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Rencontre avec Helene Budliger Artieda, ambassadrice de suisse en Thaïlande

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Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 12 novembre 2021, mis à jour le 15 novembre 2021

La Suisse célèbre 90 ans de relations bilatérales avec la Thaïlande, l’occasion de rencontrer l’ambassadrice Helene Budliger Artieda afin d’évoquer cette amitié mais aussi pour parler de sa communauté.

Originaire de Zurich, Helene Budliger Artieda a pris ses fonctions d’ambassadrice Suisse en Thaïlande en octobre 2019. Après une arrivée dans le calme, l’épidémie du coronavirus a, tout comme pour de nombreuses ambassades, soulevé des défis. Entre les rapatriements de ses citoyens et les campagnes de vaccination, l’ambassade de Suisse a été très active. Et tout particulièrement sur les réseaux sociaux à travers des rendez-vous mensuels en vidéo, une formule qui devrait perdurer dans le temps. 

Enthousiaste, Helene Budliger Artieda semble attacher une grande importance au fait d'être proche de sa communauté. Lepetitjournal.com l’a rencontrée afin de parler des Suisses présents en Thaïlande, des défis engendrés par la crise du Covid-19 ainsi que les 90 ans de relations bilatérales entre la Thaïlande et la Suisse. 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis née à Zurich, ma première langue est le suisse-allemand tandis que j’ai appris le français en seconde langue. J’ai pris mes fonctions d’ambassadrice Suisse à Bangkok, où je couvre la Thaïlande, le Laos et le Cambodge, en octobre 2019. Auparavant, j’étais ambassadrice à Pretoria en Afrique du Sud où je représentais la Suisse au Botswana, Eswatini, Lesotho, l’île Maurice et la Namibie. 

En fait, je suis dans la fonction diplomatique depuis 36 ans, j’ai commencé très jeune juste après mes études. Comme beaucoup de Suisses, j’aime voyager, je voulais faire une carrière à l'international. Au début, j’ai pensé à me diriger vers l’hôtellerie, mais dans les années 1980, il y avait très peu de femmes dans les postes de direction. On m’avait donc un peu déconseillé de suivre cette voie parce que c’était vraiment un domaine très masculin. 

A la fin de mes études, un peu par hasard, j’ai vu une annonce pour entrer au ministère des Affaires étrangères. J’aime cette vie dans la diplomatie pour l’aventure, les voyages, découvrir d’autres cultures tout en tenant à cœur ma mission de défendre les intérêts suisses. 

Préférez-vous que l’on vous appelle Madame l’ambassadeur ou Madame l’ambassadrice ?

Personnellement, cela m’est égal et j’avoue que je suis toujours un peu confuse avec le protocole vu qu’il y a des différences à ce niveau-là entre la France, la Suisse et d’autres pays. Le titre est un instrument de travail, mais dans les relations au quotidien, je suis très contente si on m’appelle simplement Helene. 

Quel bilan tirez-vous de ces deux années en Thaïlande ?

C’est vraiment difficile de tirer un bilan. Je suis arrivée en octobre 2019. Au début, il faut le temps de prendre ses marques, assister à de nombreuses réunions, rencontrer les gens pour activer un réseau, etc. Quand j’ai enfin pu prendre un rythme normal et que j’aurais pu commencer à voyager à travers la Thaïlande, le Laos ou le Cambodge, l’épidémie du coronavirus à démarré. Dès lors, nous nous sommes retrouvés avec l’équipe de l’ambassade en mode gestion de crise puisque nous avions pris l’initiative d’organiser des vols de rapatriement de pour nos citoyens. 

Ensuite, nous sommes passés par une phase plus tranquille l’année dernière parce qu’il n’y avait plus de cas de coronavirus en Thaïlande, même si nous devions continuer à gérer quelques soucis, principalement liés à la situation de certains Suisses rentrés au pays qui souhaitaient revenir en Thaïlande mais n'ayant pas les bons visas. 

Avec la troisième vague qui a démarré en avril 2021, la tension est remontée, beaucoup de personnes étaient très inquiètes. Nous avons une communauté d’un certain âge, plus de 50% des Suisses enregistrés à l’ambassade ont plus de 60 ans. Légalement, nous n’avons pas eu la possibilité, à l’instar de mon collègue français, de faire parvenir des vaccins jusqu’en Thaïlande. Nous avons donc dû nous organiser sur place et trouver des solutions en servant de relais entre la communauté et les centres de vaccinations thaïlandais. 

