources chaudes dont la température avoisine 80°. Là elles sont d'autant plus vulnérables que la végétation a été éclaircie pour le confort des touristes nombreux pendant la journée. Les villageois prélèvent plusieurs kilogrammes d'insectes qui seront consommés bouillis et salés ou sous forme de tempuras. La cueillette peut être répétée chaque nuit, car les cigales reviennent inlassablement s'abreuver sans que leur population semble pâtir de ces prélèvements massifs qui fournissent une manne de protéines appréciée par la population locale. Généralement sourcilleuses, les autorités supervisant le parc naturel ont même émis une directive spéciale autorisant la pratique tout au long de la nuit au bon vouloir des villageois.

Le phénomène peut également être observé près des sources d'eau chaude de San Kamphaeng et de Ban Pong Din dans la province de Chiang Mai. Rentré dans les mœurs, il n'avait pas suscité de curiosité particulière jusqu'à ce qu'un Français en relève le caractère exceptionnel après avoir passé une douzaine d'années dans le nord de la Thaïlande. Une période essentiellement consacrée à l'étude des cigales dont Michel Boulard a analysé le comportement dans le monde entier. La genèse de cette passion fleure bon le tableau noir, la craie et les blouses grises des hussards de la République... et Pagnol. La passion des cigales a gagné le jeune étudiant parisien lorsque celui-ci s'est aventuré pour la première fois au sud de la Loire en 1960. Une jolie place au certificat de géologie générale avait alors été récompensée par un voyage en Provence organisé par la Faculté des Sciences.

De son séjour au pays du sourire Michel Boulard a tiré 49 articles et 2 livres (1) consacrés aux cigales siamoises tant leur comportement tranche avec ceux qu'il avait pu observer à travers le monde. Jamais il n'avait vu des cigales s'abreuver auprès d'un point d'eau, car celles-ci ponctionnent d'ordinaire la sève des plantes. En outre tous les individus observés en train de s'imbiber de la sorte sont indistinctement mâles. Aveugles durant la nuit, ceux-ci parviennent à se diriger jusqu'à l'eau sans coup férir. Une chance, car leur soif se manifeste exclusivement durant la nuit. Lorsque pointent les premiers rayons du soleil matinal, les rares survivants de la razzia nocturne opérée par les villageois regagnent le feuillage et se désintéressent complètement de la réserve d'eau toujours disponible. Quant aux autres espèces partageant le même environnement, aucune ne démontre la même soif que cette cigale si particulière, nommée Platylomia operculata, dont les ailes non colorées attestent du caractère comestible.

(1) The Cicadas of Thailand (2 volumes avec disque audio), Michel Boulard, Editions White Lotus 2012.

E.D. (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) vendredi 12 avril 2013

 

Publié le 10 avril 2013, mis à jour le 29 novembre 2019

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