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La nouvelle couleur bleue du Mékong et ses algues vertes inquiètent

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Planet Labs Inc./ via REUTERS - Image satellite montrant le barrage de Xayaburi sur le Mékong devenu bleu en raison de la sécheresse et d'autres facteurs réduisant la quantité d'alluvions, le 3 janvier 2020
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 14 janvier 2020, mis à jour le 9 juillet 2020

Le changement radical de couleur du Mékong l’an dernier et la prolifération d’algues vertes, traduisent un affaiblissement du débit du fleuve et de l’apport d'alluvions vitaux pour les écosystèmes en aval

Lorsque le Mékong, normalement trouble, est devenu d'un bleu brillant à la fin de l'année dernière, les villageois du nord-est de la Thaïlande ont été surpris.

Puis, cette semaine, des bandes inhabituelles d'algues vertes grandes sont apparues, obstruant les filets et rendant la pêche quasi impossible.

La couleur étrange du Mékong et les algues font grandir les inquiétudes vis-à-vis de la santé du fleuve qui fait vivre plus de 60 millions de personnes en Asie du Sud-Est.

"Ce n'est pas naturel", affirme Tongchai Kodrak, pêcheur sur le fleuve, à propos de ces algues et ces eaux bleutées qui indiquent une diminution de la quantité de d'alluvions dans l'eau.

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Des algues sur le Mékong à hauteur de Nong Khai, en Thaïlande, le 10 janvier 2020. (photo REUTERS / Soe Zeya Tun)

Il admet qu'il est habituel de voir un peu d'algues apparaitre durant la saison sèche, mais cette année, de mémoire d’homme, personne n’a jamais vu de telles quantités.

L'année 2020 s'annonce cruciale pour le Mékong, déjà perturbé par le changement climatique et qui fait face à des changements dont les effets restent incertains, provoqués par deux nouveaux barrages hydroélectriques mis en service au Laos au cours des trois derniers mois.

Beaucoup craignent que les nouveaux barrages laotiens - les premiers sur le bas Mékong, partie charriant la plus grande partie des alluvions- entravent le flux des éléments nutritifs particulaires essentiels à la survie et l’équilibre des écosystèmes de la région.

Selon les scientifiques, la nouvelle couleur bleue du Mékong - observée pour la première fois en novembre dans le nord de la Thaïlande et désormais visible jusqu'au Cambodge - est causée par le fait que les eaux sont peu profondes et plus lentes.

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Un pêcheur montre les algues qui prolifèrent dans le Mékong près de Loei, en Thaïlande, le 10 janvier 2020. REUTERS / Soe Zeya Tun

Normalement, les alluvions s'écoulent sur les quelque 2.390 km du bas Mékong -de la Chine au Vietnam en passant par la Birmanie, le Laos, la Thaïlande et le Cambodge- alimentant les zones de pêche et les terres agricoles.

Ce sont les alluvions qui donnent à la rivière sa couleur marron habituelle, mais lorsque le débit d'eau ralentit, ils peuvent se déposer.

Imprévisible et extrême

Les pêcheurs et les agriculteurs du village thaïlandais de Bungkhla disent avoir vu le Mékong changer progressivement sous leurs yeux au cours de la dernière décennie, avec des saisons des pluies et saisons sèches erratiques, moins de poissons et de plus en plus petits.

Mais l’année dernière, le changement a été plus radical, car une sécheresse au cours de la dernière saison des pluies, de mai à octobre, s'est étendue à cette saison sèche.

"Je n'ai jamais vu la rivière aussi sèche", explique Tongchai, 52 ans, qui sillonne la rivière depuis son adolescence.

La sécheresse - qui a vu le Mékong à des niveaux jamais vus depuis 50 ans - est favorisée par El Nino, un phénomène météorologique naturel lié au réchauffement des mers qui, selon les climatologues, est amené à devenir plus fréquent à mesure que les températures moyennes de la planète augmentent.

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Vue du Mékong, dont la couleur est devenue bleue, à l'extérieur de Vientiane, au Laos, le 10 janvier 2020. (photo REUTERS / Phoonsab Thevongsa)

Le delta du Mékong au sud du Vietnam est également menacé par la montée des mers. Le niveau actuel des océans augmente déjà la salinité de l’eau dans certaines parties du fleuve, rendant l'eau inutilisable pour l'irrigation et menaçant les poissons originaires du Mékong.

