

La littérature française est sans conteste une passion pour le professeur Sodchuen Chaiprasathna. Voilà 30 ans qu'elle l'enseigne à l'Université de Silpakorn dans le but d'éveiller l'esprit critique chez les nouvelles générations. Une quête inspirée en France
Toujours en mouvement, Ajarn Sodchuen est omniprésente dans les milieux artistiques du pays et n'est jamais en manque de projets (Photo Pierre Queffélec)
À trois ans de la retraite, Ajarn (pour "professeur"en thaï) Sodchuen Chaiprasathna est toujours très occupée. Cette professeure de littérature française de l'université de Silpakorn, distinguée en 2005 par le titre honorifique de Chevalier dans l'Ordre des Palmes Académiques, entend encore contribuer à l'expansion de la langue de Molière au pays du sourire.
Cet intérêt pour le français s'inscrit dans le désir de développer l'esprit critique chez les jeunes Thaïlandais. Par la littérature française cette universitaire chevronnée diplômée de la Faculté des lettres l'Université de Haute Bretagne à Rennes espère inciter les jeunes générations à se remettre en question et à réfléchir sur leur propre société. Parce que dans son giron se sont épanouis des philosophes, des écrivains et des poètes qui ont dénoncé les injustices sociales. ?J'enseigne [la littérature française] pour que les étudiants développent leur sens critique, explique Ajarn Sodchuen. En Thaïlande nous avons peu d'écrivains qui se soient ouvertement opposés à l'injustice, comme Zola par exemple dans l'affaire Dreyfus?.
Ajarn Sodchuen déplore le fossé qui ne cesse de se creuser entre les couches de la société thaïlandaise entraînant des inégalités jusque sur les bancs des universités : ?Je viens d'une famille modeste de six enfants, dit-elle. J'ai pu bénéficier de bourses d'études tout au long de ma formation universitaire, sans quoi cela n'aurait pas été possible. C'est beaucoup plus difficile de nos jours?.
Auteure de plusieurs ouvrages, articles et traductions, consacrés aux hommes de lettres et aux artistes français tels Aragon ou encore Baudelaire qu'elle admire pour ?sa vie, son ?uvre, sa relation avec les arts, la musique, la sculpture, les arts visuels?, Ajarn Sodchuen rédige actuellement une rétrospective de l'?uvre d'André Malraux. En 2001, elle avait déjà organisé un séminaire international à Bangkok en l'honneur du centenaire de l'homme public français. ?J'ai pensé à Malraux, parce qu'à ce moment-là, la Thaïlande se dotait pour la première fois d'un ministre de la Culture. J'ai donc voulu montrer comment la politique culturelle française avait été menée à long terme et faire réfléchir les Thaïlandais sur les perspectives pour la politique culturelle en Thaïlande.?
Dans les années à venir, Ajarn Sodchuen souhaite se consacrer à la rédaction de manuels universitaires en français sur l'art de vivre en Thaïlande et les liens étroits qui existent entre la littérature classique thaïlandaise et les comportements de la vie quotidienne. Elle vient d'initier un cursus de Master en Tourisme Culturel en français, une première en Thaïlande (voir notre article du 10 janvier).
Naïna STAROVEROVA (www.lepetitjournal.com ? Bangkok) mardi 1er Avril 2008
Voir la version électronique du livre ?Influence en Thaïlande du surréalisme européen?
En savoir plus sur le Master en Tourisme Culturel en français www.archae.su.ac.th/MAFCT
Entre la France post-soixante-huitarde et la révolte estudiantine en Thaïlande :
Lorsqu'elle était elle-même étudiante, c'est le contexte géopolitique troublé de la région et les circonstances de ses études qui ont amené Ajarn Sodchuen à s'interroger sur sa société. En 1969, alors que la Thaïlande est dirigée par les "trois tyrans", la jeune étudiante prépare en France sa thèse de doctorat à l'Université de Haute Bretagne à Rennes. L'immersion dans une France enhardie par les événements de Mai 68 et ulcérée par la guerre du Viêt Nam, la marque. ?J'ai été frappée, nous dit-elle. Nous n'avions que peu accès aux informations en Thaïlande et le peuple thaïlandais en général ne savait pas ce qui se passait dans le monde. C'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à réagir sur les thèmes de la guerre et du communisme,? se souvient-elle. A son retour au pays, en octobre 1973 Ajarn Sodchuen assiste aux violentes manifestations qui opposent les étudiants thaïlandais aux militaires au pouvoir. Elle s'intéresse alors aussitôt aux mouvements contestataires menés par quelques artistes et écrivains thaïlandais, puis en vient à étudier le surréalisme thaïlandais auquel elle consacrera en 1996 un ouvrage de recherche (voir notre article du 17 octobre 2007). Dès lors, son travail s'articule autour de l'expression critique tant dans la littérature, que dans les arts plastiques. En 1998, elle participe avec d'autres intellectuels à un travail de recherche sur la critique appliquée à la littérature, aux arts visuels, à la musique et au spectacle vivant. (LPJ Bangkok 01/04/2008)







