Édition internationale

INTERVIEW- André Krummacher, premier directeur régional d’ACTED

Écrit par Lepetitjournal Bangkok
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 21 novembre 2012

L'ONG française ACTED ouvre cette année un bureau de coordination régionale à Bangkok. Le directeur de ce bureau, André Krummacher, nous en explique les raisons et évoque les actions de cette ONG qui voit dans les entreprises des partenaires de choix pour mener des actions de développement qui s'inscrivent dans la durée

ACTED (Agence d'Aide à la Coopération Technique Et au Développement) est une ONG française créée en 1993 en Afghanistan et qui soutient aujourd'hui les populations vulnérables dans 35 pays à travers le monde. La présence d'ACTED en Asie du Sud-Est est récente et remonte au tsunami de 2004. Elle y opère depuis des programmes au Laos, Cambodge, Birmanie, Indonésie. Les programmes du Sri Lanka et d'Inde font aussi partie de la zone couverte par le nouveau bureau de coordination régionale ouvert cette année à Bangkok. Le directeur de ce bureau, André Krummacher, a bien voulu répondre au PetitJournal.com sur les raisons qui ont motivé ACTED à s'implanter ici.

Andre Krummacher (Photo LPJ Bangkok)

LePetitJournal.com/Bangkok : Quels sont les domaines d'expertise d'ACTED ?
André Krummacher : ACTED est une organisation généraliste, travaillant sur un éventail très large de problématiques. ACTED est traditionnellement une organisation d'aide d'urgence. Notre approche est toujours de venir en cas d'urgence, de travailler à la reconstruction mais nous ne quittons pas la zone dès lors que les besoins basiques sont couverts. Nous avons une approche plus durable, nous travaillons avec la population selon les besoins de la situation, que ce soit pour le développement économique ou l'éducation. C'est pourquoi ACTED entreprend des actions aussi variées ; nous adaptons toujours l'action aux besoins ressentis par la population sur le terrain et nous apportons nos expertises. Nous avons 250 expatriés et 4.000 travailleurs dans les pays. Le pays où l'action est la plus forte est encore l'Afghanistan où ACTED a été fondée. Pakistan et Soudan du Sud bénéficient eux aussi d'une grande coopération.

Que représente la région Asie du Sud-Est dans les priorités d'ACTED ?
La région (l'Asie du Sud-Est et une partie de l'Asie du Sud) est arrivée relativement récemment sur l'agenda d'ACTED puisque nous sommes arrivés avec le tsunami, puis le tremblement de terre en 2007 au Pakistan, puis les inondations au Pakistan en 2010. Depuis le tsunami, il y a chaque année quelque chose qui se passe dans la région ; c'est pourquoi nous voulons étendre notre approche. La région est un "point chaud", elle est une priorité pour ACTED en termes de réponse d'urgence, de développement mais aussi d'expérimentation d'une nouvelle façon de travailler avec le secteur privé.

Pourquoi ouvrir ce bureau de coordination régionale à Bangkok ?
Beaucoup de bureaux de coordination pour la région d'Asie du Sud-Est se trouvent à Bangkok. C'est le cas d'OCHA (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) qui est un organisme des Nations Unies, mais aussi d'UNICEF ou de la commission européenne. C'est la raison principale pour laquelle nous nous sommes installés ici : renforcer nos réseaux et nos liens avec les donateurs. Nous avons déjà des bureaux dans les différents pays dans lesquels nous travaillons mais il était important pour nous d'avoir une perspective régionale.
Il s'agit donc d'un emplacement stratégique car nos opérations ont été jusque là plutôt modestes dans la région d'Asie du Sud-Est.
Nous sommes aujourd'hui seulement deux personnes à travailler dans le bureau de coordination de Bangkok mais nous espérons être 4 à 5 et atteindre les 25 personnes sur le terrain avec un projet en faveur de réfugiés. Dans les cinq pays de la région, nous sommes 135, ce qui est peu à l'échelle d'ACTED. Ce petit nombre s'explique par le fait que l'approche ici est de travailler à travers des partenariats plutôt qu'à travers une implémentation. C'est pourquoi nous n'avons pas besoin d'une grande équipe. Alors que 300 personnes travaillaient sur l'implémentation en Birmanie en 2008, seulement 80 sont sur le terrain aujourd'hui car l'action se fait à travers des partenariats avec la population locale.

