Les niveaux de pollution atmosphérique dans le Nord de la Thaïlande restent dans le rouge –code couleur utilisé pour signaler des niveaux considérés comme "Mauvais pour la sante"- avec un indice de qualité de l'air (AQI) oscillant au-delà des 150 sur la majeure partie des neufs provinces septentrionales du royaume.
La fameuse saison des fumées, qui dure généralement de janvier ou février jusqu'à avril semble bel et bien s’étendre sur le calendrier tout en gagnant en intensité. Hier, 7 mai, le Washington Post titrait que le Nord de la Thaïlande, autrefois un paradis, avait désormais un air plus pollué que celui de Pékin (Northern Thailand was once a paradise. Now forest fires have made the air worse than Beijing’s).
Alors que les niveaux de pollution aux particules fines (PM 2,5) avaient atteint des niveaux record en mars, le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha s’était rendu à Chiang Mai le 2 avril et avait donné une semaine aux autorités locales pour résoudre la situation.
Si l’intervention du chef de la junte a manifestement suscité un redoublement d’efforts pour lutter contre les incendies de forêt et les feux agricoles, ramenant les taux de pollution à des niveaux moins inquiétants, le ou les problèmes de fond n’ont de toute évidence pas été réglés.
Malgré quelques orages -parfois violents- fin avril, les taux de pollution aux particules fines dans la région restent élevés et cela de manière relativement continue dans le temps selon la plupart des points de contrôle qui affichent un AQI oscillant le plus souvent entre 150 et 200 depuis plusieurs semaines.
Les autorités de Chiang Mai, qui avaient décrété l’interdiction d’allumer des feux en extérieur du 1er mars au 30 avril, ont prolongé la semaine dernière cette interdiction au 31 mai.
Or, les feux de forêts continuent de sévir dans la zone ainsi que dans la province de Chiang Rai et celle de Mae Hong Son, où plus de 100 incendies étaient répertoriés le 28 avril par The Nation, et le week-end dernier encore, un temple était menacé par les flammes.
La durée de la "saison des fumées", qui s'étendait sur environ trois mois, a maintenant été portée à six mois, selon Chaicharn Pothirat spécialiste des poumons à la faculté de médecine de Chiang Mai qui expliquait lors d'une conférence en mars que le nombre d'admissions dans les hôpitaux augmentait de manière significative lors des pics de PM 2,5 et que l'exposition prolongée a une telle pollution pour les habitants de la région pouvait raccourcir leur durée de vie de quelques année.
Au-delà de l’impact indéniable sur la santé des habitants, ce fort épisode prolongé de pollution a également affecté le tourisme. Le journal TTR Weekly déplore par exemple une baisse de 20% de revenus sur les fêtes de Songkran, notant dans le même temps que les chiffres de fréquentation sur les deux premiers mois de l’année affichaient une forte augmentation par rapport à l’année précédente.
A qui la faute?
Outre la culture sur brûlis par les paysans, présentée comme cause principale, les experts pointent aussi du doigt l'agriculture intensive plébiscitée par les autorités et qui produit toujours plus de déchets agricoles. Ces derniers sont brûlés, produisant des émanations supplémentaires.
Pour Olivier Evrard, spécialiste de la Thaïlande à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), "il est injuste de cibler uniquement les agriculteurs". "Le nombre de voitures a explosé à Chiang Mai, le gouvernement ayant incité la population à acheter davantage de véhicules et les centrales à charbon tournent toujours à plein régime", expliquait-il à l’AFP début avril, dénonçant les politiques menées par les partis de tout bord depuis plusieurs années.
Il n'en reste pass moins que le nombre de "points chauds sauvages" en forêt a littéralement explosé cette année -du 1er octobre 2018 au 19 avril 2019- par rapport à l'an dernier, selon les chiffres du Département Royal des Forêts : +950% dans la province de Chiang Rai, +291% dans la province de Nan, +275% pour Chiang Mai, +71% pour Mae Hong Son pour ne citer que les plus significatifs, la seule baisse étant répertoriée dans la province de Tak (-41%).
Une volontaire de la région citée par le Bangkok Post note que, par le passé, les brûlis agricoles ne dégénéraient pas comme cela semble être le cas ces dernières années.
Dans un long article fin avril, le Bangkok Post soulignait que 90% des feux ont des causes humaines, plaçant sur le banc des accusés aux côtés du brûlis agricole, les règlements de compte personnels ou politiques, la chasse, ou encore le fumeur irresponsable.
Néanmoins, l'éditorialiste du Bangkok Post, Sanitsuda Ekachai, relativise la responsabilité des bouc-émissaires habituels, renvoyant les autorités à leurs propres responsabilité et pointant comme problèmes de fond à ce fléau le manque d'opportunités données aux petits paysans, la déforestation, l'incitation à une exploitation irraisonnée, la construction excessive d’infrastructures, ou encore le laxisme dans l’arbitrage sur l’octroi de concessions minières et forestières.
De son côté, The Nation cite des experts du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), de l'Université de Chiang Mai et de l'Agence de développement pour les technologies spatiales de géo informatiques (GISTDA) s’inquiétant de la forte corrélation entre la hausse des températures et la pollution de l'air, faisant que chacun des deux phénomènes favorise l’autre.