Si la Thaïlande est perçue comme une destination "gay friendly", aucune institution officielle ne travaille en revanche pour attirer la communauté gay de voyageurs, notamment haut de gamme. Enquête sur le déni des autorités thaïlandaises face à un marché pourtant prometteur.
La question fait sourire Juthaporn Rerngronasa, l’actuelle gouverneur de l’autorité touristique de la Thaïlande, le TAT. "Nous n’avons absolument rien contre le marché gay. Bien au contraire, tous les touristes sont les bienvenus en Thaïlande. Nous nous devons de faire la promotion du royaume dans un esprit de neutralité totale. Et, contrairement à ce que certains pensent, nous avons déjà fait une campagne en direction de la communauté LGBT à New York avec notre représentation locale", explique-t-elle.
Une campagne de grande envergure internationale, au moins par le biais d’une section sur le site en ligne de l’office de tourisme? Non. "Certains éléments conservateurs de la société thaïe constituent un frein", précise-t-elle sans toutefois s’étendre sur la question.
Voici tout le paradoxe du Royaume de Thaïlande aujourd’hui. Le pays est perçu comme le plus ouvert de toute l’Asie envers la communauté LGBT. L’image des "Ladyboys", les soïs gays de Silom à Bangkok ou de Patong à Phuket en témoignent.
Dans une enquête mondiale intituté "GAY HAPPINESS INDEX" du site en ligne Planetromeo, à laquelle ont répondu plus de 115.000 gays dans le monde, la Thaïlande figure à la première place en Asie et à la 16ème place dans le monde avec un index de bonheur de 66,8 sur 100, à égalité avec la Belgique mais devant l’Australie (64) et la France (63). La Thaïlande se classe très loin devant les deux pays asiatiques suivants, Taiwan et Cambodge, tous deux avec un indice de bonheur de 54.
Paradoxe thaïlandais
En revanche, ni la Thaïlande et ni Bangkok n’apparaissent dans le classement Lonely Planet, la première dans celui des 10 pays les plus ouverts aux voyageurs gay, la seconde dans les 20 villes du monde les plus "gay-friendly".
En fait, c’est là qu’apparaît le paradoxe. Bangkok et la Thaïlande, paradis du voyageur gay mais…
Est-ce que les Thaïlandais sont d’abord si ouverts à ceux qui se revendiquent gays et lesbiennes ?
"Pour beaucoup, il y a l’idée que l’on a peut-être eu un mauvais comportement dans une précédente vie et que l’on paye dans celle-ci. L’idée du karma est très ancrée chez nous, y compris chez moi-même", raconte Jemmy, un jeune gay thaïlandais, steward sur une compagnie aérienne locale. "Donc, il nous faut accepter ce qu’est l’autre. C’est vrai que les plus anciens ont probablement plus de mal à se faire à cette idée", poursuit-il.
Et c’est probablement ce que ressentent les voyageurs gays de la destination.
"Je crois que les Thaïs en fait +tolèrent+ la condition gaie, sans être vraiment enthousiastes. Ce qui n’est déjà pas si mal, et mieux que dans beaucoup d’autres pays ", estime Vitor, un guide brésilien à la demande et qui emmène régulièrement des voyageurs.
Robin Sakhom, Directeur du tour opérateur Serene Journeys, basé à Delhi, partage exactement la même opinion. "Ce qui n’empêche pas que la vie à Bangkok pour les gays est facile, agréable et très diversifiée", raconte-t-il.
Peur des clichés ?
Néanmoins, il avoue que Bangkok n’était pas vraiment sa destination de prédilection au départ. "Il y a cette image que traîne cette ville, d’un paradis du sexe, flirtant parfois avec le sordide. Même si la réalité est loin de cette idée, les clichés ont la vie dure, y compris pour moi avant de venir !", avoue-t-il.
Cette image négative véhiculant les stéréotypes de gays et lesbiennes uniquement intéressés par un "bon plan" explique pourquoi les autorités ne communiquent pas envers la communauté LGBT. Il y a cette image sulfureuse sur laquelle beaucoup de professionnels thaïs du tourisme n’arrivent pas à passer outre.
Et par là même ils ignorent ce que toutes les études indiquent sur le marché gay, décrit dans la plupart des études comme un segment plutôt sophistiqué, ayant un pouvoir d’achat plus élevé que la moyenne et généralement à la recherche d’expériences authentiques et culturelles. Une cible quasi idéale pour les offices de tourisme.
Ainsi, selon le cabinet de consultant Out Global, les dépenses des voyageurs LGBT s’élèveraient à plus de 200 milliards de dollars annuellement !
Ignorer le marché gay en ne proposant aucune campagne de promotion officielle ciblée. La ville de Bangkok du coup en paye le prix. Elle n’apparait ainsi pas dans le dernier sondage Out Global LGBT2020, effectué auprès de 100.000 personnes, qui recense le top 20 des villes du monde où aimeraient séjourner en 2015 la communauté LGBT (elle est en revanche présente en cinquième position dans le top 10 des destinations potentielles à visiter en Asie Pacifique).
"Je pense qu’il faudrait effectivement une campagne de la ville de Bangkok ou de la Thaïlande reconnaissant le voyageur gay comme un voyageur au potentiel intéressant. Même si elle n’est que sur l’internet ou qu’elle reste ciblée à quelques marchés spécifiques en Europe, l’Amérique du nord ou l’Australie, elle aurait au moins le mérite d’envoyer un message clair aux gays qu’ils sont considérés comme n’importe quel marché de niche important…", raconte un responsable de l’office de tourisme de Thaïlande sous couvert d’anonymat.Le gouverneur de Bangkok a déjà fait part de son idée d’organiser une vraie Gay Pride, qui n’aurait rien à voir avec l’évènement commercial- à la limite du mauvais goût- qu’organisent certains opérateurs de bars et massages de Silom. Les problèmes politiques qu’a traversé la Thaïlande en 2013 et 2014 ont certainement mis un bémol à cette idée.
Le calme règne aujourd’hui en Thaïlande et les gays ne constituent guère un obstacle politique au gouvernement militaire actuel. Peut-être sont-ils tout justes pour certains militaires à la limite de la décence publique. Rien de bien dramatique…
Luc CITRINOT Mercredi 5 août 2015