Avec quel genre de partenaires travaillez-vous habituellement ?
ACTED vit principalement des donations, nous ne recevons que très peu de fonds privés. Nous sommes donc très dépendants des fonds institutionnels. Nos principaux partenaires sont des donateurs tels que le gouvernement américain, l'Union européenne ou des agences des Nations Unies. Nous travaillons aussi avec des ONG nationales et internationales. En Birmanie par exemple, nous essayons de travailler avec des ONG locales. Au Sri Lanka, notre partenaire est Handicap International. Dans cette région, nous cherchons à travailler de plus en plus avec des entreprises, notamment des entreprises à responsabilité sociale. Etant donné le développement économique, nous avons l'impression que c'est la bonne région pour créer ce genre de partenariats, en s'appuyant sur des entrepreneurs sociaux. ACTED a d'ailleurs organisé le mois dernier à Paris un forum appelé ?Convergence?, rassemblant les structures d'aide et le secteur privé. La plupart du temps, ces personnes ne se parlent pas et nous estimons qu'il s'agit d'une excellente plate forme.

Quel genre de partenaires recherchez-vous dans la région ?
Il y a un rôle pour le secteur privé à jouer pour la communauté alors que la responsabilité sociale des entreprises devient de plus en plus importante. Les grandes entreprises sont de plus en plus enclines à s'associer à ce genre d'action. La situation est différente pour les PME puisqu'elles n'ont pas nécessairement la capacité et les fonds nécessaires. Le but ultime étant la création d'emplois pour la communauté, il ne s'agit pas nécessairement de dons d'argent. Nous voyons les entreprises comme des partenaires pour l'implémentation. Une entreprise peut avoir certaines compétences que nous n'avons pas en tant qu'ONG. De plus en plus de programmes sont des programmes économiques dans lesquels les entreprises peuvent apporter leur expertise et jouer un rôle dans les projets.
Nous les voyons davantage comme des partenaires égaux que comme des investisseurs. Par exemple, au Laos, l'un des grands problèmes est que l'agence qui dirige les parcs nationaux manque de fonds et a du mal à assurer la gestion des parcs. Nous cherchons à associer des entreprises d'éco-tourisme et trouver un accord pour apporter des fonds au parc pour qu'ils aient des partenaires plus durables.

Chercher ainsi à travailler avec des partenaires du secteur privé semble plutôt inhabituel dans le milieu des ONG françaises...

Il s'agit d'un changement de paradigme à grande échelle. C'est une façon très différente d'envisager les choses par rapport à la façon dont les ONG françaises ont l'habitude de travailler. Ces ONG sont traditionnellement fondées sur la notion de charité tandis qu'ACTED réfléchit davantage à des partenariats avec le secteur privé.
Le monde est le théâtre de tellement de changements que nous devons nous tourner vers des modèles plus durables. L'ancien modèle de donation classique selon lequel on donne pour une action de courte durée n'est plus forcément satisfaisant.
Le secteur privé devenant de plus en plus puissant et ayant de plus en plus d'argent, il paraît évident de les impliquer. Et je pense qu'ils ont un rôle à jouer dans le futur des pays en développement. Ils sont très intéressés par les systèmes de microcrédit, des entreprises sociales.
Dans le passé, la richesse était extraite des pays sous-développés et envoyée vers le monde occidental. Je pense qu'il est maintenant temps de redistribuer un peu la richesse et je pense que beaucoup d'entreprises en sont conscientes.
Même si cela mène à des problématiques orientées vers la notion de "business", la région se prête particulièrement à ce genre de partenariats. L'économie y est plutôt stable, la région est donc attractive pour les investisseurs, contrairement à la plupart des régions en Afrique.
Il s'agit tout de même d'une nouveauté et d'un défi pour nous. C'est un tout nouveau modèle pour la communauté des ONG. Nous devons rester prudents, trouver la meilleure façon de faire marcher ces partenariats et voir comment cela fonctionne.

