Dans le quartier habituellement animé de Sukhumvit à Bangkok, les mesures pour contrer l'épidémie de Covid-19 ont anéanti l’activité du restaurant de Permruedee Labnongsaeng, réduisant les ventes quotidiennes à 5% de la normale.
L’absence des touristes dans les principales destinations comme Bangkok - ville la plus visitée du monde - Paris et Rome, due aux restrictions de voyage pour contrer la propagation du coronavirus, se traduit par une forte chute de la demande de nouilles, de pâtisseries et de pâtes, denrées généralement très prisées dans ces contrées par les visiteurs affamés.
"Les touristes ont disparu fin février et nos ventes ont plongé, et depuis c’est la baisse continue", se lamente Permruedee, dont le café est spécialisé dans les nouilles et les currys thaïlandais.
Le mois dernier, le département américain de l'Agriculture (USDA) a abaissé ses prévisions de consommation de blé à 749,78 millions de tonnes pour la campagne agricole qui se termine en juin 2020, un chiffre qui traduit toujours une augmentation par rapport aux 737,05 millions de l'année précédente. Mais l’effondrement du tourisme pourrait très probablement signifier que la consommation de blé sera inférieure de 10 à 12 millions de tonnes par rapport aux prévisions de l'USDA, estiment un analyste du commerce de céréales et deux négociants.
"Nous allons nous être submergés par les céréales quand vous regardez la demande qui a pris un coup à cause de la situation du coronavirus et la production mondiale de blé attendue", souligne Ole Houe, directeur du courtage IKON Commodities.
"Pour l'instant, nous envisageons une consommation de 10 à 12 millions de tonnes en dessous de l'an dernier, mais il s'agit d'une estimation très prudente. Elle pourrait être encore plus importante, en baisse de 30 à 40 millions de tonnes, soit environ 5% de moins que la consommation mondiale de l'an dernier. "
Alors que la production et les stocks mondiaux de blé devraient atteindre de nouveaux sommets records cette année, la chute de la demande signifie que les exportateurs vont probablement connaître une période prolongée de baisse des prix.
Consommation en baisse en Asie et en Europe
L'Asie, qui représente 40% de la consommation mondiale de blé, pourrait faire face à une contraction de la demande de 15% à 20% entre avril et juin si l’on se base sur les commandes des principaux négociants régionaux, estiment les deux traders basés à Singapour qui ont fourni les chiffres prévisionnels.
"Cela a été vraiment calme. La vague d’achats initiale -suscitée par la panique- qui avait entraîné une augmentation de 5 à 10% de la demande de nouilles a disparu", affirme l'un des commerçants qui opère en Asie depuis plus de dix ans.
Certaines minoteries d'Asie du Sud-Est ont fait savoir qu'elles ne passeraient pas de nouvelles commandes avant juin au plus tôt, ajoute-t-il.
En Europe, deuxième marché mondial du blé, la société de conseil Strategie Grains a relevé ses prévisions pour les stocks de blé tendre de l'UE cette saison, en partie à cause d'une forte baisse de la demande.
Le confinement en France a fait chuter la demande en pâtisserie et en pain.
"Nous avons des points de vente à Saint-Germain-des-Prés, sur les Champs-Elysées et dans les jardins des Tuileries où il n'y a pas un seul touriste", déplore Fabrice Derouet, directeur de la chaîne de boulangerie Paul, qui compte 750 points de vente dans 45 pays.
"Etant donné que nous vendons beaucoup moins, nous produisons beaucoup moins, et donc nous utilisons beaucoup moins de farine et de matières premières."
Alors que les ventes de farine dans les épiceries ont augmenté du fait que les ménages français confinés se mettent à faire eux-mêmes davantage de gâteaux et de pain, l'utilisation à domicile ne représente généralement que 5% de la demande globale de farine, la majorité étant utilisée par les boulangeries, les restaurants et l'industrie alimentaire du pays, l'Association nationale de la meunerie française (ANMF).
En Asie du Sud-Est - la région du monde où la demande de blé affiche la croissance la plus rapide - les arrivées de touristes en mars en Thaïlande ont diminué de 76,41% par rapport à l'année précédente et en Indonésie de 64,11% par rapport à il y a un an, ce qui affecte énormément les vendeurs de rue et les étals de nouilles.
"Les touristes ne sont plus là. Je vends ici depuis 50 ans, mais c'est la crise la pire que j’ai jamais vue. Nous allons tous fermer", s’inquiète Salinee Witprasertkul, 75 ans, qui tient un stand dans le quartier chinois de Bangkok.
Prix en baisse
La forte baisse de la demande de blé au quotidien va créer un arriéré sur l'ensemble du système logistique mondial des céréales. Selon les prévisions de l'USDA, les stocks de blé devraient atteindre le volume record de 292,78 millions de tonnes d'ici juin.
Les prix du blé, en baisse d'environ 6% cette année, pourraient encore baisser.
"Le blé reste trop cher car le marché n'a pas encore baissé le prix par rapport à la destruction de la demande", explique Houe d'IKON Commodities.
L'USDA a réduit ses estimations de la demande de blé de mars à avril d'environ 5 millions de tonnes, et de nouvelles révisions à la baisse sont attendues pour ses évaluations de mai et juin.
Pour autant, la demande de pâtes et de nouilles chez les familles confinées a bénéficié à certains exportateurs de blé. L'association italienne des professionnels de l'alimentaire, Federlimentare, affirme en effet que les usines de pâtes fonctionnent à plein régime pour répondre à une demande étrangère en hausse, tandis que les exportateurs de ramen en Corée du Sud ont enregistré une hausse de 31,5% des expéditions au premier trimestre.
Et de nombreux boulangers parisiens peuvent encore vivre sur la demande locale de pain malgré le confinement.
"Nous ne sommes qu'à 60% de nos revenus ... mais les gens prennent encore le temps de sortir pour leur baguette", explique Sébastien Mauvieux, boulanger et propriétaire de la boulangerie Pain Pain dans le quartier de Montmartre à Paris.