Avec 2 millions de fans sur Facebook, le Dr Parkphum Dejhutsadin est une célébrité des réseaux sociaux en Thaïlande. Mais samedi, le médecin a vu son téléphone vibrer comme jamais lorsque nombre de ses fans désespérés sollicitaient son aide dans l’urgence de la fusillade de masse de Korat, qui a fait au moins 29 mort et 57 blessés, se terminant dans le centre commercial Terminal 21 de la ville Nakhon Ratchasima, connue aussi sous le nom de Korat.
Coincés dans le centre commercial, tapis dans des cachettes de fortune pour tenter d’échapper au soldat fou qui avait déjà tué plus d’une vingtaine de personnes, beaucoup ont recouru aux réseaux sociaux pour envoyer leur témoignage, trouver du réconfort, des conseils de survie ou tout simplement pour se sortir de là.
En cela, Parkphum Dejhutsadin pouvait effectivement aider, et c’est précisément ce qu’il a fait durant les 16 heures qui ont suivi.
"Ils me disaient où ils étaient et m’envoyaient des photos de leur cachette", explique Parkphum. "Je n'ai pas fermé l'œil. Je ne voulais pas qu'ils meurent."
Si les réseaux sociaux sont souvent accusés d'exacerber voire d'encourager les fusillades de masse comme le massacre de Christchurch en Nouvelle-Zélande, l'an dernier, ils ont joué un rôle essentiel en Thaïlande le week-end dernier pour organiser l’évacuation du centre commercial de Nakhon Ratchasima.
Avant que le tueur n’ait pu être repoussé vers le sous-sol puis abattu, les groupes d’intervention thaïlandais ont réussi à coordonner des raids d’extraction dans le centre commercial pour évacuer plusieurs centaines de personnes et les mettre hors de danger.
"Nous communiquions via Facebook avec les personnes à l'intérieur pour échanger des informations", explique Pongpipat Siripornwiwat, commandant adjoint de la police de Nakhon Ratchasima. "Sans cela, notre travail aurait été très difficile et nous n'aurions eu aucune idée du nombre de personnes piégées ni de ce qui se passait à l'intérieur."
Fil d'Ariane
Ce genre de drame souligne à quel point Facebook est la plate-forme de communication du quotidien dans ce pays de 69 millions d'habitants qui compte environ 56 millions d'utilisateurs actifs par mois, chaque personne passant en moyenne trois heures par jour sur les réseaux sociaux. La plupart des activités sur les réseaux sociaux se font via les téléphones portables.
Et c'est d’ailleurs sur Facebook que le tueur, apparemment enragé par un litige autour d’une transaction immobilière, a signalé ses intentions.
"Pensent-ils qu'ils pourront dépenser l'argent en enfer?", disait la fin de l'un de ses messages, posté trois heures environ avant qu’il n’ouvre le feu dans une maison et se dirige ensuite vers sa base militaire, puis un temple et enfin le centre commercial, faisant des victimes tout le long de son parcours, au cours duquel il continuait de poster des messages parfois illustrés de photos.
Son dernier message, avant que Facebook ne ferme son compte, a été posté près de quatre heures après son premier meurtre.
Après avoir été critiqué pour avoir tardé à interrompre le flux en direct de la page du tireur de Christchurch ou encore celui du Thaïlandais qui avait assassiné son enfant sur Facebook Live en 2017, le plus grand groupe de réseaux sociaux au monde a réagi plus rapidement en apprenant ce qu’il se passait.
Il a fermé les comptes Facebook et Instagram du tueur, puis a fait en sorte de supprimer les contenus publiés par ce dernier qui avaient été partagés par d'autres – dont certains comptes frauduleux apparemment créés en son nom par d'autres personnes après que le sien ait été bloqué.
"Il n'y a pas de place sur Facebook pour les personnes qui commettent ce type d'atrocités, et nous ne permettons pas aux gens d’approuver ou de promouvoir cette attaque", a déclaré un représentant de Facebook dans un communiqué, ajoutant que Facebook avait travaillé en étroite collaboration avec les autorités thaïlandaises pour supprimer le contenu ayant violé ses règles d’utilisation.
"Nous avons également répondu aux demandes d'urgence de la police royale thaïlandaise de partager des informations relatives au tireur afin de prévenir de nouveaux dommages", a-t-il déclaré, sans donner plus de détails.
Twitter, sur lequel des vidéos choquantes de l'incident ont été diffusées, a déclaré qu'il avait également pris des mesures - un représentant de la société a déclaré qu'il surveillait sa plate-forme pour supprimer le contenu vidéo de l'attaque et pour bloquer l’accès au contenu indécent.
Néanmoins, la police a indiqué que le tireur, qui a tué au moins 29 personnes et fait 57 blessés avant d'être neutralisé, avait non seulement utilisé les réseaux sociaux pour faire savoir ce qu'il était en train de faire, mais aussi pour suivre les mouvements de la police via des sites d'information en ligne.
"Les réseaux sociaux ont agi comme une arme à double tranchant. Ils ont aidé la police à secourir des personnes, mais ils ont également aidé le tueur à suivre nos mouvements", explique Pongpipat Siripornwiwat.
Coordination depuis l'extérieur
Le Dr Parkphum Dejhutsadin, qui est un technologue médical travaillant pour le National Blood Center de Thaïlande, est si célèbre qu'il a même son propre panel d'autocollants pour les applications de messagerie sur les réseaux sociaux avec sa marque "Panda eyes" et sa blouse blanche.
"Chaque message envoyé par ses fans sur l'endroit où ils se cachaient et combien ils étaient s'est vérifié lorsque la police est arrivée. Les gens se cachaient dans [le magasin de mode] H&M, [le magasin de cosmétiques] Eveandboy, une salle de sport. Je connais désormais le plan d'étages complet du centre commercial ", dit-il.
D'autres célébrités Facebook ayant des millions de followers ont également contribué à coordonner et rassurer.
"Je leur ai dit de rester aussi silencieux que possible et de mettre leur téléphone en sourdine, d’envoyer leur géolocalisation et leur numéro de téléphone", se souvient Witawat Siriprachai, connu par les Thaïlandais comme le "Sergent" de la page "drame-addict".
"Je les ai avertis de ne pas diffuser en direct car le tireur utilisait également Facebook pendant la tuerie", explique l'homme de 36 ans qui n'est pas un sergent dans la vraie vie.
Pat, 42 ans, qui était dans le centre commercial, raconte qu'elle venait de terminer son repas quand elle a entendu les premiers coups de feu et qu’elle a couru pour se cacher dans un magasin de téléphonie mobile. Elle dit être toujours traumatisée et n'a pas voulu donner son nom complet.
Elle explique avoir parcouru ses fils d'actualités Facebook pendant cinq heures pour suivre ce qu'il se passait. Par peur de faire le moindre bruit, elle a envoyé des messages à des amis qui lui ont dit comment prendre contact avec les policiers.
"J'ai attendu dans l'obscurité totale, puis la police a répondu pour demander mon emplacement exact", explique-t-elle.
La police a travaillé à partir des informations qu'elle a fournies pour coordonner un raid d'éxtraction pour les personnes à cet étage - et quand ils ont donné le feu vert, le tireur se trouvant trois étages plus bas, tout le monde s'est précipité vers la sortie de secours.
Juste avant 23 heures, elle a signalé à des amis qu'elle était en sécurité.