Nous avons commencé à appeler des hôpitaux en mai 2021 afin de demander des places de vaccinations pour nos citoyens les plus à risque. Après avoir contacté un certain nombre d’hôpitaux, nous avons commencé à obtenir des places, petit à petit. Un premier hôpital nous en a d’abord réservé 6, tandis que d’autres ont pu nous en réserver 10, ou 20. Alors que de nombreux étrangers avaient encore du mal à obtenir un rendez-vous de vaccination, nous avons commencé à obtenir plusieurs centaines de places de vaccination, principalement à Bangkok. 

Soucieux d’aider notre communauté partout en Thaïlande, nous avons contacté de nombreux hôpitaux en dehors de Bangkok. Nous avons réussi à offrir des places de vaccination à Chiang Mai, Khon Kaen, Udon Thani et Surat Thani et, au fil des opportunités de vaccination, nous avons baissé l’âge requis pour la vaccination.

Maintenant, il suffit d’avoir 18 ans pour se faire vacciner à Bangkok, à travers notre dernière opportunité de vaccination.

En fait, je crains de terminer mon mandat et de quitter Bangkok sans avoir jamais eu une période normale. 

Combien de citoyens suisses ont pu bénéficier de la vaccination via l’ambassade ?

Environ 1.600 Suisses ont profité de la vaccination en Thaïlande grâce à l’ambassade, mais au total, ils sont 2.300 à avoir été vaccinés ici. Certaines personnes se sont enregistrées indépendamment de l’ambassade ou ont eu accès à des vaccins via leur entreprise. Il y a également pas mal de citoyens qui sont rentrés en Suisse pour se faire vacciner avec Moderna ou Pfizer. Jusqu’il y a peu, la seule option en Thaïlande était le vaccin AstraZenaca, qui n’est pas approuvé par SwissMedic et n’était pas administré en Suisse. 

Notre travail à l’ambassade était de naviguer entre les options et expliquer quelles étaient les solutions. 

Quel est le profil de la communauté suisse en Thaïlande ?

C’est une communauté très intéressante, d’un certain âge vu que 50% d’entre elle a plus de 60 ans et principalement de langue allemande. Nous comptons, sur 9.907, 73% de germanophones, 16% de francophones, 9% d’anglophones et 2% d’italophones. 

Beaucoup viennent passer leur retraite en Thaïlande, souvent ils ou elles sont marié(e)s à des Thaïlandais(es) mais nous avons aussi de jeunes professionnels dans différents secteurs qui travaillent pour des compagnies suisses, étrangères ou des multinationales. 

Je trouve particulièrement sympathique le fait que les Suisses soient présents un peu partout dans le pays. Les professionnels sont plutôt basés à Bangkok, Hua Hin est très prisé par les couples venus en Thaïlande pour leur retraite, nous avons des citoyens dans le nord, à Chiang Mai ou Chiang Rai pour ceux qui aiment la montagne ainsi que dans les îles à Phuket ou Samui. Nous observons aussi une tendance à se diriger vers l’Isan, ils sont de plus en plus nombreux à s’établir là-bas. 

C’est aussi la plus grande communauté suisse d’Asie et cette communauté est en croissance malgré le Covid-19. Les Suisses ont l’obligation de s’enregistrer à l’ambassade, même s’il y a toujours quelques exceptions. Mais depuis le début de l’épidémie, nous constatons qu’il y a encore des gens qui prennent la décision de venir s’installer en Thaïlande. Il est vrai que pendant longtemps la Thaïlande a mieux maîtrisé l’épidémie que l’Europe. 

Cette communauté est également très active, il y a de nombreux clubs suisses et je suis à chaque fois surprise du monde qu’ils rassemblent. Le fait que la Thaïlande soit très différente culturellement et que la langue thaïlandaise soit difficile à apprendre, les Suisses aiment se rassembler. En Afrique du Sud, c’était très différent parce que tout le monde parle anglais, il est plus facile de s’intégrer, c’est moins touristique et donc il y avait moins ce besoin d’assister à des événements dans des clubs suisses. 

