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INTERVIEW - Pierre Stasse : "Une Thaïlande plus noire que l’image officielle, plus dense"

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Pierre Stasse (Photo courtoisie)
Écrit par Ghislain Poissonnier 
Publié le 15 janvier 2013, mis à jour le 6 janvier 2020

Pierre Stasse, âgé de 27 ans, est écrivain français, auteur de trois ouvrages publiés aux éditions Flammarion. Il a passé 6 mois à Bangkok en 2011 et s'est inspiré de son passage en Thaïlande pour l'écriture de son dernier roman, La Nuit pacifique (janvier 2013), qui vient de paraître. LePetitJournal.com  Bangkok l'a rencontré pour qu'il nous parle de son roman et de sa perception du royaume et de la cité des Anges

LePetitJournal.com : Votre troisième ouvrage, La Nuit Pacifique (éditions Flammarion), vient de paraitre : en quelques mots, pourriez-vous en présenter le thème principal ? Qui est le personnage principal ?
Pierre Stasse : La nuit pacifique est l'histoire d'un Français, un homme, Hadrien Verneuil, hanté par la mort de sa s?ur survenue vingt ans auparavant. Hadrien Verneuil, qui vit et travaille à Bangkok, voit son passé ressurgir et débute alors une traque destinée à retrouver l'homme qu'il considère comme responsable de ce drame familial. C'est une histoire de rédemption et de déni, l'histoire d'une douleur fraternelle que rien n'apaise.

- L'histoire de La Nuit Pacifique se passe en Thaïlande : pourquoi avez-vous choisi ce cadre ?
Avant de venir vivre à Bangkok, je possédais les bases de mon récit. J'avais commencé à faire des recherches sur le métier de mon narrateur (qui retouche des photographies) ainsi que sur les principaux personnages. Je travaille sur la notion d'éloignement, qu'il soit géographique ou psychologique, et sur les liens entre notre perception du destin et ce qui relève des comportements inconscients de chacun. Je suis arrivé à Bangkok et la ville m'est apparue comme une évidence : c'est une ville totale, une ville univers. Chaque jour, mon narrateur manipule des photos publicitaires mais également politiques et judiciaires, donc sensibles. C'est une manière de plonger dans cette ville tentaculaire et dans cette autre Thaïlande que les touristes ne connaissent pas toujours.

"La nuit pacifique", de Pierre Stasse, est disponible à la libraire Carnets d'Asie à l'Alliance française de Bangkok

- L'ouvrage évoque une Thaïlande un peu à rebours de la photographie idéale que le royaume tente de présenter : quelle est cette Thaïlande que vous évoquez ?
Je suis tombé amoureux de ce pays. J'ai été fasciné. J'ai essayé de retranscrire une Thaïlande tiraillée, sensuelle, violente par moments, une Thaïlande plus noire que l'image officielle, plus dense. Je n'allais pas écrire un livre sur les plages et la prostitution, ou sur la nourriture et les temples. Mon envie était de transmettre l'ambiguïté du pays, de faire sentir au lecteur ne serait-ce qu'une infime partie du sentiment qui m'habitait alors : dans toute sa complexité, la Thaïlande est d'une beauté époustouflante et permet de vivre de manière intense.

- Votre ouvrage contient de nombreuses descriptions de Bangkok : comment avez-vous perçu cette mégalopole lors de votre passage ? Quelles en sont les caractéristiques qui vous ont le plus frappé ?
Je vivais dans le quartier d'Ekkamaï, donc loin des touristes de quartier de Khao San road. J'habitais dans une tour, mais les soïs des environs venaient former les mille lianes autour du gigantisme bétonné. Bangkok peut donner l'impression d'une ville dure, sauvage, difficile à lire. C'est une mégalopole polycentrique, où le farang que j'étais peut facilement se sentir perdu, dépassé, surtout lorsqu'il ne maîtrise pas les rudiments de la langue. Mais assez rapidement, je me suis laissé engloutir par la vie incessante, par cet univers vertigineux où tout semble possible. Depuis que je suis rentré en France, je ne cesse de conseiller à mes amis d'aller à Bangkok, de plonger dans la ville !

- Il y a une palette de Thaïlandais qui sont décrits dans votre ouvrage : qui sont ces personnages ? Comment les avez-vous choisis ? D'où est venue votre inspiration ?
Parmi mes personnages principaux se trouvent un député thaïlandais et sa femme. L'homme est ambitieux mais, malgré sa roublardise et une forme de machiavélisme avancé, il est un homme qui doute et qui aime. Sa femme, une infirmière originaire de Chiang Rai, milite auprès d'associations humanitaires et s'intéresse, entre autre, au conflit dans les provinces du Sud musulman. Mon narrateur, Hadrien Verneuil, est associé à un Thaïlandais, un homme d'affaires colérique et, je l'espère, attachant ! Ces personnages sont des pures fictions : je ne me suis pas servi de responsables politiques réels ni de gens que j'ai croisés. J'ai essayé, compte tenu de ce que je comprenais de la situation en Thaïlande, de modeler des destins qui se trouveraient à l'intersection des différentes évolutions du pays.

- Votre livre évoque le conflit dans les provinces du Sud musulman, alors qu'à Bangkok personne ou presque n'en ressent l'impact : comment relier les deux ?
Le conflit armé dans le Sud est une question que j'ai découverte en arrivant en Thaïlande. Je m'y suis intéressé d'abord comme un lecteur de journaux lambda. Puis, étant donné que je travaillais en tant que journaliste à Bangkok, j'ai voulu approfondir mes recherches : j'ai alors beaucoup lu puis suis allé rencontrer des spécialistes de la question. Le Sud fait partie de cette Thaïlande noire, cette Thaïlande du déni. C'est ici que le débat sur la "thainess" prend toute sa place. Au sujet du Sud, le Bangkok Post a beau tenir le compte des victimes, qu'elles soient dans les rangs de l'armée, des insurgés ou des civils, les vérités officielles dominent le débat et contribuent à maintenir cette situation sous une chape idéologique. Il ne s'agit pas uniquement de censure, mais d'une emprise intellectuelle. Je ne suis pas un spécialiste et surtout à aucun moment je ne cherche à être moralisateur ni ne prétend posséder les réponses aux questions que je soulève. Ces thèmes sont traités dans mon livre avant tout comme des éléments de contexte : La nuit pacifique est une histoire intime et en ce sens universelle, qui peut se lire comme une histoire d'amour ou presque comme un roman policier, mais je pense que la situation dans le Sud constitue une des clés pour connaître un peu mieux la Thaïlande.

Propos recueillis par Ghislain POISSONNIER mardi 15 janvier 2013

Ghislain-POISSONNIER
Publié le 15 janvier 2013, mis à jour le 6 janvier 2020

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