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Le Covid en Thaïlande fait exploser la voyance en ligne et autres crypto-amulettes

Femmes montrant des cartes de tarot Femmes montrant des cartes de tarot
REUTERS/Chalinee Thirasupa - Pimchat Viboonthaninkul, 26 ans, et Picha Kulwaraekdumrong, 30 ans, sont les co-fondatrices de Mootae World, à l’origine de la tendance des fonds d'écran astrologiques
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 19 avril 2022, mis à jour le 29 avril 2022

Le stress provoqué par la crise du Covid-19 en Thaïlande a donné un coup de fouet au secteur des arts divinatoires qui se développe fortement sur Internet et les réseaux sociaux.

 

Étudiant en maîtrise, Dhidhaj Sumedhsvast ne croyait pas en la voyance ni aux pouvoirs surnaturels avant la pandémie de coronavirus.

Aujourd’hui, il consulte régulièrement des voyants, il porte des amulettes porte-bonheur et met sur son téléphone des cartes de tarot en guise de fond d'écran.

"La pandémie a apporté tant d'incertitudes qui nous rendent anxieux", explique l’étudiant thaïlandais âgé de 30 ans, qui a commencé par prier Kubera, dieu de la richesse dans la mythologie hindoue également révéré par les Bouddhistes, pour se protéger contre les conséquences économiques de la gestion de la pandémie.

"Dès que j'ai commencé, j’ai senti que j’étais en sécurité. Alors que d'autres ont été affectés par la crise du Covid et ont perdu leur emploi ou leurs revenus, moi non. Alors j'y crois de plus en plus."

Nouvel âge des arts divinatoires 

Comme Dhidhaj, nombres de jeunes thaïlandais submergés par l’anxiété commencent à se mettre à la divination sous une forme ou sous une autre.

Avec la pandémie, l’appétence typique des Thaïlandais pour l’art divinatoire et autres objets magiques que l’on trouve habituellement dans la rue s’est invitée sur des réseaux sociaux de jeunes, permettant aux "mor doo" (diseurs de bonne aventure) de toucher un public plus large.

"Avec un monde comme celui-ci, les gens ont besoin d'ancrages spirituels", estime Pimchat Viboonthaninkul, cartomancienne exclusivement en ligne et co-fondatrice, à 26 ans, de Mootae World, entreprise qui a lancé l'an dernier la tendance des cartes de tarot en fonds d'écran sur téléphone.

Voyante en ligne en Thailande
Une cartomancienne donne une séance en ligne de lecture de tarot, forme très demandée par la jeunesse thaïlandaise. REUTERS/Chalinee Thirasupa

Trois Thaïlandais sur quatre croiraient au surnaturel

La culture thaïlandaise est profondément imprégnée de croyances superstitieuses de toutes sortes, et le tarot, l'astrologie, la numérologie ou encore les lignes de la main, sont évidemment des formes d’art divinatoire très prisées dans le royaume.

78% de la population thaïlandaise croirait au surnaturel selon une étude réalisée en 2021 par le Mahidol University's College of Management (CMMU) – les Français seraient 1 sur 3 voire 1 sur 2 à y croire selon les sondages. 

Des conseils de maîtres du Feng Shui aux tatouages magiques en passant par les amulettes bénies par les moines, les croyances superstitieuses des Thaïlandais font malgré tout bon ménage avec la religion bouddhiste dont la nature syncrétique lui a valu un développement prospère et sans heurts dans toute l’Asie.

Un business de 137 millions d’euros par an

Le secteur des arts divinatoires en Thaïlande, qui est en grande majorité dans l’économie informelle, aurait généré environ 5 milliards de bahts de recettes (137 millions d’euros) par an depuis le début de la pandémie, contre environ 4 milliards auparavant, selon A Duang, une startup dont l'application de services divinatoires compte près d’un demi-million d'utilisateurs, âgés pour la plupart de 18 à 30 ans.

A Duang propose chaque jour des séances en ligne en direct avec 7.000 voyants, pour lesquelles les utilisateurs peuvent dépenser de 10 à 100 bahts (0,27 € à 2,7 €) pour une lecture rapide. L’application propose également des séances privées à des tarifs plus élevés.

Son directeur, Kittikhun Yodrak, confie que le panier moyen par utilisateur a quintuplé pour atteindre 500 bahts par mois depuis le lancement de l’appli en 2019, avant la pandémie.

Voyante en ligne en Thailande
La startup A Duang propose chaque jour des séances en ligne en direct avec 7.000 voyants. REUTERS/Chalinee Thirasupa

Trop plein de stress

Cette tendance montre bien que les niveaux de stress endurés par la population ont atteint un "point de rupture", poussant beaucoup à rechercher des réponses rapides auprès de quelqu'un d'autre plutôt qu'en eux-mêmes, estime Jomkhwan Luenglue, membre du conseil d'administration de l'Association thaïlandaise de psychologie.

"C'est une aide psychologique de premiers secours", dit-elle. "Mais cela risque de compromettre votre capacité à prendre des décisions pour vous-même sur le long terme."

Amulettes en NFT et fonds d'écran 

La demande de nouveaux accessoires numériques a également explosé.

Mootae World, fabricant de fonds d’écrans pour téléphones portables, a déjà produit des dizaines de milliers d'images comportant chacune des cartes de tarot et symboles différents.

Au prix de 249 bahts (6,85 €), chaque image est réalisée sur mesure en fonction de la position astrologique propre à chaque client à sa naissance, et aussi de ses aspirations les plus fortes, soient-elles d’ordre financier ou romantique.

Des amulettes bouddhistes traditionnelles – le plus souvent des images de moines réputés ou du Bouddha en bronze, en laiton ou en or - sont également disponibles sous forme de jetons non fongibles (NFT).

Des Thailandais montrent leur fonds d'ecran de telephone fait de tarot
Chaque fonds d'écran est réalisé sur mesure en fonction de la position astrologique propre à chaque personne à sa naissance et de ses aspirations les plus fortes. Photo REUTERS/Chalinee Thirasupa

Le projet thaïlandais Crypto Amulets a vendu environ 3.000 NFT du genre à environ 2.000 bahts (55 €) l’unité sur les blockchains Ethereum et Solana, depuis son lancement en 2021.

Chaque amulette numérique est d'abord imprimée sur papier pour être bénie par des moines de la province de Surin, haut lieu du commerce des amulettes bouddhistes en Thaïlande, situé à 435 km à l'est de Bangkok.

"Nous avions l'habitude de porter des amulettes physiques autour du cou, mais maintenant nous pouvons aussi porter des NFT sur nos téléphones", explique le propriétaire de Crypto Amulets, Ekkaphong Khemthong, qui collectionne également les amulettes traditionnelles.

Les grandes marques y croient !

Les grandes enseignes du royaume reconnaissent le potentiel que représente ces nouveaux entrepreneurs thaïlandais du surnaturel pour toucher ce marché en pleine croissance que sont les jeunes croyants.

Le mois dernier, Mootae World a fait la promotion des assurances Cigna auprès de ses abonnés, jouant sur la fameuse "année de malchance" de l'astrologie chinoise, qui tombe lorsque votre signe correspond avec celui de l’année en cours.

"Une nouvelle tendance marketing est apparue. Les tendances changent constamment, mais la croyance superstitieuse reste constante dans la société thaïlandaise", souligne Muratha Junyaworalug, chercheur en chef de l'étude CMMU.

"Toutes les marques veulent exploiter ce marché."

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