Le changement climatique entraînera des conditions météorologiques plus imprévisibles et extrêmes, selon la Commission du Mékong, une organisation intergouvernementale. C’est une mauvaise nouvelle pour les agriculteurs et les pêcheurs qui, pendant des siècles, ont vécu au rythme des fluctuations régulières du fleuve.

Les militants écologistes soutiennent que, bien que l'hydroélectricité n'ajoute pas de gaz à effet de serre dans l'atmosphère comme le font les centrales au charbon, les projets hydroélectriques prévus dans la région représentent néanmoins une énorme menace pour le fleuve.

Les partisans de l'hydroélectricité soutiennent pour leur part que la croissance rapide de la région nécessite un approvisionnement en électricité et que les barrages avec réservoirs sont par ailleurs utiles pour contrôler les inondations et stocker l'eau pendant les sécheresses.

Changement climatique ou barrages, à qui la faute?

Savoir quelle part de l'évolution du Mékong est causée par le changement climatique et quelle celle imputable aux barrages est au cœur de la controverse entourant le développement de l'hydroélectricité, alors que le Laos, soutenu par la compagnie publique thaïlandaise d'électricité rejoint depuis peu par celle du Vietnam, poursuit sa lancée avec neuf nouveaux barrages hydroélectriques en projet sur le Mékong.

Le premier, Xayaburi, barrage de 1.285 mégawatts, a démarré ses opérations commerciales en octobre. Le deuxième, Don Sahong (260 MW), près de la frontière entre le Laos et le Cambodge, a commencé à fournir de l'électricité la semaine dernière.

Alors que 11 barrages situés plus en amont, en Chine, affectent le débit du fleuve depuis une dizaine d’années, les nouveaux barrages du Laos suscitent une vive inquiétude car c’est dans les plaines du Laos que le Mékong commence à charrier la plupart des alluvions alimentant le système hydrographique, souligne le chercheur spécialiste de la pêche, Tuanthong Jatagate.

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Un pêcheur sur un bras du Mékong dans la région de Nong Khai, en Thaïlande, le 10 janvier 2020 (photo REUTERS / Soe Zeya Tun)

Selon ce professeur d'agriculture à l'Université d’Ubon Ratchathani, il ne fait aucun doute que l’activité nouvelle de Xayaburi a contribué aux récents changements.

«Il y a de nombreux facteurs dans l'ensemble, mais le principal est que Xayaburi retient l'eau en bloquant le débit pour la production d'électricité», indique-il.

Des photos satellites de Xayaburi prises le 3 janvier par Planet Labs Inc. montrent toutefois que le phénomène des eaux bleues est notable des deux côtés du barrage, bien que l'image n'indique pas à quelle distance en amont il s'étend.

En outre, les écologistes disent que la construction de barrages bloque la migration de dizaines d'espèces de poissons qui nourrissent des millions de personnes, en particulier au Cambodge.

Le principal développeur de Xayaburi, le Thaïlandais CK Power PCL, a refusé les demandes d'interview de Reuters et n'a pas répondu aux questions écrites envoyées la semaine dernière.

CK Power, filiale de l'entreprise de construction thaïlandaise CH. Karnchang Public Company Limited, a dépensé 6 milliards de bahts (200 millions de dollars) pour des "échelles à poissons" et des portes spéciales devant permettre de laisser passer les sédiments. Des systèmes qui garantiront selon elle que le fragile écosystème du Mékong, la migration des poissons et les alluvions essentiels à l'agriculture dans le delta du fleuve au Vietnam ne souffrent pas.

Mais les groupes mobilisés autour de la sauvegarde de l’environnement soulignent que la technologie n'a pas été testée.

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Des algues prises dans un filet de pêche sur le Mékong dans la région de Nong Khai, en Thaïlande, le 10 janvier 2020. (photo REUTERS / Soe Zeya Tun)

La controverse devrait gagner en clarté au cours de cette année dès que la Commission du Mékong commencera à tester l'eau en aval de Xayaburi pour évaluer la teneur en sédiments et examiner les fameux passages à poissons des barrages.

En attendant, les villageois surveillent l'eau et la météo.

À Bungkhla, les pêcheurs comme Tongchai effectuent moins de sorties sur le fleuve. Ils disent qu'ils attrapent surtout des algues.

"Il y a eu moins de poissons au cours des derniers mois et certaines espèces ont disparu", regrette Tongchai.
 

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