La Thaïlande tend à s'impliquer dans des actions humanitaires, y a-t-il une opportunité pour cette dernière de devenir un partenaire ? Avez-vous des projets d'action en Thaïlande même ?

La Thaïlande est déjà le pays "grand frère" de la région. En ce qui concerne les priorités gouvernementales, il est difficile de pouvoir s'avancer sur leur implication. Le secteur privé, en revanche, a été très impliqué durant les inondations de l'an dernier. Mais je pense qu'il s'agit plus d'une conséquence des événements de l'an passé qu'un projet structuré dès aujourd'hui.
ACTED n'a pas de projet d'aide comme dans les pays voisins mais nous nous penchons sur la question de camps des réfugiés à la frontière birmane. Cela dit, il s'agirait d'une intervention très liée à celle menée en Birmanie. Beaucoup de changements sont en cours et des accords préliminaires ont été signés, ce qui a apporté beaucoup d'espoir quant à la situation des réfugiés.
Nous voudrions donc organiser des programmes préparant les réfugiés à retourner en Birmanie. Personnellement, je pense que la situation n'est pas vraiment acceptable. La Thaïlande n'a jamais ratifié la convention onusienne des réfugiés. Les conditions des réfugiés dans ces camps sont donc inacceptables : ils ne peuvent pas quitter le camp, s'ils le font, ils sont envoyés en prison ; leur liberté est clairement restreinte. Il s'agit pour moi d'une complète entrave aux droits humanitaires. Je suis surpris qu'il n'y ait pas davantage de pressions exercées sur le gouvernement thaïlandais. Après 30 ans de camps dans ces conditions, les réfugiés ont des séquelles psychologiques et les conséquences sont graves. La situation de ces 90.000 réfugiés ne connaît pas d'amélioration majeure alors que les choses vont de mieux en mieux pour la Thaïlande.

CONTACT

André Krummacher
ACTED South/South-East Asia Regional Director
ACTED | Agency for Technical Cooperation and Development
Paso Tower, 11th Floor, 88 Silom Road, Bangkok 10500, Thailand
Landline:+ 66 (0) 2 634 4423     
Mobile: + 66 (0) 84 976 8498
E-mail: andre.krummacher@acted.org
Website: www.acted.org

Quels sont les pays de la région où intervient ACTED, ont-ils un dénominateur commun qui permettrait une éventuelle "perspective régionale" ?
Nous avons des programmes au Laos, Cambodge, Birmanie, Indonésie, Sri Lanka et en Inde.
En Birmanie, la situation est très particulière et il s'agit d'un cas unique, beaucoup de changements sont survenus avec l'ouverture. Je mettrai l'Inde et le Sri Lanka de côté aussi car la région est très différente. Le Laos et le Cambodge sont des cas comparables alors que l'Indonésie est un immense pays très différent qui est en lui même dix pays différents. Il est difficile de trouver un dénominateur commun pour les problématiques de cette région et nous avons des programmes très différents dans chacun de ces pays. Si ce bureau a été ouvert dans l'intention de rationaliser nos programmes et développer une approche plus cohérente, cette tâche n'est pas si facile car les pays sont très différents et la région est vaste.
Propos recueillis par Gabrielle DE PERTHUIS et Pierre QUEFFELEC (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html) jeudi 25 octobre 2012

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Publié le 25 octobre 2012, mis à jour le 21 novembre 2012
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