Quels sont les problèmes récurrents au sein de la communauté suisse ?

Avant le Covid-19, environ 250.000 Suisses voyageaient en Thaïlande chaque année. Cela apporte son lot d’accidents de la route, de maladies ou d’événements plus dramatiques pouvant mener à la prison. Actuellement, cette partie est moindre. 

Par contre, j’ai découvert pendant le Covid-19 les défis qu’apportent les lois migratoires thaïlandaises pour les citoyens : difficulté d’accès à la résidence permanente, notification des 90 jours, renouvellement des visas, etc. Si j’avais un souhait à émettre ce serait celui de voir la Thaïlande trouver un système de migration simplifié et plus accessible. En cela, je me sens encouragée par l’annonce d’un visa de 10 ans. Il ne va pas résoudre tous les problèmes, mais j’ai l’impression qu’un grand nombre de Suisses sont qualifiés pour y accéder.

Est-ce un sujet que vous abordez régulièrement avec les autorités thaïlandaises ?

Oui en effet, c’est là qu’une ambassade peut faire la différence. Évidemment, il ne s’agit pas de dire à la Thaïlande comment elle doit gérer sa migration. Par contre c’est mon devoir, si la Thaïlande souhaite accueillir plus de Suisses, de signaler comment améliorer les conditions pour venir, etc. 

Vous organisez tous les mois des “Townhalls”, des rendez-vous en direct et en vidéo, est-ce important de communiquer directement avec vos citoyens ?

Au départ, nous n’avions pas prévu d’organiser ces échanges mais avec la crise en mars et avril 2020, cela devenait très compliqué de comprendre la situation, donc nous avons commencé à réaliser de petites vidéos et à les diffuser sur les réseaux sociaux. Pendant la période de rapatriement, nous les réalisions de manière assez intense. Après cela, alors qu’il y avait toujours le confinement, nous nous sommes retrouvés avec une période très calme. 

Je me suis dit qu’il fallait pouvoir garder ce niveau de communication avec notre communauté, trouver un moyen de rester en ligne et continuer à savoir quels sont les problèmes, d’autant plus que nous ne pouvions voyager. 

Nous avons donc mis en place des “Townhalls” mensuels en plusieurs langues où je réponds aux questions des Suisses. Lors des directs, nous avons 200 participants et plus de 8.000 vues en différé. Au départ, j’ignorais si cela allait fonctionner. Aujourd’hui, je pense garder cet instrument de communication au-delà de la crise. Cela nous permet d’avoir accès à des citoyens plus éloignés, cela nous donne un aperçu de leurs préoccupations, etc. 

Quelles sont les relations entre la Suisse et la Thaïlande ?

Cette année, nous célébrons les 90 ans d'amitié et de relations officielles entre la Thaïlande et la Suisse. Le premier lien historique entre les deux pays remonte au roi Chulalongkorn. Lors de son voyage en Europe, il visite la Suisse en 1897. 

La Suisse, dans son histoire et sans doute parce qu’elle n’a pas d’accès direct à la mer, n’a jamais vraiment eu une volonté d’expansion et il a fallu un certain temps avant qu’elle ne crée des relations diplomatiques et commerciales avec certains pays. Je pense que si le roi Chulalongkorn n’avait pas fait le premier pas, il aurait fallu plus longtemps avant que des relations ne s’établissent entre les deux pays. Même si des entreprises suisses étaient déjà présentes en Thaïlande. Après la visite du roi Chulalongkorn, le gouvernement suisse a consulté ces entreprises pour savoir quels pourraient être les intérêts d’avoir des relations diplomatiques entre les deux pays. Il faudra attendre le règne du roi Prajadhipok pour qu’un traité d’amitié soit signé le 2 octobre 1931. 

Par la suite, le roi Bhumibol a passé une partie de son enfance et à étudier en Suisse. Ce séjour a créé un lien extraordinaire et facilite grandement mon travail, j’ai le sentiment de ne jamais devoir surmonter de préjugés ou d’idées négatives vis-à-vis de mon pays. 

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Publié le 12 novembre 2021, mis à jour le 15 novembre 2021

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